D’où je viens

Par Will Prosper

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D’où je viens, être en direct, ici, c’est une anomalie.

 

D’où je viens, les seuls micros ouverts sont ceux du haut de l’hélicoptère TVA qui, de là-haut, parlent d’un homme de race nwère (noire).

 

D’où je viens, on développe des tics : garder les deux mains sur le volant, les mains bien en l’air, ne pas faire de gestes violents.

 

Toujours perçus comme une menace, d’où je viens, vous ne venez pas, et où je vais, vous ne me voulez pas.

 

D’où je viens, Fredy Alberto Villanueva, Kim Ngu Lieu, Maria Altagarcia et Bony Jean-Pierre devraient encore y être, mais n’y reviendront pas.

 

Le cirque ne revient pas lui non plus, car en politique, nous avons déjà atteint notre quota d’amuseurs publics.

 

D’où je viens, nos plus belles chenilles rêvent de s’envoler mais, drapées dans leur cocon, elles sont imbibées dans un environnement toxique qui bloque de façon systématique l’envol des papillons qu’elles sont.

 

D’où je viens, je me demande si nos petits de couleur rêvent d’être des pitbulls, simplement pour obtenir le même capital de sympathie que ces petites bêtes.

 

Oui, je sais, c’est chien de penser ainsi, mais avec 600 000 signatures pour une pétition pour les pitbulls, alors que la pétition sur le racisme systémique obtient à peine 2 700 signatures… Trouvez ce qui est le plus chien.

 

Dire que ça a été pratiquement automatique pour la commission journalistique !

 

Dommage que Patrick Lagacé ne soit pas noir. Je devrais dire n’est-il pas dommage qu’ici, au Québec, il n’y ait même pas un ou une journaliste de presse noir(e) ? « Beau malaise », dirait Martin Matte.

 

Voulez-vous un autre beau malaise ? Chez nous, tout le monde connaît le nom de Cédrika Provencher, mais pas un seul d’entre nous ne peut nommer une seule des milliers de filles et femmes autochtones disparues, tchuippeee.

 

Tant qu’à y être, un autre beau malaise… Chez nous, quand un Blanc fait du black face, on a des white faces dans les médias qui décident si c’est correct de faire du black face. Whitesplaining at his best.

 

Je rêve au jour où on posera la question absurde suivante à un leader de la communauté blanche : « Dénoncez-vous la violence faite contre les Noirs par les Dylann Roof de ce monde ? »

 

Je rêve aussi du jour où nous, les hommes, on ne va pas seulement dire qu’on vous croit. On vous croit ; la culture du viol existe, mais par surcroît, on va s’assurer de combattre le sexisme.

 

On préfabrique une peur noire, qui accentue la peur blanche galvanisée à l’ignorance, et pendant ce temps, on oublie que nous avons au Québec la circonscription la plus pauvre du Canada.

 

Mais les progressistes aussi l’ignorent, trop occupés à parler des deux solitudes. Savent-ils seulement que nous sommes la troisième solitude ?

 

Pourquoi on nous demande toujours de s’intégrer même si… « La gang, moé, c’est icitte que je suis né. » Je peux-tu savoir c’est qui qui donne le call à savoir quand on est intégré ? C’est-tu en mangeant de la poutine, en dansant de la gigue, en buvant de la Molson tablette ou en chantant « Ton arrière-arrière-grand-mère, elle s’est fait voler sa terre, pis ton arrière-grand-mère, elle s’est fait violer, pis c’est comme ça que toé, t’es né. »

 

Oups, désolé, c’est le remix des Premières Nations, qui est un peu plus heavy. J’avais aussi la version africaine en tête, mais les deux se ressemblent tellement.

 

Ça fait des générations qu’ils sont là, pourtant dans nos livres d’histoire et sur nos ponts, ce ne sont même pas leurs noms qui sont inscrits pour avoir découvert le Québec. Ça fait des millénaires qu’ils sont là. Pourtant, tu parles de chez vous comme si les véritables hôtes ne t’entendaient pas.

 

Parlant de débat de sourds, sérieux, faut qu’on se parle ! Car tout le hood en parle !

 

Moi, il faut que je parle à mes deux petits trésors. J’aimerais leur dire que leur papa s’est battu contre le racisme, contre les inégalités et contre les injustices pour qu’elle et lui n’aient pas à le faire plus tard. Je vais leur raconter l’histoire du Québec à ma façon toute particulière.

 

Vous savez, mes petits trésors, un jour, des femmes et des hommes se sont levés et ont dit :

« Vive le Québec, vive le Québec libre »… de profilage racial. Libre de racisme, car il y avait jadis un système qui cherchait « Comment faire pour profiler un nègre sans se fatiguer ».

Plusieurs se sont dit : « On n’est pas un petit peuple, on est peut-être quelque chose comme un grand peuple »… qui se bat contre les injustices. Mais il y en avait quand même qui cherchaient à qui la faute et avaient peur de perdre de « l’argent à des votes ethniques ». Ils décidèrent donc d’envoyer « l’agent aux autres ethnies ». Le lendemain, plusieurs races et BS crièrent. « C’est vrai, c’est vrai qu’on a été battus. Mais au fond, par quoi ? Par l’agent, puis des bottes tactiques ».

 

Le peuple se réveilla et se dit : « À nous de jouer. Quand nous défendons les injustices de chez nous, ce sont toutes les injustices du monde que nous défendons contre l’hégémonie d’un oppresseur. »

 

Moi, « Mon pays, ce n’est pas un pays : c’est divers ». Il y eut donc une sorte de « révolution tranquille ». L’égalité et la justice prirent finalement place au Québec, car ce n’était « qu’une question de temps. » On n’avait pas besoin d’attendre et de lire « Sur la tombe du peuple québécois, ci-gît le peuple qui fut le plus généreux avec ses minorités », « du pain et des roses pour tout le monde », puisqu’au fond, nous formions déjà la majorité, avec toutes ces belles diversités d’êtres humains.

 

Et si un jour, nous éliminons le racisme systémique, le sexisme, les injustices et les inégalités, je pourrai dire que « Je n’ai jamais pensé que je pourrais être aussi fier d’être Québécois. »

 

Oui, toi aussi, ma belle, et toi aussi, mon beau, vous êtes des Québécois, d’origine haïtienne. Et si jamais j’échoue, je dirai comme Toussaint Louverture lors de la révolution haïtienne :

« En me renversant, ils n’ont abattu que le tronc de l’arbre de la liberté. Il repoussera par les racines, parce qu’elles sont profondes et nombreuses. »

 

Et si vous vous souvenez d’une seule partie de mon histoire, mes enfants, c’est que vos deux devises nationales forment ensemble « Je me souviens» … que «l’union fait la force ».

 

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Will Prosper est un auteur et documentariste montréalais qui milite pour les droits civiques et humains

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