Gérald Godin, intime et inattendu

Par Luc Dupont

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Vu à travers l’évènement qu’a constitué le spectacle commémoratif « Pauline et Gérald : ‘J’arrive où je suis étranger’ » donné à Montréal, le soir du vendredi 26 septembre 2014 – Place Gérald-Godin – à l’occasion des 20 ans de la mort du député-poète.

Prologue : portrait en forme de lettres

(Extrait d’un courriel aux co-auteures du spectacle, Madeleine Royer et Chantal Bédard, envoyé le mercredi 24 septembre 2014, à moins de 48 h du spectacle, au sujet des résidents récalcitrants de l’immeuble portant sur son flanc le poème « Tango de Montréal » de Godin, au pied duquel notre scène devra être montée, des éclairages et une sonorisation déployés, et où une chanteuse, un poète, trois musiciens, un député et différents invités iront et viendront, pendant deux heures, « jeter un peu de mémoire sur le feu »

Lettre première

Luc Dupont ‘lucdupont59@gmail.com   24/09/2014

À Madeleine Royer et Chantal Bédard,

co-auteures du spectacle

Bonjour les Filles,

Je vous fais parvenir (voir ci-dessous) cette lettre de conciliation destinée à nos résidents « embarrassés », que je vous invite à considérer, et à corriger/compléter au besoin. Assurons-nous simplement que l’essentiel soit là.

Si ça vous va, transmettez-la, svp, dès ce soir à nos plus fidèles alliées : à France St-Jean du bureau de Luc Ferrandez, à Marlène Lessard, collaboratrice d’Amir Khadir (lequel doit d’ailleurs prendre part au spectacle – je lui ai déjà proposé un texte de Gérald, et il en lira un deuxième en langue persane), ainsi qu’à Claudia Coulombe, notre logisticienne aux événements publics à la ville de Montréal.

Qu’en pensez-vous ?

On va y arriver ?

Luc

PS : Ci-dessous, cette lettre de dernier recours, à amender sans gêne au besoin :

Lettre deuxième

Photo : Luc Dupont
Photo : Luc Dupont

LA CHAIR DE CETTE IDÉE : présenter, place Gérald-Godin, à la brunante, sur une estrade installée au pied même de la murale « TANGO DE MONTRÉAL », notre spectacle commémoratif de mots et de musiques.

« Madame Pénélope Saintonge

Monsieur Ulysse Boniface

Monsieur Francis Leclaire [1]

Notre collègue, Chantal Bédard, nous a mis au courant plus tôt aujourd’hui des échanges et des rencontres qu’elle avait eues mardi soir avec vous. Nous avons accueilli le tout, bien sûr, avec beaucoup d’attention et nous en avons discuté un bon moment.

Ça ne fait aucun doute pour nous : vos craintes sont légitimes. Ces craintes, telles que nous les avons perçues, disent un malaise réel ; elles disent : si nous acceptons la tenue d’un tel spectacle, qui va aller cette fois-ci jusqu’à toucher physiquement notre immeuble, n’y a-t-il pas là un risque d’ouvrir la porte à ce que de plus en plus d’événements du genre se reproduisent dans l’avenir ? Vous pouvez aussi nous faire remarquer, et avec raison : mais pourquoi les artistes ne se contentent-ils pas d’occuper la partie nord de la Place Gérald-Godin ? Et pourquoi venir si près de nos habitations, si près de notre intimité résidentielle, quand vous pourriez faire autrement ?

Pour répondre à ces questions, nous avons pris le parti, non pas « d’avoir raison », mais de nous expliquer ce qui nous a poussés à incarner le spectacle de cette façon bien précise.

Sachez d’abord que notre volonté de nous approcher à ce point de la murale, pour y inscrire le déroulement du spectacle, est due à une conjonction de circonstances qui n’est pas près de se reproduire, à savoir que c’est cette année les 20 ans de la mort de Godin, ex-député du comté de Mercier, et homme dont le passage ne fut pas sans marquer profondément les esprits.

Poète avant d’être journaliste, et journaliste avant d’être député, l’homme aura réussi à instiller une fabuleuse proximité avec les citoyens de sa circonscription, et tout particulièrement avec les nouveaux arrivants qui furent nombreux dans les quartiers de Mercier. On le verra monter les « escaliers du porte-à-porte » en 1976 (l’année où il allait battre Robert Bourassa dans ce Mercier qu’il – et qui le – marquera tant), distribuant, entre deux poignées de main, des poèmes à ces futurs électeurs. Puis on le verra, par la suite, redescendre les mêmes « escaliers du porte-à-porte » à l’été 1989, le crâne à moitié rasé, avec des copies de ces mêmes poèmes qu’allaient lui resservir les mêmes électeurs avec lesquels il avait désormais tissé des liens véritables, preuves que le poète n’avait jamais cessé d’irriguer l’homme, même quand il devint politicien, avec comme résultat des liens innombrables que les milliers de conversations et les millions de mots échangés n’ont pas encore totalement abolis 20 ans après sa mort.

C’est clair que Godin avait inscrit son action de poète, comme de député/ministre, dans les mots. Voilà pourquoi cette murale, qui porte les mots mêmes de l’écrivain, est à nos yeux devenue cet « horizon » que nous avons souhaité ardemment atteindre depuis le début de nos démarches. Et c’est pour ce faire que nous nous sommes prêtés de bonne grâce à toutes les réglementations que la Ville de Montréal et la STM nous ont imposées.

Votre réaction bien compréhensible à notre demande justifie le temps que nous prenons aujourd’hui pour vous expliquer nos motivations. Nous aurions pu et dû le faire plus en amont encore du processus. Nous nous en excusons sincèrement. Et nous espérons très fort que vous consentirez, pour cette fois seulement, et conditionnellement à des limites que vous nous imposerez à la tenue de ce spectacle au pied même de la murale.

Continuons ensemble cette discussion, de vive voix, si c’est possible. »

Madeleine, Chantal et Luc

***

Lettre troisième

« Cher Gérald Godin – d’où vous êtes, vous nous entendez ? vous nous lisez ? vous nous avez vus batailler à ce moment-là ?

En tout cas vous venez d’avoir ici un avant-goût des tribulations qui furent les nôtres, il y a tout juste deux ans à « T moins 2 jours » de notre aventure commémorative.

En vous « communiquant » ainsi les grandes lignes qui nous guidèrent tout au long de cette conception – et en espérant que ça vous atteigne là où vous êtes avec tous les autres – nous voulons, Madeleine, Chantal, et moi-qui-vous-écrit, non seulement cristalliser un peu de ce moment unique qui vous portraiture à rebours, avec nos yeux du 21e siècle.

Mais nous souhaitons également le partager avec les lecteurs et lectrices de POSSIBLES, sous un format audacieux – ici un enchaînement de lettres presque sans « solution de continuité » – qui respecte néanmoins un fragment de l’ADN séminal de cette revue littéraire et politique telle que l’avaient souhaitée ses six fondateurs (quatre poètes et deux sociologues), à savoir que POSSIBLES se devait d’être attentif et sensible à l’émergence des formes nouvelles, ces formes qui reconfigurent sans cesse sociétés, idéologies et poésies en marche; et c’est bien entendu couvert de tels « vêtements » originaux que nous vous avons ainsi porté en scène, en ce siècle nouveau que vous n’habitez plus maintenant que par intermittence numineuse.

À bientôt ! »

Partie 1 : Le Québec à l’Âge métis 

Lettre quatrième

« Nous avons le « bientôt » bref, n’est-ce pas, sinon envahissant, direz-vous, M. Godin, sourire en coin – espérons-le ! Car déjà cela nous amène à vous communiquer cette autre lettre, adressée celle-là à votre successeur – de cœur, comme vous, et de juste colère ! –  qui, depuis trois élections consécutives, représente les gens de Mercier.

À la vérité, plus d’une raison nous poussait vers M. Khadir, d’abord nous l’avons dit, parce qu’en cœur et en esprit, nous savions qu’il vous était frère. Ensuite, il se trouvait que son origine iranienne et son état d’immigrant, bien que depuis fort longtemps – puisque nous savions qu’il avait ses classes secondaires ici, à Saint-Pierre-Claver, à deux pas de l’église où vous seriez salué une dernière fois – cadraient magnifiquement avec l’angle de notre spectacle…

Car nous avions décidé au bout de la première année de préparation – des trois qu’aura nécessitées cette aventure – à la lecture d’un poème d’Aragon, « J’arrive où je suis étranger » de mettre comme fil conducteur de notre proposition de spectacle l’angle précis de l’ouverture avant-gardiste à l’altérité, que vous aviez manifestée avec Pauline, mais chacun à votre façon : vous, que les fonctions de ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles portait vers l’Autre – mais d’une façon politicienne tellement personnelle ; de même, Pauline, en tant qu’ambassadrice de la chanson québécoise à l’étranger, mais également, dans la dernière partie de sa vie, comme coopérante au Mozambique !

Enfin il se trouvait que M. Khadir se présentait lui-même comme un amoureux de la poésie, celle d’ici comme celle aux racines profondes de son pays d’origine et cela sans que ça ne puasse une miette l’opportunisme électoral.

Lettre cinquième

Montréal, 2 mai 2014

M. Amir Khadir

Député provincial de Mercier

Bureau de circonscription

1012, avenue du Mont-Royal Est, bur. 102

Montréal

Bonjour M. Khadir,

Vous vous souviendrez peut-être de nous… Le 5 mars dernier, avec votre collaboratrice Marlène Lessard, vous entriez au Café Le Placard sur la rue Mont-Royal, avec votre feuille à remplir de signatures pour officialiser votre candidature à l’élection du 7 avril – encore une fois gagnée haut la main, BRAVO !

Nous avions alors échangé quelques mots concernant ce spectacle autour des 20 ans cette année de la mort de votre prédécesseur. Nous vous disions alors l’avoir présenté plus tôt dans l’année au Château-Dufresne et que nous étions maintenant en démarche avec l’Arrondissement du Plateau Mont-Royal et son maire Luc Ferrandez, pour répéter l’exercice! Vous nous aviez alors gratifié d’« une tape dans le dos symbolique » en nous lançant : « Dites à vos gens de l’Arrondissement que je suis tout à fait derrière vous pour ce projet ! Vous viendrez déposer votre dossier à mon bureau après l’élection ! ». Nous suivions donc, vous pensez bien, le décompte des votes au soir du 7 avril…

Notre demande, M. Khadir, prend bien sûr la forme attendue et prévisible d’un appui financier – les détails à cet effet apparaissent à l’intérieur du DOSSIER qui accompagne cette lettre. Notre démarche vers vous – à ce projet commémoratif – est également justifiée par un besoin d’« appui-supplément d’âme »…

Veuillez accepter […]

Luc Dupont

Madeleine Royer

Chantal Bédard


[…] EXTRAIT DU DOSSIER D’ÉCRITURE DU SPECTACLE, ACCOMPAGNANT CETTE LETTRE

[« MADELEINE : Ils avaient les mots en commun. Elle les a chantés. Lui les a fait poèmes ; les a portés jusqu’au politique, jusqu’à l’Assemblée du peuple. Elle, elle a honoré la chanson ; l’a montée comme cheval de bataille.

LUC : Le mot Étranger – issu du poème d’Aragon « J’arrive où je suis étranger » avec lequel nous avons finalement titré notre opus, nous l’avons pris ici au sens large :  car l’Étranger, pour nous fidèles aux incarnations poétiques de Godin, c’était autant le pauvre, le marginal, que l’immigrant, tous et toutes gens évoqués par l’écrivain dans ses poèmes, ainsi que toutes ses communautés culturelles qu’il a ensuite côtoyées comme député et ministre. Son ami Miron n’écrit-il pas à ce propos : « toi qui apparais / par tous les chemins défoncés de ton histoire… » ? Dans cette veine également, Godin donnera en intitulé de son 6e recueil, le titre de Sarzènes , mot issu de « Sarrazin », équivalent d’étranger.

MADELEINE : Dans ce spectacle, nous faisons le pari que la pertinence qu’ont eue Gérald et Pauline à la grande époque de l’affirmation nationale peut être parfaitement reconduite à notre époque de mondialisation, où les formes de l’affirmation tiennent davantage aujourd’hui à l’invention audacieuse de nouveaux « vivre-ensemble » !

LUC : Ainsi, après l’Âge de la Parole de Roland Giguère – l’âge de la revendication, de la fierté, de la dignité – de l’affirmation souveraine (chantier perpétuel), nous voici maintenant, en cette deuxième décennie entamée déjà du 21e siècle, à un autre temps du Québec, à un autre temps pour les peuples : nous sommes arrivés à ce qui est en marche depuis toujours : à l’Âge métis…


Partie 2: Le Québec à la langue blessée

Lettre sixième

Cher Gérald, encore nous ! (Je vous entends dire : « c’est une manie »! – je vous réponds : « oui, c’est quelque chose de ce genre ! » )

Ainsi donc, piqués par les obstacles, mais dopés par les appuis successifs, bref lancés comme nous l’étions à la belle épouvante, par quelque chose qui nous dépassait et comme des chevaux bien sauvages qui, pensez-vous, allait bien pouvoir nous arrêter ? Pas grand’chose. C’est ainsi qu’après avoir relu vos Cantouques de 1967, l’idée nous a pris de les illustrer dans le spectacle : pas tous, mais seulement un de la vingtaine qui nous touchait particulièrement, celui titré justement « Cantouque des racines ». Nous avons alors contacté Annie et Pierre qui, pour n’être pas des dessinateurs patentés, n’en sont pas moins des artistes que vous auriez aimé connaître, nous en sommes certains.

Pierre Allard et Annie Roy ont créé il y a déjà un bonne dizaine d’années une organisation au nom unique au monde : l’ATSA (Association terroriste socialement acceptable). Et chaque année, au plus gros de l’hiver, ils émergent dans l’actualité avec leur invitation à passer la nuit dehors avec les itinérants montréalais. Le plus souvent ils hissent de grands abris sur la Place Émilie-Gamelin, et offrent à nos plus mal-pris un peu de luxe quoi : des massages, des films, de la nourriture cuisinée par des chefs de restaurants étoilés ; et surtout, surtout, une réelle proximité humaine avec Monsieur et Madame Tout-le-Monde, présence chaude et attentive le plus souvent déficiente envers eux.

Or, durant l’un de ces hivers, ou était-ce à l’automne, nous avions vu circuler, dans les médias, une campagne de sensibilisation de leur initiative qui avait pris la forme, dénoncée par quelques-uns, de photos d’itinérants prises en milieu naturel si on peut dire : c’est-à-dire dans la rue et sous leur abri de fortune…

Vous le devinez bien : nous avons contacté Pierre et Annie pour qu’ils nous prêtent quelques-unes de ces photos afin qu’on les insère dans le spectacle au moment où Madeleine ferait entendre les mots de votre Cantouque des racines qu’elle allait introduire ainsi : « Les plus mal pris de notre société, Gérald Godin en a fait des sujets dignes du plus beau de toutes les littératures : sa poésie. »


[…] EXTRAIT DU DOSSIER D’ÉCRITURE ALORS EN COURS

« MADELEINE :

CANTOUQUE DES RACINES

Malgré mon dépatriement

Mon absence et mon orphelinat [DIAPO D’ITINÉRANT 24]

Malgré mon errance et ma courrance

Après mon tout

Moi battre la campagne sans me lasser [DIAPO 25]

À la chasse à mon habitat mon espace vital

Mon aire de ne pas crever [DIAPO 26]

Je veux m’inscrire dans mon lieu

Terre humus et sol tombe des vieux

À leur insu déracinés [DIAPO 27]

Je veux écrire mon passage ma venue

Pour la mémoire de ceux qui viendront [DIAPO 28]

Sans héritier sans enfant

Sans descendant sans suite [DIAPO 29]

Sans lignée sans branche et sans progéniture

Topographie du vide et des absences

Je me rendrai à moi-même mon dû [DIAPO 30]

Un jour j’aurai

Mottes de terre et racines aux pieds [DIAPOS 31-32-33]

LUC : Le même Gérald Godin écrivait en 1963 : « Nos élites, qui ont la vue courte, agissent en somme comme si c’était la langue qui était malade, alors que c’est la nation qui est mal en point, la culture nationale qui est pourrie, l’État québécois qui est infirme et l’âme québécoise qui est blessée dans le plus profond d’elle-même. » Il ne l’envoyait pas dire… !


Partie 3 : « Les immigrants sont des poèmes »

Lettre septième

Montréal, 1er septembre 2014

M. Emanuel Linhares

Président du Conseil d’administration

Caisse Desjardins Portugaise

4244, boulevard Saint-Laurent

Montréal

Bonjour !

Ce n‘est un secret pour personne que, toute sa vie durant, le ministre Gérald Godin a cultivé des liens étroits avec les communautés culturelles de Montréal, notamment les Portugais, n’est-ce pas ? – encore que qualifier ces liens « d’étroits » soit un gros euphémisme ! Et vous êtes de ceux-là.

Nous le savons, car nous avons aussi contacté et rencontré deux anciens attachés politiques de Gérald Godin :  de la communauté grecque, Monsieur Joseph Xénopoulos, de même que Monsieur Arlindo Vieira, l’un de vos compatriotes. Et c’est d’ailleurs ce dernier – en voyage au Portugal au moment où nous l’avons contacté – qui nous a parlé de vous.

Nous avons aussi rencontré Monsieur Theokratis Fournaris, ainsi que sa femme Irène, de l’Association des travailleurs grecs, qui a toujours pignon sur la rue du Parc comme à la belle époque où Godin s’y rendait souvent, parce que, comme vous le savez, il avait fait, du couple Fournaris, des membres actifs d’un organisme-conseil gouvernemental (dont vous étiez peut-être aussi, qui sait ?) afin de l’éclairer sur les réalités mouvantes de la gente immigrante dont il avait la charge politique… Mais pas seulement : qu’il devait aussi avoir à cœur – et terriblement! – n’est-ce pas ? Car Grecs, Portugais ou Chiliens, Ukrainiens ou Tchétchènes avaient droit à sa même écoute attentive et non factice.

Je vous dis cela, Monsieur Linhares, émotif un peu, et sûrement hors protocole pour l’artiste qui vous arrive aujourd’hui en collecteur de fonds, mais aussi en cicérone qui vous prie de faire circuler ce message – que dis-je : cette invitation à être parmi nous le 26 septembre prochain à 19 h 30, Place Gérald-Godin, car inconcevable ce serait de rappeler la mémoire de Gérald Godin et de sa compagne Pauline, en votre absence.

Veuillez recevoir, Monsieur Linharès […]

PS : Monsieur Arlindo Vieira, quand nous avons échangé quelques mots, m’a fait réaliser qu’à un certain moment de sa vie politique, Gérald Godin s’était formé une garde rapprochée d’attachés politiques tous et toutes issus, avant leur arrivée au Québec, de régimes totalitaires : celui des Colonels, dans le cas des Grecs ; de Salazar dans celui des Portugais, et de Pinochet pour les Chiliens qui travaillaient avec lui. Ça fait du sens pour vous, une telle constatation ?   

Lettre huitième

Cher Gérald – suite !

Que l’été 2014 s’est écoulé rapidement ! Nous nous retrouvions déjà au seuil de septembre avec l’impression que le volume de travail à faire – qui mêlait collectes pécuniaires, contacts techniques et répétitions – ne semblait pas diminuer d’une miette, mais s’accentuer encore ! Avec son lot de surprises, comme générées par cette part d’intensité que nous ne cessions d’y injecter.

Car comment expliquer autrement la visite que je fis à l’Association des Travailleurs grecs de la rue du Parc, que je qualifierais aujourd’hui de totalement surréaliste : je me vois encore entrer à l’intérieur de l’immeuble inondé de lumière que vous connaissez mieux que moi, avec son immense baie vitrée donnant sur le trottoir. Et je revois encore les quelques grappes de joueurs de cartes qu’y s’y trouvaient lever alors soudainement et tous en même temps la tête en ma direction, avec un visage interrogatif et m’adressant en anglais, que je maîtrise mal, les quelques mots du genre : « Vous désirez, Monsieur ? ». Et incapable de baragouiner longtemps dans la langue de Shakespeare la raison de ma présence impromptue, je me suis entendu bredouiller votre nom « Gérald…Godin… », qui sembla leur claquer illico en pleine figure tellement leurs yeux s’éclairèrent et, en même temps, pointèrent, vers le plafond ; non pas pour me signifier qu’hélas l’homme de qui je venais d’égrener les quatre syllabes du nom n’était plus de ce monde, mais plutôt pour m’inviter à me déplacer « upstairs » là où je trouverais assurément à qui parler de vous.

Et je me retrouvai, quelques secondes plus tard, dans le regard même du septuagénaire Theoharis Fournaris, souriant, mais presque s’embuant de larmes, quand il m’entendit prononcer votre nom et déballer l’invitation toute spéciale qui leur était faite, à lui, sa femme et toute la communauté grecque, d’être là pour vous saluer, à titre d’invités d’honneur. Ce fut certainement la soudaineté de mon apparition, conjuguée à ce long temps passé depuis votre disparition, et à ce projet de vous refaire revivre, qui créa dans ce petit bureau, ce climat surréaliste presque lumineux où j’eus le sentiment de voir mon corps se transformer en écran sur lequel se projetaient les souvenirs forts d’un être aimé. Il s’installa donc instantanément entre nous, une amitié. Aussi foudroyante qu‘un coup de foudre. Et les Fournaris m‘ont fait la belle surprise de traduire en grec (voir fichier joint accompagnant ce texte), spécialement pour l‘événement du 26 septembre, le « T‘en souviens-tu Godin », poème où vous dites, sans la dire comme telle, votre transition du poétique au politique – ou votre non-transition, c’est peut-être plus juste, en un troisième « état » qui les joint tous les deux dans la même gerbe !

À bientôt – « vous n’avez plus besoin de le spécifier », oui c’est vrai… farceur, va !

PS : Lorsqu’il m’a été donné finalement de rencontrer M. Linhares en personne, et que je suis allé au bout de ma curiosité en lui demandant de m’expliquer de quoi, selon lui, avait été constitué votre succès sans égal dans l’histoire politique récente quant à vos rapports avec les communautés culturelles, il me répondit « Godin avait trois qualités : 1- il ne nous donnait jamais l’impression qu’il s’adressait à nous « de haut » ; nous nous sentions constamment à sa hauteur ; 2-Godin était quelqu’un qui écoutait vraiment les gens ; 3- les rencontres avec lui étaient habituellement, suivies d’un réel engagement de sa part sur le terrain où nos demandes allaient l’amener.


[…] EXTRAIT DU DOSSIER D’ÉCRITURE ALORS EN COURS

LUC : Il existe, dans les archives, une fabuleuse trace du rapport, entre « poétique et politique », qu’entretenait Gérald Godin avec les immigrants qu’il a longtemps représentés à titre de ministre titulaire : je veux ici parler d’un mémorable entretien qu’il accorda en 1984 à un journaliste de la revue VICE VERSA, revue magnifique d’avant-garde, revue intellectuelle et sociale, dans le sens le plus noble du terme, et qui se présentait trilingue, mes amis, en français, en anglais et en italien.

Voici un montage de quelques extraits de cet article , signé Jean-Victor Nkolo :

« Décembre 1984…

L‘Homme était visiblement affaibli. La maladie l‘avait marqué. Je dis l‘homme parce que pour la première fois peut-être, je ne rencontrais pas seulement le politicien, ni simplement le nationaliste. Je rencontrais Gérald Godin, en chair, et sans les échappatoires que les politiciens habiles savent jeter aux médias, comme de vulgaires os.

En ce matin de rude hiver, nous nous étions donné rendez-vous dans un restaurant grec de l‘Avenue du Parc. C‘est Gérald Godin qui avait lui-même choisi ce lieu. Il venait d‘être délesté de son poste de Ministre des Communautés culturelles et de l‘Immigration, tout en conservant la responsabilité de la Loi 101. La rencontre venait donc à point. Gérald Godin acceptait de se livrer à un moment crucial de sa vie : à l‘issue d‘une rude épreuve, il se sentait peu lié par les pesanteurs et les poncifs de la politique.

Jean-Victor Nkolo : Monsieur Godin, vous avez été poète, journaliste, vous êtes toujours poète…

Gérald Godin: Je… j‘espère…

Jean-Victor Nkolo : Vous avez été ministre, vous ne l‘êtes plus tout à fait (à cause de la maladie) ; vous êtes à un poste ministériel beaucoup plus limité. Qu‘est-ce que vous préféreriez que l‘on retienne de votre passé récent ?

Gérald Godin : La poésie…

[…]

Jean-Victor Nkolo : Comment en êtes-vous venu à parler grec ?

Gérald Godin: C‘est en fréquentant les Grecs du comté de Mercier, ce qu‘on appelle Parka Vanèika qui est Avenue du Parc en grec. C‘est avec eux que j‘ai pratiqué le grec, que je parle très peu.

Jean-Victor Nkolo : Mais beaucoup de gens pourraient croire que le fait de parler ou d‘apprendre à parler le grec, c‘était surtout une préoccupation électorale, ou c‘est peut-être une curiosité personnelle…

Gérald Godin: C‘est surtout parce que le grec est la racine de plusieurs mots français, et même de plusieurs langues.

Godin –suite: C‘est ainsi qu‘il y a un village qui s‘appelle St-Eleuthère au Québec, et Eleftheria veut dire « liberté » en grec. Et c‘est un anémomètre qui mesure le vent à Dorval, anemos veut dire le vent en grec.

Dans mon discours de campagne électorale en 80, je disais «Anemos eleftherias pnei» —, « pnei » comme dans «pneu, souffle » […]

Je disais donc « Anemos eleftherias pnei – Parka Vanèika » – ce qui signifie : « Un vent de liberté souffle sur Parc Avenue ». Et c‘est ce qui s‘est passé d‘ailleurs.

***

Jean-Victor Nkolo : Qu‘est-ce que vous préférez retenir de votre existence passée ?

Gérald Godin : La poésie, évidemment.

Jean-Victor Nkolo : [Et] Pourquoi [toujours] la poésie [malgré tout] ?

Gérald Godin : Parce que la poésie reste plus longtemps que les lois. La poésie dure plus que les lois.

Jean-Victor Nkolo : Dans les Cantouques, vous dites que vous êtes fidèle à votre pays seul… Si, comme vous le dites, les immigrants font maintenant partie de ce pays-là, restez-vous aussi fidèle que par le passé ?

Gérald Godin : Je suis fidèle maintenant autant aux immigrants qu‘au pays, à l‘ensemble de ce que le pays est maintenant, y inclus les immigrants. Les immigrants font partie du pays d‘une façon intime et intense, comme les pierres dans un mur scellé.

***

LUC : Et le titre de cet article : « LES IMMIGRANTS SONT DES POÈMES ».


Partie 4 : L’Étrangeté du sentiment amoureux

Lettre neuvième

Gérald, je rajouterais quelque chose…

Une fois lancés dans les directions multiples où nous menait le mot « étranger », nous nous sommes dits qu’il pourrait même s’affranchir des acceptions attendues de l’immigrant et des marginaux, et aller encore plus loin… Pourquoi pas – dans notre tête en tout cas – lui faire englober le sentiment amoureux qui vous rapprochait, vous et Pauline ? N’avez-vous jamais réalisé, qu’au départ, accueillir en soi le désir de l’Autre, c’était vivre, avant que ne s’opère pleinement l’intégration du sentiment amoureux, comme si l’on portait en soi un corps temporairement « étranger » ?

À bientôt […] »


[…] EXTRAIT DU DOSSIER D’ÉCRITURE ALORS EN COURS

[Lettres échangées entre Gérald et Pauline, extraites de l’ouvrage épistolier publié chez Leméac en 2009 La renarde et le mal peigné]

(Vers la fin des années 1980)

GÉRALD

Mon amour,

Le lit est bien grand et la maison bien vide.

Mais bon !…

Sache que j’viens de passer deux jours et demi à l’Île aux Grues à la chasse aux oies blanches.

Quelle beautéQuandelleslèventOn dirait une poignée de diamants lancés dans l’espace…

Et qui retombent en  accrochant La Lumière En Cascades Bleues Roses Et Argent.

C’est d’une beauté aussi grande que quand avec vous je fais l’amour.

J’en avais plein la vue

Et il m’en reviendra quand je vous verrai.

Tu me dirasJe ne suis qu’une peau pour luiEt rien d’autre

Mais c’est une connerie de dire çaUne connerie.

Parce que quand nous faisons l’amour

Nous sommes comme dans la main l’un de l’autreDans la main l’un de l’autre.

Je t’ai alors au creux de ma mainPetite poignée frémissante de vieEt je t’aime

Je t’aime dans ton intégrité Et dans toutes tes dimensions

[…]

Je repense à tout ce que nous avons vécu depuis un moisDepuis mon épilepsieToiEtMoi

Et à quel point je t’aime encore plus qu’avant.

Et je trouve fabuleux que tout cet amourCette totale acceptation de toiCe total besoin de ce que tu es – folies et beautés –

je puisse l’incarnerCetAmour dans ton sexe, en une sorte de plénitudeSupplémentaire.

Quelle chance Amour

Nous devons tout à la vie

Elle nous gâte, la crisse…

Gérald

PAULINE

« À travers le brouillard des jours qui s’épaissit entre nous, j’appelle vers vous.

Est-ce vraiment vers vous ou de par moi, ce gémissement ? Comment le saurai-je puisque peu à peu dans la nuit votre contour se perd…

…et dans l’ombre s’éclairent par alternances une main, un rire léger, des cils longs et touffus, et cette voix tendre qui révèle les profondeurs les plus amoureuses, et tout à coup, inflexible, dresse ces MURAILLES INFRANCHISSABLES.

Cet amour – ou comment qualifier cet état jamais encore connu de moiQuiGranditQuiS’alimente de vousLongtemps après votre départ…

…qui consume toute tentation de « connaissance » autre, même dans l’désir le plus simple et le plus naturel; cette « soif de votre être » qui se promène effrontément en moi INDépendamment de moi…

…et qui surgit au moment où on se croyait à cent lieues ; et qui se tapit des temps entiers, à faire croire qu’elle serait à moitié disparue, pour (finalement) ressortir (mais) insaisissable…

[…]

Il y a Montréal, la ville qui s’avance, il y a les champs où on fait les foins. Il y a moi moulue par vousEtVotrePrésenceEnMoiPresqu’EncorPhysique

Permettez-moi cher Monsieur que je me hausse sur la pointe des piedsEtQueLeLongDeVous j’embrasse – encore – votre boucheRouge.

Pauline


ÉPILOGUE : Le poète n’est pas mort…

Dixième lettre

« Bonjour M. Dupont,

Veuillez trouver en pièce jointe une copie de la permission à être signée par l’organisme sans but lucratif qui vous représente [la Médiathèque littéraire Gaëtan Dostie] dans le cadre de la réalisation de l’évènement commémoratif du 26 septembre prochain à la station de métro Mont-Royal.

Il est très important de noter que si cette permission n’est pas reçue à la STM accompagnée du plan d’évènement et d’une preuve d’assurance responsabilité d’ici mardi prochain, l’évènement ne pourra avoir lieu.

Sincères salutations,

Me Hercule Poivron , Affaires juridiques »

Onzième lettre

Cher Gérald, un dernier mot pour faire le point,

Jusqu’à la veille ou presque du spectacle, il y aura eu, disons, quelques périls en la demeure. Pascale Galipeau, la fille de Pauline, nous avait d’ailleurs envoyé, pour nous remonter le moral, cette petite phrase à la fois simple et tellement prémonitoire : « En attendant, courage pour tous les chats à fouetter ! » Et on se disait souvent, en pensant à vous, pour se rassurer : « j’espère que de là-haut, ils nous incitera à poser les bons gestes aux bons moments »… Car, on n’avait plus que l’intuition, parfois, pour nous guider…

Maintenant, je pense que ça y est, tous les voyants sont au vert! Il y a bien eu ce foutu message de l’assureur de la Ville de Montréal (et sa demande de permission) pour venir encore jeter le malaise parmi nous, mais Claudia Coulombe, notre bien-aimée logisticienne responsable des événements publics, a efficacement dénoué le « nœud » qui persistait.

De même, pour les résidents récalcitrants : de ce côté-là, c’est à France, l’attachée politique de Luc Ferrandez, qui depuis le début balisait efficacement notre chemin, que nous devons depuis hier, grâce à son courriel réconfortant, d’avoir retrouvé notre pleine paix d’esprit :

« Bonjour Luc,

Tu n‘as pas à t‘inquiéter. Le spectacle sera présenté tel que prévu. L‘autorisation écrite des propriétaires [de l’immeuble où est gravé le poème] est certes recommandée, mais loin d‘être obligatoire, d‘autant qu‘il n‘y aura pas de projection sur le mur et que dans les faits, vous vous installez sur le domaine public, près du mur soit, mais sur le domaine public.

Bonne journée et… à demain,

France

France St-Jean, attachée politique

Cabinet du maire Arrondissement du Plateau Mont-Royal »

« Cher Luc,

Wow !  Vive les choses qui s‘imaginent et se réalisent !, m’a aussi transmis, dans son message, ma chère amie Pascale, que je vois si rarement.

Merci pour l‘invitation, écrivait-elle. J‘ai un rhume carabiné et je bosse toute la journée, mais j‘essaierai de passer. Je vous souhaite une « cantouque » de belle soirée. Qu‘elle drave la poésie jusqu‘aux étoiles, jusqu‘à eux et qu‘ici-bas, elle fasse des petits…

PascaleD »

En fin de course, Gérald, me permettras-tu un brin de familiarité : que je te tutoie sans façon (en supposant toujours, bien sûr, que le « wi-fi » pressenti se rend bien jusqu’à toi) afin que je te communique deux événements privés, qui se passèrent dans tes dernières années, et qui nous rapprochèrent tous les deux, sans que jamais tu ne t’en rendes compte ?

La premier eut lieu quelque part entre 1991 et 1994, je n’arrive pas à me souvenir de l’année en particulier. L’Intermarché, qui s’appelait dans le temps peut-être Richelieu, je ne me souviens plus – celui en tout cas qui était et qui est encore situé au coin de Mont Royal et Boyer – avait commencé à ouvrir en soirée. Et ce soir-là, je me suis retrouvé à une des caisses juste derrière toi. Tu étais en piteux état. Tu attendais comme moi qu’une caissière daigne apparaître pour que tu puisses payer la seule denrée que tu avais devant toi : un gros pot de mayonnaise. Tu avais le scalp à moitié rasé à cause de ton cancer, un filet de salive que tu ne pouvais retenir de couler au coin de ta bouche ; et la partie supérieure droite de ton manteau long était décapotée à mi-bras. Nous attendîmes ainsi tous les trois de longues minutes en silence, moi hypertendu derrière toi ; je dis « tous les trois » car j’ai titré ce « tableau » resté marqué depuis dans ma mémoire : « Poète au pot de mayonnaise avec jeune garçon pétrifié. »   

Le second événement eut lieu à la mi-octobre 2014. Tu avais rendu l’âme le 12, et, quelques jours plus tard, je me suis présenté tout seul au Salon où tu étais exposé sur Papineau au nord de Gilford. Et alors que j’hésitais sur la direction à prendre au seuil de la pièce, je vois venir vers moi Pauline elle-même, qui m’apostrophe presque durement, en me demandant : « Qui êtes-vous, vous ? » Devais-je lui répondre que j’étais Luc Dupont, tout en sachant fort bien que nous ne serions pas plus avancés…  Alors, soudainement inspiré, je lui ai offert la seule réponse qui pouvait convenir en une telle situation – et qui, en plus, était vraie : « Ben, je suis un lecteur… » Cet aveu l’a rassasiée à un point tel qu’alors elle me prit le bras et me guida jusqu’à ton cercueil fermé sur lequel était déposée une petite plaque de bois où on avait inscrit cette phrase qu’on peut encore lire aujourd’hui sur la plaque en bronze, du 1492, rue Gilford, là où tu eus naguère ton bureau de comté : « Ne pleurez pas… Car le poète n’est pas mort. Non il dort ». « C’est beau », dis-je, ému, à Pauline qui me sourit alors, et s’en retourna vers le seuil de ta chambre funéraire où d’autres lecteurs, aussi perdus que moi, venaient tout juste d’arriver.

Je te salue, Vieux, et je me fais en terminant le porte-parole des co-auteures du spectacle, Madeleine Royer, qui chantera la grande Pauline, et Chantal Bédard, qui attachera comme toujours les derniers fils qui pendent encore, tout cela pour te souhaiter un bon vingtième !

Luc

Photo : Jérôme Royer
Photo : Jérôme Royer

19 h 15, VENDREDI 26 AVRIL 2014 – Nous ne sommes plus qu’à 15 minutes du début du spectacle et tous les voyants sont demeurés bien au vert ! Alors, comme on dit au théâtre : « Merde, tout le monde ! »

ADDENDA : En tant qu’auteurs, nous avons pu constater assez tôt dans le processus de préparation de ce spectacle, que, de manière plus ou moins consciente, les choix librement consentis des contenus qui ont été les nôtres, de toute évidence avaient été déterminés en partie par le violent débat sur la « Charte des valeurs » qui faisait alors rage au Québec.

Luc Dupont

Montréal 15 mai 2016

Notes

[1] Noms d’emprunt

Luc Dupont est écrivain, journaliste médical, et co-auteur du spectacle

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