Port-au-Prince et ses bidonvilles : le cas de Cité soleil, fief politique et repaire des gangs

Par Jean-Claude Roc

 

Port-au-Prince est la capitale d’Haïti et la principale ville du pays. Plus de 2 millions de personnes composent sa population, dont 1 800 000 vivent dans des bidonvilles (Bourdon, cité par Ilionor, 2009). Ces bidonvilles sont au nombre de 357.Voir PDF

Port-au-Prince est le reflet des bidonvilles qui l’entourent à cause de la pauvreté de ses infrastructures, l’insalubrité de son environnement et les conditions sociosanitaires déplorables à vue d’œil. En général, la plupart des quartiers de Port-au-Prince habités par des riches ou des gens aisés de la classe moyenne sont encerclés par des bidonvilles. Les pauvres suivent les riches même dans leur zone de confort. Ce qui les distingue, c’est leur habitat : des maisons de grandes ou moyennes apparences, encerclées d’un épais mur qui laisse entrevoir à peine le toit de la maison, protégées d’une impressionnante barrière en fer. Il faut se protéger, concluent-ils, contre ces voisins par défaut, vivant dans des taudis et souffrant de tous les maux de la pauvreté.

Les habitants des bidonvilles de Port-au-Prince font face à de multiples problèmes socioéconomiques et sanitaires : chômage endémique, analphabétisme, accès difficile d’approvisionnement en eau potable, logements précaires, taudis délabrés dans certains cas, problèmes sérieux de lieux d’aisance, accès difficile à l’électricité, absence de services publics en santé et autres.

Nous nous proposons d’étudier le cas du bidonville Cité soleil, à cause de la taille de sa population, de l’enjeu politique et de la violence dont il est l’objet.

 

Environnement politique et violence à Cité soleil

Ce bidonville, le dictateur François Duvalier l’a nommé Cité simone en l’honneur de sa femme prénommée Simone. Malgré la pauvreté et l’indigence qui le caractérisent, il connaissait une paix relative à l’époque du règne des Duvalier, à cause de la répression politique qui sévissait.

Après le renversement et le départ du dictateur Jean-Claude Duvalier, fils de François Duvalier, en 1986, Cité simone prend le nom de Cité soleil.

La chute de la dictature duvaliériste ouvre la voie à la démocratie. Les bidonvilles deviennent des enjeux électoraux. À chaque période électorale, exploitant à fond les conditions inhumaines dans lesquelles vivent les habitants de ces zones extrêmement défavorisées, les politiciens leur font de bons discours, leur promettant de les sortir de la pauvreté. Parmi ces bidonvilles, Cité soleil est le plus convoité à cause de sa population ; près de 300 000 personnes y vivent. C’est le bidonville le plus peuplé de tous les bidonvilles de Port-au-Prince.

Jean-Bertrand Aristide, à l’époque où il était curé à l’Église St-Jean Bosco, paroisse située dans une zone populaire proche de Cité soleil, prenait toujours la défense des déshérités des bidonvilles dans ses sermons. Après avoir annoncé sa candidature à la présidence, il ne tarda pas à gagner à sa cause l’appui de la population de ces zones. Mais, c’est de Cité soleil qu’il a fait son fief politique.

En bon tribun, il a toujours su trouver les mots pour galvaniser l’ardeur politique de ses partisans. Il se faisait passer pour un messie, celui qui sortirait les gens de Cité soleil de la pauvreté. Il est acclamé comme un sauveur, un envoyé de Dieu, qui changera leur vie de misère en une vie décente. Leur espoir est vite consumé comme un feu de paille. Élu en décembre 1990, il entre en fonction en février 1991. En septembre de la même année, il est renversé par un coup d’État militaire et expulsé vers les États-Unis.

De retour en Haïti, en 1994, par la grâce du gouvernement américain, il a terminé son mandat présidentiel. En 2001, il a gagné de nouveau les élections présidentielles. L’appui et le soutien des habitants de Cité soleil et des autres bidonvilles ont joué un rôle important dans sa réélection.

Une fois réinstallé au pouvoir, il a bénéficié et exploité à fond l’appui et les soutiens indéfectibles d’un groupe de jeunes hors-la-loi, connus sous le nom de « chimères », qui sèment la terreur dans Cité soleil.

Après trois ans au pouvoir, ne pouvant gérer le désordre politique qui sévit au pays et contrôler les exactions des « chimères », il a été forcé, sous le couvert de l’ONU, par les États-Unis et le Canada, de renoncer au pouvoir et de reprendre le chemin de l’exil, cette fois-là en Afrique du Sud.

Depuis, Cité soleil ne cesse d’être la convoitise des politiciens. Certains distribuent de l’argent pour acheter des votes et les gangs s’entretuent pour le récupérer. (Gbadamassi, 2015, p.2)

Après le départ d’Aristide en exil en 2004, les chimères et d’autres gangs criminels continuent de semer la terreur à Cité soleil, avec une violence inouïe. Ces gangs armés commettent des exactions de toutes sortes : vols, viols, extorsions, kidnappings, meurtres. Chaque gang contrôle son territoire et emploie les moyens les plus violents pour le protéger. Ils font la loi et terrorisent la population. Cité soleil devient une zone de non-droit extrêmement dangereuse, où la violence armée se vit au quotidien, entre les gangs, et entre la police et les gangs lors des opérations policières. Dans les deux cas, ces violences se sont soldées par des morts et ont fait des victimes collatérales.

La police nationale n’arrive pas à maîtriser ces gangs, dont certains sont mieux armés que les corps de police. Le climat de violence est tellement élevé qu’au cours de l’année 2004, l’ONU a établi en Haïti une force de maintien de la paix connue sous le nom de MINUSTAH (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti). Sa principale mission est de pacifier Cité soleil. Après des années de combat, secondée par la police nationale, la MINUSTAH a pris le contrôle de ce bidonville des mains des gangs, en 2007. Le calme est revenu, et les gens ont retrouvé une certaine tranquillité, somme toute relative.

Car, malgré tout, Cité soleil demeure une zone à risque, parce que « La misère abjecte dont pâtit l’écrasante majorité de cette population et la conscience de sa marginalisation, en fait une vraie bombe à retardement ». (Gilbert, 2015, p.2) Ce ne seront pas principalement des gangs qui prendront Cité soleil en otage, mais la population elle-même, fatiguée de vivre comme des exclus et de souffrir tous les maux de la pauvreté qui fera entendre sa voix aux nantis.

 

Environnement sociosanitaire

Cité soleil est le bidonville le plus peuplé de l’arrondissement de Port-au-Prince, comme nous l’avons déjà mentionné. La plupart des maisons sont des taudis. Dans chacune on peut trouver une famille de plus de cinq personnes. La misère est à ciel ouvert à Cité soleil. Les habitants manquent de tout. Les conditions sociosanitaires sont alarmantes : précarité en matière de santé, environnement physique malsain (amoncellement de détritus et tas de boue un peu partout), problème sérieux de lieux d’aisance, problème majeur d’approvisionnement en eau potable, accès très limité à l’électricité, absence d’infrastructures, services publics quasi inexistants. Les habitants de Cité soleil vivent au quotidien dans l’absence totale d’hygiène publique.

Après la pluie, les conditions d’hygiène s’aggravent. À certains endroits, « l’eau de pluie ne s’écoule pas et forme des mares boueuses infectées de moustiques… Des enfants se baignent dans le canal sous un soleil de plomb, çà et là flottent ordures et excréments. » (Magazine du mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, 2006).

Pour pallier l’absence des services publics de l’État en matière d’hygiène publique, certaines ONG, comme le Comité international de la Croix-Rouge, viennent en aide à la population de Cité soleil relativement à l’accès en eau potable et au ramassage des ordures. Ces problèmes ne sont pas disparus pour autant, car aucune ONG ne peut remplacer l’État dans sa responsabilité sociale envers ses citoyens de toutes classes sociales confondues.

 

Conditions socioéconomiques

La vie à Cité soleil est synonyme de misère. Se nourrir minimalement est un calvaire pour la majorité des gens de ce bidonville. Les aliments sont chers, et le manque de pouvoir d’achat conditionne des familles dans une situation d’affamés. Le chômage est l’une des principales caractéristiques du statut social de la population de Cité soleil. Même ceux qui travaillent ont de grande difficulté à se nourrir, parce que dans les industries d’assemblage, ils gagnent un salaire dérisoire. Avec un tel salaire, subvenir à leurs besoins primaires est un handicap majeur. De ce fait, « ils se trouvent en situation de chômage déguisé ». (Paul, 2002, p.3)

La population de Cité soleil est sous-éduquée. Les parents n’ont pas les moyens économiques pour procurer à leurs enfants une éducation de qualité. Ceux qui le peuvent, mais avec beaucoup de sacrifices, représentent une infirme partie de la population.

Les habitants de Cité soleil souffrent de tous les maux de la pauvreté – tant sur le plan sociosanitaire que sur le plan socioéconomique. Ils sont démunis de presque tout. Ces exclus du système politique et économique, géré par une oligarchie aux comportements féodaux, antiprogrès, antipeuple, sont enfermés dans un état de dépendance. Ils ne sont pas tous des membres de gangs, des malfrats ou des parasites. Cette population se compose aussi de gens honnêtes mais acculés à la misère, il s’agit : « de petits besogneux, mais aussi des ouvriers, des femmes, des enfants, des adolescents, abandonnés par les pouvoirs publics et pris en otage par les gangs ». (Gilbert, 2015, p.2)

Plusieurs de ces familles font des efforts considérables, et parfois inimaginables, pour procurer à leurs enfants une formation professionnelle, pour les aider à éviter les mêmes situations de pauvreté qu’elles. Tel est le cas d’une jeune femme, Ismonde Joseph, aujourd’hui médecin. Elle a grandi à Cité soleil, dans une famille de cinq enfants très pauvre, comme tant d’autres. Elle a fait face à tous les problèmes liés à la misère et aux conditions de vie dans ce bidonville. Diplômée en médecine, elle n’abandonne pas pour autant Cité soleil. Elle offre aujourd’hui aux gens de ce milieu extrêmement défavorisé ses services en tant que médecin[1].

En guise de conclusion, il ne faut pas pour autant se leurrer ; malgré certains progrès réalisés sur le plan de l’ordre et de la sécurité, et de quelques aides apportées par certaines ONG sur le plan social, Cité soleil demeure un bidonville avec toutes les caractéristiques qui symbolisent les bidonvilles partout dans le monde. À cause de la pauvreté abjecte, du chômage endémique et de l’exclusion sociale, Cité soleil demeure une zone à risque où dort une explosion de révolte de sa population.

 

Références

Gbadamassi, Fallia, Haïti : Cité soleil, le bidonville dont se jouent gangs et politiciens, Géopolis, oct. 2015

Gilbert, Myrtha, Haïti : la guerre de basse intensité à Cité soleil, Alterpresse 2015

Louis, Ilionor, La capacité d’action collective des populations marginalisées dans le cadre de stratégies de lutte pour la reconnaissance. Le cas de Cité de l’Éternel à Port-au-Prince (Haïti) et de la Sierra Santa Catarina à Iztapalapa (thèse de doctorat), 2009

Paul, Eliccel, Études causes et conséquences socioéconomiques de l’expansion des bidonvilles dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, Mémoire online, 2002

Magazine Du Mouvement International de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, 2006

 

L’auteur Jean-Claude Roc est docteur en sociologie et enseignant à l’Université d’Ottawa et à l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Il est également professeur associé à l’ISTÉAH (Institut des Sciences et Technologies appliquées d’Haïti). Expert évaluateur au Fonds national de recherche scientifique de Belgique (FNRS), Jean-Claude Roc est spécialiste des mouvements sociaux, de la question nationale et du syndicalisme au Québec. Il a signé de nombreux articles et un ouvrage (un autre est en route) et mène des activités de recherche sur l’économie sociale et solidaire, sur les conflits ainsi que sur la pauvreté  dans le contexte de la mondialisation.

[1] Extrait du témoignage en créole (traduit en français par moi) de la Docteure Ismonde Joseph, publié sur AyiboPost le 5 janvier 2017

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