INDUSTRIALISATION PAR SUBSTITUTIONS D’IMPORTATIONS : LA « MODERNISATION » BRÉSILIENNE

Par Diego Callaci Trottier

Le modèle ISI (Industrialisation par substitution d’importations) a été adopté au Brésil sous le régime politique de Getúlio Vargas, président populiste qui a été au pouvoir plusieurs fois entre 1930 et 1954[1]. Cet article propose d’examiner les liens entre l’ISI et la théorie de la modernisation et aussi quelques unes de ses conséquences au niveau du  développement. Entre 1930 et1990, le Brésil adopte des politiques industrielles visant à assurer le développement économique et social de la nation[2]. Cependant, l’accent sera mis sur la période de 1930-1954[3].

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crédit photo:  http://www.wwnorton.com/college/history/ralph/resource/gvargas.htm

Il est important, en premier lieu, d’en savoir un peu plus sur les origines du modèle ISI instauré à partir des années 1930. L’idée est influencée par une conception de développement « modernisateur » de  la Commission économique  pour l’Amérique latine (CEPAL) de l’ONU, dans un contexte d’après-guerre, et selon laquelle le développement est considéré comme un processus qui se fait étape par étape. Tous les pays peuvent y avoir accès, à condition de s’engager à créer les conditions nécessaires à cette évolution. La CEPAL met l’accent, parmi ces conditions, sur la modernisation des structures économiques, sociales, culturelles et idéologiques « retardées » dans les pays de la périphérie afin de combler l’écart entre ceux-ci et les pays du centre[4]. De plus, selon la CEPAL, cette politique est bénéfique puisqu’elle permettrait d’élever les niveaux de vie des masses sans que soient nécessaires des politiques de redistribution des revenus ou de réforme agraire, et serait donc la meilleure voie pour atteindre un développement économique et social considérables[5].

Le principe de l’industrialisation par substitution d’importations consiste, à la base, à identifier les biens industriels importés, et ensuite à stimuler la production interne de ces produits. La logique de ce principe est donc d’arriver maîtriser  toutes les étapes de la production, et devenir ainsi complètement autonome dans la production d’un bien[6].

Ce processus a commencé dans les années 30 par la substitution des importations de biens non-durables, comme les médicaments. Ensuite, la production s’est approfondie, dans les années 60, avec des biens de consommation durables comme les automobiles. Dans les années 70-80, ce fut la production de biens intermédiaires et des biens d’équipement, comme la production pétrochimique et la fabrication de turbines pour les usines nucléaires, qui fut à l’ordre du jour[7].

Si les façons d’appliquer le modèle ont beaucoup varié durant ces périodes, le projet « développementaliste », qui a été appliqué à partir des années 30 sous l’égide de Getúlio Vargas, demeurait toujours présent. Il a consisté en plusieurs innovations, notamment : la création d’entreprises publiques, la mobilisation de financements publics, les investissements sectoriels stratégiques, l’affirmation de droits salariaux, etc.[8].

Entre 1951 et 1954, lors du second gouvernement de Vargas, c’est une stratégie de développement ample et bien définie qui est adoptée. Elle commence par un assainissement financier et monétaire et ensuite, mise sur la croissance dans le secteur des infrastructures, surtout dans le domaine des ports, du transport et de l’énergie par un afflux de capitaux étrangers. La création de la Banque nationale de développement économique (BNDE, devenue par la suite BNDES pour ses interventions dans le domaine social) est une des réalisations importantes de cette époque[9].

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crédit photo:  http://www.bresil-consulting.com/UserFiles/Image/Rafinerie%20petrobras.jpg

Cependant, le modèle ISI a ses limitations. En premier lieu, l’ISI ne tient pas compte du secteur externe[10]. De plus, son ouverture sur les autres économies de la région est quasi nulle. Un troisième défaut du modèle sort du fait qu’il n’existe qu’une faible complémentarité économique entre les pays de la région. Ainsi, dans les années 60, le constat de faillite du modèle ISI devient évident au niveau de son impact sur le développement. La CEPAL remarque que le revenu moyen par habitant ne représente qu’un cinquième de ce dont on disposait désormais aux États-Unis. On signale également les taux de croissance inférieurs pour l’Amérique Latine (1%), comparativement à ceux de l’Europe et de l’Union soviétique (3-4%). Selon la CEPAL, le ralentissement du développement est dû en partie à l’épuisement des possibilités de croissance vers l’intérieur du pays, suscité par le manque de réformes du système qui auraient permis d’élargir le marché interne (comme une réforme agraire, qui aurait permis d’élargir le marché à des classes non intégrées dans l’économie) [11].

En conclusion, si l’application du modèle ISI a mis en place des stratégies de développement dont l’héritage a été longtemps présent dans  la société brésilienne, comme  le régime de la CLT (Codification des Lois des Travailleurs) de l’ère Vargas (cette codification, encore en vigueur, date de 1943) – que le gouvernement et le Fonds Monétaire International jugeaient excessivement protectrice du salarié et source d’obstacles dans une optique de libéralisation de l’économie[12] – ce modèle tributaire de l’idéologie  « développementaliste » de la CEPAL est entré en crise dans les années 60. Alors que la CEPAL commence, à cette époque, à insister sur la nécessité de réformes structurelles dans le processus de développement, il est déjà trop tard car les dictatures militaires font leur apparition (en1964 au Brésil) et les instigateurs du modèle sont contraints de s’exiler[13].

Cependant, le « coup de grâce » au modèle ISI viendra non des difficultés des pays de la « périphérie » comme le Brésil, mais bien des transformations du « centre » qui donneront lieu à un nouveau système « transnational ». Bénéficiant d’une croissance économique rapide, les multinationales en pleine expansion se mettront à la recherche de nouveaux marchés et de sites de production moins coûteux pour leurs procédés manufacturiers de plus en plus technologiques[14].

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[1] Hasenclever, Lia et Fauré, Yves-André, En ligne, p. 2-3.

2 Ibid., p.2.

3 Rollinat, Robert, p. 101.

4 Ibid., 98-99.

5 Ibid., 100.

6 Hasenclever, Lia et Fauré, Yves-André, En ligne, p.2.

7 Ibid., p.3.

8 Ibid.

9 Ibid.

10 Auroi, Claude, p. 93-94.

11 Ibid., p. 95-96.

12 Hasenclever, Lia et Fauré, p. 3.

13 Rollinat, Robert, p. 101.

14 Valenzuela, J. Samuel et Valenzuela, Arturo, p. 549.

Bibliographie

Hasenclever, Lia et Fauré, Yves-André. 2003. « Les défis du développement économique et social du Brésil contemporain » Documents de travail, Groupe d’Économie du Développement de l’Université Montesquieu, http://econpapers.repec.org/RePEc:mon:ceddtr:78.) p.1-30.

Rollinat, Robert. 2005. « Analyses du Développement et Théories de la Dépendance en Amérique Latine. L’actualité d’un débat. ». Cahiers PROLAM/USP 4(1) : 97-118.

Valenzuela, J. Samuel et Valenzuela, Arturo. 1978. «Modernization and Dependency: Alternative Perspectives in the Study of Latin American Underdevelopment. ». Comparative politics 10 (avril): 535-557.

Auroi, Claude. 2009. « Tentatives d’intégration économique et obstacles politiques en Amérique latine dans la seconde moitié du XXe siècle ». Relations internationales 137(1): 91-113.

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03 2010

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