Lezarts ou Comment vivre la coopération au quotidien

Par Christine Archambault

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Le Québec est l’un des endroits sur le globe où l’économie sociale est la plus vigoureuse. Le mouvement coopératif des Caisses Desjardins, par exemple, gère un actif de plus de 210 milliards de dollars canadiens. Le réseau AGRTQ (Association des groupes de ressources techniques du Québec) compte 25 entreprises d’économie sociale vouées au développement communautaire et a créé plus de 50 000 logements dans différentes villes depuis sa fondation.

L’une de ces coopératives d’habitation s’appelle Lezarts et est située dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal, tout près du pont Jacques-Cartier. Il s’agit de la première coopérative pour artistes en arts visuels au Québec. Dans un immeuble de briques de trois étages, se trouvent 33 appartements-ateliers aux grandes vitrines invitantes en plus d’une galerie d’art. Les habitants des lieux sont des artistes en arts visuels et membres en règle d’une coopérative autogérée. Nous avons rencontré deux artistes qui habitent dans la coopérative depuis 2002. L’artiste-peintre Julie Desmarais et l’artiste en arts médiatiques Claudette Lemay sont, en effet, des membres fondateurs de la coopérative Lezarts.

 

Claudette Lemay nous reçoit dans son espace de vie et de travail, lumineux et regorgeant de plantes vertes. Entre son bureau et ses ordinateurs, se trouvent des maquettes, des esquisses et des photos qui témoignent de son labeur quotidien.

 

Il y a maintenant quinze ans que les premiers artistes se sont installés dans cette ancienne fabrique, construite en 1910, et qui abritait la Imperial Pin Company Limited.

 

« Le projet d’autogestion que nous avions n’aurait jamais vu le jour sans des subventions considérables, raconte Julie Desmarais, actuelle présidente du Conseil d’administration de Lezarts. Les subsides ont été versés par les gouvernements municipal, provincial et fédéral. Les premiers participants au projet ont eu une vision forte et ont d’ailleurs fait modifier le programme de subventions pour que nous y ayons droit. Aujourd’hui, nous fonctionnons de manière autonome. Le projet est mené à bout de bras par les locataires bénévoles. Ce n’est pas toujours facile de gérer un budget de 200 000 $ par année et c’est une énorme responsabilité. », rappelle Julie.

 

Claudette précise que chaque locataire s’engage par contrat à donner de son temps à la coopérative. « Il y a sept volets de gestion, dit-elle, soit les finances, l’entretien, le volet artistique, les communications, la sélection des futurs membres, le secrétariat et le voisinage. Le volet artistique, c’est ce qui nous unit. Nous sommes tous artistes en arts visuels. »

 

Trente-deux logements sont occupés par les membres de la coopérative, et le trente-troisième l’est par un artiste étranger en résidence, dont le séjour à Montréal est subventionné par le Conseil des arts et des lettres du Québec.

 

Lezarts a aujourd’hui un historique riche d’expériences et de démarches artistiques et administratives. « D’autres coopératives nous consultent. On est cités en exemple. On est vraiment bien structurés, avec des règlements très précis sur les conditions de la vie communautaire et les devoirs et droits de chacun des membres. Le fait qu’on soit tous artistes, et conséquemment travailleurs autonomes, facilite les choses, indique Claudette Lemay. On s’autogère déjà dans nos carrières, et on est motivés à ce que ça marche rondement au sein de la coopérative. »

 

« Nous ne sous-estimons pas, par ailleurs, le travail monumental qu’il a fallu consentir pour que la coop devienne réalité. Faire démarrer un tel projet, c’est monstrueux, affirme Julie. Mais ça en vaut tellement la peine. Nous avons des logements exceptionnels à coûts raisonnables. »

 

La nature au centre-ville

 

Si l’on m’apprenait que la fin du monde est pour demain, je planterais quand même un pommier.

Martin Luther, moine, scientifique et théologien (1483-1546)

 

On dit que les arbres rafraîchissent l’air de 4 à 8 degrés, amortissent le bruit ambiant et séquestrent les matières en suspension et les gaz polluants. L’arrivée de la coopérative a changé durablement le visage du quadrilatère. Les membres de la coopérative ont multiplié les corvées horticoles au fil des années, et là où il n’y avait qu’un stationnement en asphalte, on trouve maintenant un potager et un jardin où s’épanouissent vivaces, fougères, saules japonais et vignes luxuriantes. Selon, les Chinois, « le grand nombre est avantageux en soi. » Claudette abonde dans le même sens. « On peut accomplir bien davantage en groupe. L’an dernier, par exemple, quand une des membres a eu l’idée de créer le potager en bacs, une autre membre est allée chercher une subvention, et une autre encore a procédé à l’étude puis à l’achat des semis et pots nécessaires. »

 

La mise en commun des énergies est indispensable à la survie de Lezarts. « Pour assurer la bonne marche de la coopérative, nous avons mis en œuvre un processus de sélection des membres rigoureux, explique Claudette. Nous évaluons le portfolio des candidats, mais également leur volonté d’engagement. » Le volet entretien est prenant ; 50 % des effectifs de la coop sont occupés par l’entretien, relativement aux coûts et au temps qui y est consacré. « C’est tout un boulot d’entretenir un immeuble qui vieillit », dit Julie. « On parle du toit, du chauffe-eau, des robinets, de la structure de la bâtisse et de l’ensemble du terrain, ajoute Claudette. On tente de tout faire nous-mêmes, mais récemment, nous avons dû changer 70 fenêtres, donc, on doit aussi faire appel à des professionnels. »

 

Un milieu de vie solidaire et artistique

 

Dans une société et une époque aux fortes tendances égocentriques, cette vie communautaire peut sembler exigeante. « Pour moi, vivre dans cette coopérative, ça concorde avec mes valeurs, déclare Claudette. Mes valeurs de fraternité, d’entraide et d’amitié. » Julie acquiesce : « Notre sentiment d’appartenance à Lezarts est très fort, ce qui n’empêche pas que le respect de la vie privée fasse partie de nos valeurs primordiales. »

 

L’entrevue est interrompue par le voisin Jean, qui vient porter des victuailles à Claudette, car il s’adonne à des expériences culinaires et cherche des cobayes consentants et gourmands.

 

« Oui, en plus de l’émulation artistique que nous apprécions tous, l’entraide est omniprésente sous notre toit ! C’est valable pour l’aspect social (échanges de conseils, d’objets dont on veut se départir, de services de gardiennage d’enfants et de chats, etc.) ainsi que pour ce qui est de la sécurité et du soutien moral », affirme Claudette. « C’est du bon voisinage ! », résume Julie.

 

« Nous avons tous des parcours artistiques différents, mais savoir que notre voisin travaille à côté, dans son atelier, ça nous encourage. Un membre qui revient d’une résidence d’artiste et qui nous en parle, ça fait émerger un tas de possibilités, explique Claudette. C’est stimulant ! De nombreux projets sont nés du fait de vivre en coopérative. Être entourés de gens qui créent, ça donne un élan à notre propre pratique artistique », témoigne-t-elle.

« Et on rayonne dans le quartier et ailleurs à Montréal », affirme Julie. Entre autres projets, les membres de la coopérative participent aux Journées de la culture au mois de septembre, à la Virée des ateliers au mois de mai et organisent une exposition collective par année à la Chaufferie.

 

« On travaille actuellement à développer l’image de la Chaufferie, dit Claudette. Notre galerie d’art sert en effet d’incubateur à des expositions qui voyagent ensuite. J’ai eu la chance d’acquérir de l’expérience en commissariat en codirigeant l’expo Pur dessin avec Camilla Vasquez en 2016, exposition qui a ensuite élu domicile dans des maisons de la Culture. »

 

La coop est donc un lieu d’apprentissage extraordinaire. Claudette a été présidente du Conseil d’administration pendant près de quatre ans. « Mon père m’a rappelé que je ne croyais pas être capable de relever ce défi, se souvient-elle. La coopérative est vivante. Elle a changé en quinze ans. On a tous beaucoup appris. À titre d’exemple, on a développé de bons outils de gestion, comme des bases de données qui permettent d’assurer le suivi des dossiers. »

 

Claudette et Julie considèrent qu’on pourrait étendre le modèle de Lezarts partout au Québec. « Ce qui est le plus avantageux, c’est qu’on prend en charge notre milieu de vie. On décide nous-mêmes de notre orientation. Sans être propriétaires, on a plus d’emprise sur notre ‘foyer’ », se réjouit Claudette. « Le mode de vie coopératif, c’est vraiment un bénéfice pour la qualité de vie des artistes que nous sommes », conclut Julie.

 

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http://juliedesmarais.com/portfolio.html

http://claudettelemay.com/

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