LE PLAN DE DÉVELOPPEMENT DE KUBITSCHEK : MISSION ACCOMPLIE ?

Par Diego Callaci Trottier

Le président brésilien Juscelino Kubitschek a été l’instigateur du Plan d’objectifs (Plano de metas) en 1956, une politique de développement visant à intervenir dans 5 secteurs principaux : l’énergie, le transport, l’industrie de base, l’alimentation et l’éducation[1]. Ce président, se disant fortement « développementaliste », promit aux brésiliens d’amener un développement absolu au Brésil, en réalisant « 50 ans de progrès en 5 ans de gouvernement » grâce à ce plan de développement[2]. Cet article vise à explorer les lignes directrices de cette politique de développement, ses conséquences sur le développement du Brésil et aussi à établir des liens avec la théorie de la dépendance.

Juscelino

Photo 1 (http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/1a/Juscelino.jpg)

Le Plan d’objectifs de Juscelino Kubitschek a été sous la responsabilité du Conseil de développement. Ce plan visait à identifier les secteurs qui, stimulés de façon adéquate, pourraient avoir des capacités de croissance et qui permettraient de surpasser les limitations au niveau du développement des infrastructures (énergie et transports)[3].  Ce « plan d’objectifs » était donc destiné à 5 secteurs principaux (voir 1er paragraphe). Cependant, ce furent les secteurs de l’énergie, du transport et des industries de base qui reçurent le plus d’attention. Rien de mois que 93, 4% des investissements initialement prévus étaient destinées à ces secteurs. En plus de tous ces objectifs, le plan incluait aussi la construction de Brasília. Chacun des objectifs prévus dans ce plan a été atteint avec succès.  Dans certains cas, l’objectif initial a même été réexaminé et redéfini avec des standards plus élevés que ce qui avait été initialement prévu[4].

Son succès fut en grande partie dû à une administration « parallèle », qui se développa par la création de nouveaux organes administratifs comme les Groupes de Travail et les Groupes Exécutifs, et aussi par la maximisation des fonctions de certains organismes déjà en place, comme la BNDE ou la SUMOC (Superintendance de monnaie et de crédit). Cette administration parallèle permit de contrer l’immobilisme souvent associé au système administratif traditionnel.

Un succès, oui, mais à quel prix? Un des aspects importants à considérer dans l’analyse des conséquences du Plan d’objectifs est la provenance des capitaux nécessaire au financement du projet. Plusieurs mesures fiscales stimulèrent fortement l’investissement de capitaux étrangers, considérés comme essentiels dans le développement économique du pays[5]. Les tenants de la théorie de la dépendance comme Cardoso auraient mis en garde les Brésiliens contre de telles pratiques, puisque, selon ce dernier, la croissance économique générée par l’investissement étranger aurait tendance à bénéficier certains secteurs, en particulier ceux des biens de consommation pour les classes moyennes et élevées de la société. De plus, selon lui, ce développement associé aurait

comme conséquence une régression de la redistribution du revenu, étant fondé sur la consommation de biens de luxe et de biens durables plutôt que sur celle de biens de première nécessité, ce qui aura pour effet l’endettement externe, en plus de contribuer à l’exploitation des ressources de travail et à la marginalité sociale[6]. Dans la pratique, c’est ce qui va se passer, surtout quand on voit que les secteurs de l’alimentation et de l’éducation ont été les plus négligés dans le Plan (voir paragraphe 2). L’instruction no.113 de la SUMOC, par exemple, donnait la possibilité aux investisseurs étrangers l’importation de biens capitaux [7](biens de production durable dont l’utilisation procure à la firme un flux de revenus sur plusieurs périodes[8]) sans avoir besoin d’une couverture de change (couverture consistant pour une entreprise ou un investisseur à se protéger du risque de change[9]), privilège qui n’était pas accordé aux investisseurs nationaux. La BNDE joua également un rôle important, en se portant garante, en collaboration avec les institutions financières internationales, pour les entrepreneurs disposés à suivre les lignes directrices du plan. Ceci eut des conséquences importantes puisque l’ampleur des investissements étrangers fut considérable (voir tableau 1.1)

Tableau 1.1 Importance des capitaux étrangers

Année Financement externe (en millions de dollars) Investissements directs (en millions de dollars)

1955

79,4

31,3

1956

253,4

57,7

1957

234,7

108,2

1958

392,4

82,5

1959

354,7

65,8

1960

242,1

106,8

Le financement et les investissements étrangers étaient principalement nord-américains, suivis de près par les capitaux de l’Allemagne, la France et l’Angleterre. Une autre source importante de financement fut le secteur public. Cependant, comme l’État était mal outillé pour les investissements prévus, le financement du secteur public est donc devenu problématique et explique, en grande partie, la détérioration de la situation financière du pays dans les dernières années du gouvernement Kubitschek[10].

Les conséquences de ces systèmes de financement furent très négatives pour le Brésil. Pour ce qui est du financement étranger, le pays s’enlisa progressivement dans une augmentation faramineuse de l’endettement étranger[11]. On peut faire ici un lien avec la théorie de la dépendance, selon laquelle « l’industrialisation « dépendante associée » entraîne une pénétration des économies par le capitalisme financier et la technologie du centre (internationalisation du marché intérieur), ce qui provoque des distorsions de la structure économique, accroît les inégalités sociales, empêche l’accumulation nécessaire au développement »[12]. Au niveau des infrastructures, les objectifs furent atteints, mais ceci se fit au détriment de la population. Une aggravation progressive de la situation de la balance de paiements fit en sorte que, après 1956, le gouvernement Kubitschek fut déficitaire dans toutes les années suivantes de son mandat. Au niveau interne, l’inflation fut terrible. L’inflation était vue comme le moyen le plus viable pour atteindre les objectifs fixés par le plan; c’est pourquoi l’administration « parallèle » mise en place aux fins de la réalisation du plan opta pour ce moyen plutôt que par des moyens fiscaux traditionnels, ce qui mena aux conséquences désastreuses illustrées plus tôt[13]. (Silva, 83)

En conclusion, la population brésilienne n’a pas vraiment bénéficié de ce « plan d’objectifs ». Oui, les objectifs ont été atteints au niveau de l’industrie et des infrastructures[14]. Mais peut-on vraiment parler d’une réussite quand on voit le prix auquel s’est fait ce « développement »? Plutôt que d’atteindre « 50 ans de progrès en 5 », ces politiques de développement ont amené une régression dans la qualité de vie des Brésiliens qui ont dû faire face aux conséquences d’une forte inflation, tributaire d’un endettement étranger faramineux[15], alors que l’on réalisait des projets coûteux de l’ampleur de Brasília[16]. La mission « développementaliste » de Kubitschek n’a pas été un franc succès.

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[1] Caio Racy, José, p. 174.

2 En ligne. http://www.brasilescola.com/historiab/juscelino-kubitschek.htm

3 Caio Racy, José, p. 174.

4 Silva, Ricardo, p. 79.

5 Ibid., pp. 80-81.

6 Rollinat, Robert, pp. 105-106.

7 Silva, Ricardo, p.81.

8 Musso, Patrick, p. 461.

9 En ligne. http://www.edubourse.com/guide/lexique.php?definition=2507

10 Silva, Ricardo, p. 81-82.

11 Ibid., p. 83.

12 Rist, Gilbert, p. 188.

13 Silva, Ricardo, p.83.

14 Silva, Ricardo, p. 79.

15 Ibid., p. 81-82.

16 Ibid., p. 79.

Bibliographie

Brasil Escola. 2009. Juscelino Kubitschek. En ligne. http://www.brasilescola.com/historiab/juscelino-kubitschek.htm (page consultée le 2 mars 2009).

Caio Racy, José. 2005. « Économie brésilienne comteporaine (1945-2004) » Revue d’économie Mackenzie 3 (3) : 172-185.

EduBourse. 2009. Couverture de Change. En ligne. http://www.edubourse.com/guide/lexique.php?definition=2507 (page consultée le 2 mars 2009).

Musso, Patrick. 2004. « Les effets du progrès technique spécifique sur la durée de vie du capital et les mesures de productivité ». Revue économique 3(55) : 459-468.

Rist, Gilbert. « Les périphéries et l’étude de l’histoire » Le développement : Histoire d’une croyance occidentale, pp. 178-197.

Rollinat, Robert. 2005. « Analyses du Développement et Théories de la Dépendance en Amérique Latine. L’actualité d’un débat. ». Cahiers PROLAM/USP 4(1) : 97-118.

Silva, Ricardo. 2000. « Planification économique et crise politique : de l’épuisement du plan de développement à l’échec des programmes de stabilisation ». Revue de sociologie et politique 14 (juin) : 77-101.


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03 2010

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