Les réfugiés en Alaska : les oubliés de la lutte aux changements climatiques

Par Olga Fliaguine

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La question du réchauffement climatique est une malheureuse réalité actuelle. Les activités humaines provoquent d’importantes émissions de gaz dits à effet de serre (GES) qui empêchent la chaleur de s’échapper dans l’atmosphère, créant ainsi un réchauffement planétaire. Ce phénomène entraîne de nombreuses conséquences sur tout l’écosystème, comme la fonte des glaciers, l’augmentation du niveau des mers, diverses perturbations, notamment du cycle de l’eau, un dérèglement des saisons et l’augmentation en nombre et en intensité des catastrophes d’origine naturelle.

La scène internationale s’est saisie de cette question du réchauffement climatique, en produisant plusieurs outils juridiques tels que la Convention cadre des Nations Unies en 1992 et le Protocole de Kyoto en 1997. Malheureusement, ces outils se sont avérés insuffisants dans la lutte contre les changements climatiques. Cela peut s’expliquer notamment par le manque de dispositions contraignantes ainsi que par l’existence d’un certain nombre de mécanismes flexibles. De plus, certains des plus gros émetteurs de GES se sont abstenus ou se sont retirés, comme par exemple les États-Unis, le Canada et la Chine dans le cas du Protocole de Kyoto. D’autres accords ont suivi, tels que le Plan d’action de Bali en 2007, l’Accord de Copenhague en 2009 ou encore les accords de Cancun en 2010. Enfin, en 2015, dans une ambiance exaltée, le monde entier a adopté l’Accord de Paris ayant pour ambition de remplacer le Protocole de Kyoto. Il établit une limite de hausse de la température moyenne à 2 degrés et met en place un régime forçant les États parties à déposer leurs objectifs de réduction de leurs émissions de GES. Même s’il s’agit d’un accord symbolique du fait que tous les pays ont participé et l’ont signé, il n’en reste pas moins que les résultats dépendront des actions entreprises par chacun des pays. Il faut donc maintenant attendre une application concrète, qui est aujourd’hui d’autant plus incertaine après l’élection controversée d’un climatosceptique à la tête des États-Unis.

 

Les « réfugiés climatiques »

 

Le réchauffement climatique a, entre autres, deux conséquences majeures qui sont la montée des eaux et l’érosion des sols. En effet, la fonte des glaciers, ainsi que la dilatation thermique de l’eau (les molécules d’eau s’agitent de plus en plus en raison de la chaleur et s’éloignent les unes des autres), provoquent une montée du niveau des mers. Le sol étant sensible au climat, toutes les modifications qui surviennent ont des effets sur lui. Ainsi, de forts vents ou pluies fragilisent les sols qui vont ainsi, par exemple, moins bien capter le dioxyde de carbone, se saliniser, ou encore s’effriter et même disparaître comme dans le cas du pergélisol (qui est de la roche et du sable gelés). Ces deux conséquences mènent à une disparition progressive des territoires, ce qui devient un problème majeur pour l’humanité. En effet, actuellement les deux tiers de la population mondiale habitent à moins de 80 km des côtes. Si les émissions de GES continuent d’augmenter, entre 200 et 600 millions de personnes vont devoir quitter leurs habitations avant la fin du siècle (Toscano 2015). De plus, les catastrophes naturelles à répétition, les fortes pluies ou épisodes de sécheresse obligent des populations entières à se déplacer. Même si le chiffre exact diffère selon les études, il est néanmoins certain que l’on va assister à de plus en plus de mouvements de populations en raison de la dégradation de l’environnement.

 

Cependant, malgré le nombre de personnes touchées ou en situation de l’être, le droit international ne reconnaît pas ce type de déplacement et ne comprend pas de régime de protection, comme c’est le cas pour les réfugiés politiques par exemple. En effet, la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés définit un réfugié comme étant une personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques (…) ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner (dans son pays d’origine) » (article 1). Il n’est donc pas fait mention des déplacés environnementaux et, de ce fait, le régime de protection mis en place par cette convention ne s’applique pas à ces derniers.

 

Ce manque de reconnaissance juridique résulte de la difficulté à établir une définition précise de ce qu’est un « réfugié climatique ». En effet, ces personnes peuvent être classées selon plusieurs catégories (Mayer 2011). En premier lieu, les déplacements peuvent être forcés ou volontaires, contrairement aux autres types de réfugiés. En effet, bien souvent, les personnes se déplacent en raison de conditions de vie de plus en plus difficiles, alors qu’elles peuvent encore théoriquement survivre dans leur lieu d’habitation. Deuxièmement, il faut distinguer les déplacés temporaires des déplacés permanents. Par exemple, des personnes peuvent quitter leur lieu de vie durant un épisode de sécheresse intense, puis y revenir une fois cet épisode terminé. Enfin, il arrive que ces personnes ne dépassent pas les frontières de leur pays, mais se déplacent à l’intérieur de ce dernier.

 

Un autre point important est celui de déterminer si les personnes se déplacent en raison des changements climatiques. En effet, il faut apporter la preuve que l’impossibilité ou la difficulté de rester sur leur lieu de vie est due aux changements climatiques. Cependant, il n’est pas toujours évident d’affirmer que l’intensification des catastrophes naturelles, qui ont toujours existé, est attribuable au réchauffement climatique, qui est un phénomène complexe et diffus dans le temps et dans l’espace. Toutes ces difficultés font en sorte qu’il existe de nombreuses définitions des personnes déplacées pour des raisons environnementales, mais aucune ne fait l’objet d’un réel consensus.

 

La situation des villages en Alaska

 

La grande majorité des ouvrages et articles sur les déplacés environnementaux présentent comme exemples les îles du Pacifiques qui disparaissent sous les eaux, les villages africains fuyant la sécheresse ou encore les fortes crues au Bangladesh provoquant des exodes. Cependant, la problématique des « réfugiés environnementaux » touche la planète entière. En effet, des villes des pays développés, telles que Miami, New York ou encore Rotterdam risquent d’être recouvertes par les eaux d’ici quelques dizaines d’années. Ces populations ont néanmoins les moyens « d’élaborer des stratégies d’adaptation et d’atténuation » avec la construction de digues par exemple (Piguet 2011). Mais tous les pays dit « du Nord » n’ont pas cette chance, comme c’est le cas de plusieurs villages en Alaska. En effet, malgré leur situation géographique, plus de 200 villages, majoritairement autochtones, sont les tristes oubliés lorsque l’on parle de réfugiés climatiques.

 

L’Alaska est un État américain situé au nord-ouest du Canada et entouré du golfe de l’Alaska, de la mer de Behring, de la mer des Tchouktches et de la mer du Beaufort. Principalement côtier, et dont les côtes sont majoritairement constituées de pergélisol, l’État de l’Alaska est entouré de nombreuses îles et presqu’îles au sud, avec les îles Aléoutiennes à l’ouest, comme par exemple Shishmaref, Kivalina ou Newtok pour ne citer que les plus connues. Ces îles sont fortement touchées par le phénomène du réchauffement climatique. En 2003, environ 200 villages étaient affectés, et 31 se trouvaient dans une situation précaire, voyant leur territoire disparaître petit à petit. En 2016, quelques journaux ont parlé du conseil municipal de Shishmaref qui a voté le déménagement du village vers la côte, bien qu’il ne soit pas le premier à prendre cette décision (Riché 2016). Cependant, les communautés autochtones n’ont pas du tout les moyens financiers de déménager un village entier.

 

Ces villages font face à des enjeux supplémentaires, car il s’agit de populations autochtones, vivant dans des situations très précaires. Dans le cas de Shishmaref, par exemple, la plupart des maisons n’ont ni électricité ni eau courante, et le marché de l’emploi y est saturé. Les habitants vivent principalement de chasse et de pêche, et ces activités deviennent de plus en plus difficiles, notamment en raison de la diminution de la biodiversité provoquée par les changements climatiques (Sheppard 2014). Ils ont par ailleurs déjà dû déplacer certaines habitations vers le centre de l’île. Le village souffre aussi d’un manque de reconnaissance par les médias. Au début des années 2000, un sénateur républicain de l’Alaska a fortement soutenu le projet de déménagement et a commencé à organiser une campagne de financement. Cependant, accusé de corruption, il n’a pas été réélu (Sheppard 2014). Depuis lors, personne ne s’est vraiment intéressé à eux. Le United States Government Accountability Office (GAO) a dénoncé, dans son rapport de 2009, le fait qu’aucun programme ne soutient la relocalisation de ces villages. Il admet qu’il existe des agences fédérales individuelles qui pourraient éventuellement intervenir grâce à certains programmes spécifiques, mais le problème est qu’au moins 64 villages ne sont pas éligibles à ces programmes, car ils ne sont pas reconnus par la loi fédérale qui les met en place. Souvent, les villageois ont des difficultés à respecter les conditions posées par ces programmes d’aide, en raison d’un manque d’information. Ce rapport dénonce le manque de participation générale des institutions fédérales dans l’aide fournie à ces villages.

 

Aujourd’hui, la majorité des représentants de l’État de l’Alaska sont républicains. Lorsqu’on consulte le site Internet de l’État, on s’aperçoit que la page sur les changements climatiques n’a pas été mise à jour depuis 2011. L’enjeu n’est donc pas simplement financier (80 à 200 millions nécessaires pour chacun des villages), mais également médiatique et surtout politique. La situation actuelle ne risque pas de trouver de solution rapide maintenant que les actions en matière environnementale ne font pas partie des priorités des États-Unis. Cette situation semble d’autant plus injuste que les villageois ont une empreinte écologique très faible en comparaison avec le reste du pays.

 

L’autre grand enjeu de ces populations est culturel. En effet, ces villages ont une histoire et un héritage culturels importants qui se traduisent notamment dans leurs activités de chasse, de pêche ou encore d’élevage de chiens de traîneau. Certains villageois se voient proposer des emplois dans des villes et, au vu de leurs situations précaires, ils seront nombreux à les accepter. On va donc assister à la disparition d’un véritable patrimoine culturel, car les gens vont partir chacun de leurs côtés, et le village va disparaître tout simplement.

 

Il s’agit là d’un exemple même de migration environnementale forcée. En effet, en raison de la fonte des glaciers et du réchauffement de l’eau, le niveau augmente de plus en plus et provoque l’effritement du pergélisol. L’ironie de la situation est que les émissions de GES sont responsables de ces phénomènes, mais plus le pergélisol s’effrite, plus il libère du méthane et autres GES emprisonnés à l’intérieur, accélérant sa propre disparition.

 

Comme cela a été énoncé plus haut, le régime juridique international n’offre pas de solution aux migrants environnementaux et les théories basées sur la notion de responsabilité, proposées par certains auteurs, ne sont encore qu’au stade de l’hypothèse. La solution qui semble la plus optimale est celle de l’application par les États-Unis des Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays. Au regard de ces principes, l’État fédéral et l’État de l’Alaska doivent fournir toute l’aide nécessaire aux habitants de ces villages afin de trouver un nouvel emplacement et financer le déménagement. Néanmoins, le problème principal de ces principes est que même s’ils ont été largement acceptés sur la scène internationale par les pays membres des Nations Unies, ils n’ont pas de force contraignante. En effet, ils sont porteurs d’une importante « force morale », mais en tant que tels, personne ne pourra contraindre les États-Unis à les appliquer. De plus, rien n’oblige les autorités à déménager la communauté comme un ensemble. Elles peuvent simplement fournir l’aide financière nécessaire à chaque ménage, ce qui peut mener à la disparition du village. Néanmoins, ces principes reprennent les droits de la personne et le droit humanitaire, ce qui peut leur donner une force supplémentaire. Ainsi, les populations pourraient intenter une action contre l’État en raison de la violation de ces droits. Cela pourrait constituer une solution potentielle, même s’il est facile d’imaginer qu’il y a peu de chance que ces populations pauvres aient la capacité nécessaire pour intenter une telle action.

 

L’autre solution est de faire intervenir des agences fédérales américaines comme l’énonce le rapport du GAO. Cependant, cette solution n’est pas possible pour tous les villages. Il faudrait donc modifier le régime et faire reconnaître les villages exclus par les lois fédérales applicables, mais également modifier les conditions pour bénéficier des programmes d’aide disponibles. Là encore, le climat politique actuel risque de poser problème.

 

La solution qui semble la plus envisageable en pratique aujourd’hui est celle de l’intervention de la communauté internationale. En effet, les principales organisations internationales qui se prononcent sur la question sont conscientes des problèmes des migrants environnementaux et envisagent des programmes d’aide. Cependant, dans le cas précis de l’Alaska, les villages manquent de médiatisation, tel que mentionné plus haut. Plusieurs ouvrages qui traitent du sujet n’indiquent même pas l’Alaska sur leurs cartes des migrations environnementales dans le monde. Enfin, une intervention internationale ne peut se faire que sur une base volontaire, donc rien n’est garanti. Pour ce qui est du financement, aucun fonds international n’existe actuellement en la matière même si des organismes internationaux envisagent d’en créer.

 

Conclusion : un besoin urgent de s’adapter

 

Les conséquences du réchauffement climatique poussent de nombreuses personnes à fuir leur territoire et ces mouvements ne vont que s’accentuer dans les prochaines années.

 

Les problèmes des migrants environnementaux sont connus. On s’aperçoit ainsi que ce sont les populations les plus fragiles qui sont les plus touchées, et que les solutions juridiques sont quasiment inexistantes, en raison notamment de l’absence de qualification juridique de ces personnes. Le droit international actuel n’arrive pas à trouver de réponse à ces problèmes de plus en plus fréquents et intenses. Les droits des instances nationales peinent également à gérer cette situation, que ce soit par manque de définition ou pour des raisons politiques, comme dans le cas des villages autochtones en Alaska. Ces derniers font face à une situation de plus en plus précaire et même dangereuse pour la vie de leurs habitants. Le manque de médiatisation, de ressources financières et de prise en compte politique ne fait qu’accentuer le problème, alors même que ces populations sont loin d’être celles qui sont responsables du réchauffement climatique.

 

Il y a donc une véritable nécessité d’agir, de créer un régime adapté à ces cas particuliers, très différents les uns des autres. On pourrait penser qu’il suffirait de modifier la définition de réfugié énoncée par la Convention de Genève de 1951. Cependant, la majorité des auteurs rejettent cette idée en raison de la diversité des situations des déplacés environnementaux. D’autres redoutent que cette modification ne nuise aux autres types de réfugiés. Comme l’a énoncé un auteur : « Des solutions ad hoc, adoptées dans des cadres régionaux, voire bilatéraux, seraient ainsi préférables à l’approche monolithique d’une convention universelle et unique sur le modèle de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés » (Mayer 2011). Ainsi, il semble qu’un régime commun mais différencié soit indispensable afin de s’adapter à chacun des cas particuliers. Enfin, il est également nécessaire de trouver une solution aux problèmes politiques qui peuvent se poser, notamment le climatosceptisme omniprésent au sein de l’administration du président actuel des États-Unis. Ce dernier a en effet annoncé, sur le réseau social Twitter, que le concept de réchauffement climatique a été créé par la Chine afin de diminuer la compétitivité commerciale de l’industrie américaine (Trump, 2012).

 

Des institutions internationales cherchent des solutions pour établir un régime efficace. Il faut donc continuer sur cette lancée sans plus attendre. Néanmoins, une solution sera-t-elle trouvée à temps, avant que des communautés entières disparaissent à jamais de la surface de la terre, comme dans le mythe de l’Atlantide ?

 

Olga Fliaguine est titulaire d’une maîtrise en droit des affaires et termine ses études de maîtrise en environnement et développement durable à l’Université de Montréal.

 

Références

Agence des Nations Unies sur les Réfugiés. 1951. Convention et Protocole relatifs au statut des réfugiés. En ligne. Http://www.unhcr.org/fr/4b14f4a62.

Mayer, Benoit. 2011. « Pour en finir avec la notion de « réfugiés environnementaux » : Critique d’une approche individualiste et universaliste des déplacements causés par des changements environnementaux ». Revue internationale de droit et politique du développement durable de McGill. p.14.

Haut-commissariat aux droits de l’Homme. 1998. Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays. En ligne. http://www.unhcr.org/fr/protection/idps/4b163f436/principes-directeurs-relatifs-deplacement-personnes-linterieur-propre-pays.html.

Organisation des Nations Unies. 2015. Accord de Paris. En ligne. https://unfccc.int/files/meetings/paris_nov_2015/application/pdf/paris_agreement_french_.pdf.

Piguet, Étienne, Pécoud, Antoine et De Guchteneire, Paul. 2011. « Changements climatiques et migrations : quels risques, quelles politiques ? » L’Information géographique. Vol. 75. p. 96. En ligne.http://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2011-4-page-86.htm.

Riché, Pascal. 2016. « Climat : le village de Shishmaref, l’île qui fond, se résigne à déménager ».Le Nouvel Observateur. En ligne. http://tempsreel.nouvelobs.com/planete/20160820.OBS6602/le-village-de-shishmaref-l-ile-qui-fond-se-resigne-a-demenager.html.

Sheppard, Kate. 2014. « Shishmaref: le sort d’un village isolé de l’Alaska montre que nous ne sommes vraiment pas prêts à faire face au réchauffement climatique ». Le Huffington Post. En ligne.http://www.huffingtonpost.fr/2014/12/21/alaska%ADrechauffement%ADclimatique%ADshishmaref_n_6362050.html.

Toscano, Julia. 2015. « Climate Change Displacement and Forced Migration: An International Crisis ». The Arizona Journal of Environmental Law and Policy. En ligne. http://www.ajelp.com/articles/climate-change-displacement-and-forced-migration-an-international-crisis/.

United States Government Acountability Office. 2009. « Alaska Native Villages: Limited Progress Has Been Made on Relocating Villages Threatened by Flooding and Erosion ».Report to Congressional Requesters. En ligne. Http://www.gao.gov/new.items/d09551.pdf.

 

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