COMMUNAUTÉS RURALES MAYAS : UN DÉVELOPPEMENT À LEUR IMAGE

Par Paméla Blais

Il y a de ça cinq ans, juste avant de faire un stage humanitaire dans la petite communauté maya de Patzaj au Guatemala, on m’avait dit que je serais confrontée à un choc culturel de « sous-développement ». Après le stage, du haut de mes seize ans, je ne comprenais pas pourquoi ils semblaient tout de même heureux là-bas, et alors si nous étions mieux développés qu’eux, pourquoi nous ne les aidions pas plus. Ainsi, mon questionnement porte aujourd’hui sur la pertinence de l’aide internationale et du modèle occidental pour le développement dans les pays pauvres. L’aide internationale est certainement bénéfique, mais la question est: quel type de projet ou de modèle de développement doit-on adopter? La mise en œuvre de projets de développement basés sur le modèle occidental n’a-t-elle pas pour effet de créer une dépendance entre le nord et le sud et ainsi de perpétuer les inégalités? Selon plusieurs, dont Fernando Cardoso un précurseur de l’approche de la dépendance, un moyen efficace de développement alternatif au modèle occidental est celui du développement autocentré. Ce modèle permettrait de prévenir la dépendance et de défier, ce qu’appelle Cardoso, une nouvelle forme d’impérialisme du nord.[1] D’abord, on doit protéger les industries locales, mais aussi, on incite les communautés, souvent aidées d’organisations non-gouvernementales (ONG) locales ou internationales ou de l’État, à créer elles-mêmes leur projet de développement en utilisant le savoir-faire local et en respectant leurs traditions.[2] Nous verrons donc comment ce type de développement peut être appliqué en utilisant l’exemple du Guatemala.

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Effectivement, au Guatemala, ça semble fonctionner. Afin de venir en aide aux communautés rurales mayas, on a introduit dans plusieurs régions un développement par le bas, adapté aux spécificités de chacune de ces communautés.[3] Il est important de comprendre que les Mayas, qui représentent environ la moitié de la population guatémaltèque, vivent souvent dans de petits villages isolés, sont les plus démunis du pays et sont ceux qui ont été le plus durement touchés par la guerre civile.[4] Ce sont donc eux qui sont les plus ciblés dans le projet de développement au Guatemala. Il est possible d’observer ici quelques cas d’interventions.

Un premier exemple, en lien avec le premier billet, est celui de l’aide psycho-sociale post-conflit. Un an après la signature des accords de paix, en 1997, les ONG guatémaltèque et danoise «Oficina de Derechos Humanos del Arzobispado de Guatemala » (ODHAG) et « Rehabilitation and Research Centre for Torture Victims » (RCT) se sont donnés pour mission de fournir un soutien physique et psychologique aux victimes de torture et d’agression ainsi qu’à ceux qui ont dû faire face aux disparitions de leurs proches ou à une délocalisation de leur foyer suite au massacre de leur village.[5]

Le programme communautaire qu’ils ont bâti favorise le développement institutionnel de l’ODHAG, mais aussi d’autres petites ONG catholiques locales composées de professionnels (psychologues, travailleurs sociaux) provenant aussi du milieu. Il est également caractérisé par des interventions de groupe respectant la culture maya, leur environnement et leurs croyances et qui mettent en confiance ceux qui ont besoin de soutien.[6] Bref, « le message clé de cette approche est que la guérison psycho-sociale et l’autonomisation des communautés sont nécessaires en tant que parties du renforcement des capacités communautaires pour la participation au développement politique et économique. »[7] En effet, les résultats de 1998 à 2002 démontrent un impact positif du programme sur le développement des communautés locales mayas, ainsi devenues plus autonomes et productives. [8]

Plusieurs ONG sont aussi impliquées dans le développement économique et politique des communautés mayas. Il est à noter que beaucoup d’entre elles sont reliées à l’Église. Celle-ci lie fortement les Mayas pour qui la religion catholique et la spiritualité sont essentielles et omniprésentes.[9] La « Pastoral Social » par exemple, bien implantée au Guatemala, offre plusieurs programmes de développement. Il s’agit entre autres du Mouvement des travailleurs paysans (MTC) qui défend les droits des travailleurs paysans et ceux des peuples indigènes du pays en général. De plus, il encourage la participation des hommes et des femmes au conseil municipal où ils ont la chance de revendiquer de l’aide au gouvernement. Ce projet, dirigé par les paroisses locales, renforcerait la solidarité communautaire et la prise de décision dans les institutions locales, favorisant ainsi le développement économique et politique des communautés mayas. [10]

En fait, il existe bon nombre d’autres ONG de développement communautaire au Guatemala. Pour n’en nommer que deux autres, il y a d’abord le projet de « Community Based Learning » qui vise à la coopération d’enseignants et au partage de matériel entre le milieu scolaire rural guatémaltèque et des écoles américaines.[11] De plus, il est intéressant de souligner l’action de Vétérinaires sans frontières qui forme les paysans au traitement des élevages en se basant sur l’échange de connaissances, plutôt qu’avec une approche paternaliste.[12]

En somme, l’observation d’études de cas au Guatemala permet de comprendre l’efficacité du développement autocentré en tant que modèle de projet de développement. Si de petites communautés rurales mayas, victimes d’une guerre et de discrimination dans un pays à la gouvernance fragile, réussissent peu à peu à s’en sortir, peut être s’agit-il d’un modèle à suivre. On peut donc croire que c’est en grande partie par l’action d’intervenants locaux, par la solidarité et par des interventions appropriés en éducation et en santé qu’un développement économique des communautés, bénéfique au pays entier, est possible. Reste par contre à voir dans quelle mesure le Guatemala est toujours dépendant à l’aide du Nord, surtout dans l’ère actuelle de la mondialisation.

Bibliographie

Abells, Susan. 2005. « Cardoso’s Theory of Dependent Development and the Socio-Political

Limits of Foreign Corporate Ownership in Brazil ». Panel: Rethinking Critical Development theory for the Contemporary Era . Honolulu : Convention annuelle ISA 2005.

Affre, Nathalie. 2001. Les ONG et l’État : l’exemple du Guatemala. Paris: L’Harmattan.

Anckermann, Sonia et al. 2005. « Psycho-social Support to Large Numbers of Traumatized People in Post-conflict Societies: An Approach to Community Development in Guatemala ». Journal of Community & Applied Social Psychology 15: 136–152.

BBC. 2009. Country profile: Guatemala. En ligne. http://news.bbc.co.uk/2/hi/americas/country_profiles/1215758.stm.(page consultée le 5 mars 2010).

Sanders, Robert F. 2005. « Community Based Learning in Rural Guatemala ». Hispania 88 (no. 1): 182-189.

Tyndale, Wendy. 2008. « Mayan and Catholic Spiritual Traditions: A Foundation for Development in the Mountains of Guatemala ». Mountain Research and Development 26 (no. 4): 315-318.


[1] Abells, p.8.

[2] Tyndale, p.315.

[3] Affre, p.156.

[4] BBC, en ligne.

[5] Anckermann, p. 137.

[6] Anckermann, p.142.

[7] Traduction de l’auteure. Anckermann, p. 150.

[8] Anckermann, p. 151.

[9] Tyndale, p. 315.

[10] Tyndale, p. 317.

[11] Sanders, p. 182.

[12] Affre, p. 201.

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03 2010

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