Pêle-pête-mêle, Sens dessus dessous

Par La rédaction

Voici quelques échos et résonnances au fil de nos lectures pour préparer ce numéro…

« Mais si, au plan métaphysique, le divorce entre l’homme et le cosmos est consommé, s’il n’y a pas à revenir sur une vision tragique du monde (au sens de Nietzsche), au plan du vécu, le remariage, la ‘réunification’ est cependant envisageable, au moins par intermittence. Sur quoi alors peut reposer cet accord, si ce n’est pas sur la foi, comme chez Claudel ? Sur l’existence [en italique dans le texte] elle-même, en tant qu’elle peut faire l’expérience, contingente, du bonheur d’être au monde. Car l’assentiment au monde est possible dès lors que nous ne censurons pas en nous ‘un sentiment de la merveille’, un ‘sentiment du oui’ qui naît à la faveur de lieux ‘eutopiques’ et de moments euphoriques (de ‘jours alcyoniens’). Voilà qui peut suffire à justifier une poétique de l’affirmation, de la louange – une poétique lyrique où pourra résonner le ‘chant du monde’, le chant immanent du monde.

Pour que ce chant puisse être entendu, il faut que l’homme, en deçà du sujet conscient qu’il est le plus souvent, fasse droit à cette ‘plante humaine’ qu’il est aussi en sourdine. Il faut qu’il consente au ‘mariage d’inclination, mariage tout de même confiant, indissoluble’, qu’implique ce statut de plante (mariage d’inclination notons-le, et pas seulement de raison). S’abandonner au ‘sentiment océanique’, retourner dans ce que Rilke appelle l’Ouvert, c’est ce à quoi s’emploient ceux que Gracq appelle les ‘écrivains végétatifs’ (Tolstoï, par exemple). Bien que ne méconnaissant pas le tragique, ils s’emploient, comme Novalis et Nerval, Hölderlin ou Jünger, à ‘réaccorder magiquement’ l’homme ‘aux forces de la terre’, à lui rouvrir l’accès à ces immenses réserves de calme d’où monte le sentiment aveugle, débordant du consentement confiant et de l’accord, d’où jaillit vraiment la mélodie de la vie. »

Jean-Claude Pinson. 2013. Habiter en poète. Essai sur la poésie contemporaine. Poéthique : une autothéorie

« Le poète est doué du sentiment du sacré, mais la nature lui en révèle les empreintes. Le minéral et le végétal, les eaux et le feu, le soleil et les astres nocturnes en contiennent les semences qui nous parlent le langage des analogies. Grâce à cette diffusion secrète du sacré dans l’épaisseur des êtres et des choses, nous participons à la totalité de l’univers, nous concoctons la possibilité d’un dialogue entre le visible et l’invisible, comme l’une des fins spirituelles de la création poétique. » Marc Eigeldinger. 1973. Poésie, langage sacré

« Nos yeux ne pleuraient plus : nous allions, nous allions Et quand nous avions mis le pays en sillons,
Quand nous avions laissé dans cette terre noire
Un peu de notre chair… nous avions un pourboire;

On nous faisait flamber nos taudis dans la nuit; Nos petits y faisaient un gâteau bien cuit. »

Rimbaud. 1872. Le Forgeron ∞

 

« Ne pas avoir la nausée devant les récompenses accordées aux grossières cruautés, aux menteurs, aux faussaires, aux fabricants d’objets mort-nés, aux affineurs, aux intéressés à plat, aux calculateurs, aux faux guides de l’humanité, aux empoisonneurs des sources vives. […]

L’esprit d’observation succède à celui de transfiguration. La méthode introduit les progrès imminents dans le limité. La décadence se fait aimable et nécessaire : elle favorise la naissance de nos souples machines au déplacement vertigineux, elle permet de passer la camisole de force à nos rivières tumultueuses en attendant la désintégration à volonté de la planète. Nos instruments scientifiques nous donnent d’extraordinaires moyens d’investigation, de contrôle des trop petits, trop lents ou trop grands pour nous. Notre raison permet l’envahissement du monde, mais d’un monde où nous avons perdu notre unité. […]

Le butin magiquement conquis à l’inconnu attend à pied d’œuvre. Il fut rassemblé par tous les vrais poètes. Son pouvoir transformant se mesure à la violence exercée contre lui, à sa résistance ensuite aux tentatives d’utilisation. […] Tous les objets du trésor se révèlent inviolables par notre société. Ils demeurent l’incorruptible réserve sensible de demain. Ils furent ordonnés spontanément hors et contre la civilisation. Ils attendent pour devenir actifs (sur le plan social) le dégagement des nécessités actuelles. […]

Un magnifique devoir nous incombe aussi : conserver le précieux trésor qui nous échoit. Lui aussi est dans la lignée de l’histoire. Objets tangibles, ils requièrent une relation constamment renouvelée, confrontée, remise en question. Relation impalpable, exigeante qui demande les forces vives de l’action.

Ce trésor est la réserve poétique, le renouvellement émotif où puiseront les siècles à venir. Il ne peut être transmis que TRANSFORMÉ, sans quoi, c’est le gauchissement.

Que ceux tentés par l’aventure se joignent à nous. »

Paul-Émile Borduas. 1948. Refus global

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