Des sauvages, ou Voyage

Par Samuel Champlain de Brouage, 1603

 

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NDLR. De 1599-1601, le jeune Samuel Champlain[1] est assigné par le roi Henri IV pour une mission d’espionnage en Nouvelle-Espagne (Antilles)[2]. S’opposant à ce qu’il avait vu du traitement des Indiens par les Espagnols, dont il méprisait les visées, « il s’est montré un observateur très attentif, et ce qu’il a vu a marqué profondément sa pensée. Le séjour de Champlain en Nouvelle-Espagne a influencé durablement sa carrière en Nouvelle-France. Il en est ressorti avec l’idée nouvelle d’un empire ou Indiens et Européens pourraient vivre ensemble dans un esprit différent. »[3] Ainsi le mot « Sauvages », avec un S majuscule et au pluriel, a beaucoup changé dans sa définition, dans sa connotation et dans sa perception au cours des siècles. On voit ici, dans ce magnifique texte aux origines du lien entre Français et Autochtones, tout le respect que Champlain avait pour ces peuples de la forêt, acception d’origine du mot Sauvages.

En mars 1603, avec le Capitaine François Gravé, sieur du Pont de Saint-Malo, Champlain embarque pour une mission « d’observateur » sur le vaisseau la Bonne Renommée pour la première fois en direction de « la rivière de Canada » pour une expédition ayant deux objectifs : le commerce et l’exploration. À leur bord, deux jeunes Montagnais, « des hommes de rang de leur pays » selon Champlain, qui reviennent chez eux après un an passé en Europe[4].

 

Pont-Gravé, lors de son dernier voyage au Canada, avait persuadé les Anciens de leur nation de les envoyer en France pour qu’ils puissent voir le pays et en apprendre la langue. À leur retour en Amérique, ils pourraient ainsi servir d’interprète et de médiateurs entre les deux cultures. Leur séjour en France avait été d’un grand succès. Ils avaient été invités à la cour, où ils avaient été présentés au roi, qui leur avait témoigné sa bonté et son amitié. Les grandes maisons de France leur avaient ouvert leurs portes, et ils avaient été reçus comme des ‘princes indiens’. Ils s’étaient ainsi fait une haute idée du peuple de France et conservaient un beau souvenir de leur réception, chose qui allait revêtir une grande importance pour l’histoire du Canada.[5]

 

Le lendemain de leur arrivée à Tadoussac le 26 mai, les hasards de l’histoire ont voulu que des centaines d’Indiens se rassemblent sur l’autre rive du Saguenay. Ils bâtissent leur campement d’été en tente d’écorces. « C’était une assemblée monstre. Champlain compta au moins deux cents grands canots et calcula qu’il y avait au moins un millier d’Indiens présents. Ils étaient de plusieurs nations. Parmi eux, il avait plusieurs groupes de Montagnais, qui se nomment aujourd’hui Innus [NDLR ou Ilnus, selon leur provenance] (à ne pas confondre avec les Inuits, au nord). Les hôtes étaient des Montagnais de Tadoussac qui vivaient non loin de là. […] Il y avait aussi des nations algonquines de la rivière des Outaouais, dans le lointain nord-ouest, et des Etchemins. […] Ces nations s’étaient réunies pour fêter leur victoire sur l’ennemi commun, l’Iroquois.» « Champlain et Pont-Gravé agirent sans tarder. Les deux hommes, accompagnés de leurs deux interprètes montagnais, prirent une chaloupe, traversèrent le Saguenay battu par les vents et se rendirent au vaste campement indien. » « Ils n’avaient pas d’armes à feu, fait qui dénotait encore une fois une approche différente. » « Pont-Gravé, Champlain et les jeunes Montagnais furent conduits à un chef qu’ils appelèrent Anadabijou. Ils le trouvèrent dans une grande cabane d’écorce qui mesurait entre soixante-dix et quatre-vingts pas de long, faisant tabagie (mot ‘qui veut dire festin’, dit Champlain) avec ‘quelques quatre-vingts ou cent de ses compagnons’. Champlain dit que ces chefs étaient des sagamos et qu’Anadabijou des Montagnais de Tadoussac était le ‘grand sagamo’.» [6]

 

Notes de fin

[1] Champlain ne portait pas encore la particule « de », n’était pas encore anobli par le roi.

[2] Selon la thèse de l’historien David Hackett Fisher, Université de Brandeis, Mass., É.-U., « Le rêve de Champlain ». 2008.

[3] Op. cit.

[4] Ce n’était pas la première fois que des Français emmenaient des Amérindiens en France. L’historien Mathieu D’Avignon relate que le navigateur et pêcheur de Dieppe Jean Aubert fut vraisemblablement le premier à emmener en France sept Béothuks (de Terre-Neuve). Certains historiens pensent également que des pêcheurs auraient pu emmener ou avoir des échanges fréquents avec des Amérindiens, une hypothèse qui pourrait expliquer pourquoi la langue basque est un isolat : elle ne ressemble à aucune des langues européennes. Jacques Cartier, lors de son premier voyage au Kanata (Canada), emmena deux des fils de Donnaconavii, Taignoagny et Domagaya, qu’il ramena, parlant maintenant français, lors de son voyage suivant grâce à leurs précieux conseils de navigation sur le Sainct Laurens. Donnacona lui-même ira en France plus tard et y mourra.

[5] Op. cit.

[6] Op. cit. et Samuel de Champlain «Les Voyages faits au Grand Fleuve Sainct Laurens par le sieur de Champlain Capitaine ordinaire pour le Roy en la marine, depuis l’année 1608 iusques en 1612, Paris, 1613.

Les graphies originales de ces nations sont : Montagnes, Estechemins et Algoumekins.

[7]  Chef amérindien iroquoien de Stadaconé (Québec), 1476?-1536. Les historiens ne s’entendent pas à savoir s’il fut emmené de force ou non par Cartier en France. http://ici.radio-canada.ca/radio/profondeur/RemarquablesOublies/Donnacona.htm

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