COMMERCE ÉQUITABLE: QUELLES LEÇONS TIRER DES PREMIÈRES EXPÉRIENCES?

Par Marit Fritus

L’Organisation internationale du café estime que 1,6 milliards de tasses de café sont bues chaque jour [1]. Les grains pour tout ce café sont produits en Amérique latine, en Asie et en Afrique. Dans les pays producteurs, souvent « en développement », la production du café joue un rôle essentiel comme gagne-pain et pour la survie de millions de foyers [2]. L’exemple de la coopérative mexicaine UCIRI dans mon dernier billet a montré que l’engagement des petits producteurs dans le commerce équitable peut aider à l’amélioration significative de leurs conditions de vie et à la stabilité sociale et économique de leurs communautés.

Toutefois, le succès du commerce équitable à long terme reste encore à prouveré [3]. En s’appuyant sur des études de cas effectuées en Amérique centrale, ce billet analysera les dilemmes auxquels les petits producteurs du café engagés dans le commerce équitable se voient confrontés. L’analyse d’études de cas nous aide à identifier les défis liés à la mise en pratique du concept du commerce équitable et à comprendre ses effets négatifs pour ensuite être capable de mieux évaluer la réussite du concept et ses bénéfices réels.

Tout d’abord, les études sur les coopératives en Amérique centrale ont prouvé qu’il y a un manque de compréhension du concept et de connaissances des principes au sein des producteurs. Ceci est un problème relié à la structure organisationnelle des coopératives. Une fois que le groupe de leaders d’une coopérative est élu, il négociera avec les partenaires commerciaux et organismes. De plus, il assumera tous les autres enjeux concernant la gestion économique et financière d’une manière unilatérale. La majorité des petits producteurs reste par conséquent plutôt passive et elle ne se voit pas comme partie intégrante du mouvement plus grand du commerce équitable. Donc, les petits producteurs n’intériorisent pas tout à fait les valeurs et principes du commerce équitable [4].

Le fait que le prix minimum est inadéquat pose un autre problème pour les petits producteurs en Amérique centrale. Bien que le prix du commerce équitable soit actuellement le double du prix sur le marché conventionnel, il n’est pas suffisamment élevé pour couvrir les coûts de production [5]. L’origine de ce problème est que le prix « juste » était fixé à la base selon une étude de la FAO (Food and Agriculture Organization) effectuée en 1988-89. Le prix est uniforme et ne prend pas en considération que les coûts de production et le coût de la vie varient selon les conditions géographiques des pays producteurs. Pourtant, il est évident qu’un producteur au Mexique fait face à des conditions de production et des coûts différents d’un producteur en Éthiopie. Ainsi, le prix invariable ne peut pas être équitable parce qu’il ignore les conditions spécifiques régionales [6].

Le préfinancement devait également servir à la réduction des risques financiers pour les producteurs et à sécuriser la poursuite de la production en temps difficiles. Malheureusement, plusieurs coopératives ont eu de mauvaises expériences en préfinançant des petits producteurs avant leur récolte. Quelques-uns parmi ces derniers ont pris l’argent sans livrer le café comme convenu. Donc, les coopératives ont simplement arrêté de donner le préfinancement et payent seulement quand le café est livré. Pour être capable de payer la main-d’œuvre et l’équipement nécessaire pendant la récolte, la plupart des petits producteurs est ainsi obligée de vendre une partie de leur récolte aux « coyotes » du marché local à un prix beaucoup moins élevé [7].

Même si le commerce équitable a réussi à fournir une certaine sécurité et stabilité financière  aux petits producteurs, ceux-ci restent néanmoins dépendants du marché du commerce équitable du Nord. Pour le moment, en Amérique du Nord, le marché des produits équitables est au moins en phase de croissance, mais personne ne sait si cette phase durera encore longtemps. Il y a déjà des coopératives qui vendent leurs produits certifiés équitables sur le marché conventionnel parce que les capacités du marché équitable ont diminué avec l’émergence de nouveaux producteurs [8].

Mon dernier billet a jugé la mise en pratique des principes du commerce équitable comme étant plutôt positive, toutefois, les études de cas ont montré qu’il y a souvent une différence entre la théorie et la réalité. La mise en pratique des standards par les coopératives ne se façonne pas toujours facilement et l’implémentation définitive des standards de la FLO révèle plusieurs  problèmes pratiques. L’institutionnalisation du mouvement du commerce équitable a seulement commencé au début des années 90. La FLO par exemple a été créée en 1997. Il n’y a pas vraiment d’expérience à long terme. Avec les premières études de cas faites sur les bénéfices réels des petits producteurs, il est possible d’avoir plus d’information. Le mouvement du commerce équitable en général et la FLO en particulier doivent maintenant se questionner sur l’applicabilité et la praticabilité des principes et standards en prenant en considération les premières expériences des coopératives. L’amélioration du concept permettra non seulement aux petits producteurs de véritablement profiter de leur engagement, mais elle avancera également l’approfondissement du mouvement en entier dans l’avenir.

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[1] International Coffee Organization (ICO)

[2] Oxfam, en ligne.

[3] Murray, Raynolds et Taylor, p. 183.

[4] Murray, Raynolds et Taylor, p. 188.

[5] Fridell, p. 192

[6] Gendron, Torres et Bisaillon, pp. 38-40.

[7] Gendron, Torres et Bisaillon, pp. 33-34.

[8]  Murray, Raynolds et Taylor, pp. 183-184.

Bibliographie

Charveriat, Celine (pour Oxfam). 2005. Bitter Coffee: How the Poor are Paying for the Slump in Coffee Prices. En ligne. http://www.oxfam.org.uk/resources/policy/trade/downloads/bitter_coffee.pdf

(page consultée le 23 mars 2010).

Fridell, Galvin. 2007. Fair Trade Coffee: the prospects and pitfalls of market-driven social justice. Toronto, Buffalo, London: University of Toronto Press.

Gendron, Corinne, Arturo Palma Torres et Véronique Bisaillon. 2009. Quel commerce équitable pour demain? Pour une nouvelle gouvernance des échanges. Montréal: Éditions Écosociété, et Paris: Éditions Charles Léopold Mayer.

International Coffee Organization (ICO). FAQ. En ligne.

http://www.ico.org/show_faq.asp?show=35 (page consultée le 24 mars 2010).

Murray, Douglas L., Laura T. Raynolds et Peter L-Taylor. 2006. « The future of Fair Trade coffee: dilemmas facing Latin America’s small scale producers ». Development in Practice 16 (no 2): 179-192. En ligne. http://www.jstor.org/stable/4029878

(page consultée le 20 mars 2010).

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04 2010

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