Éditorial – Le pétrole… et après

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Par Gabriel Gagnon

L’énorme manifestation pour la défense de la nature organisée par Dominic Champagne dans le cadre du  «printemps érable» de 2012 et la lutte gagnante pour la défense des bélugas, menacés par le projet de faire de Cacouna le point de départ du transfert par bateaux du pétrole bitumineux venu de l’Alberta, m’ont incité à proposer à notre revue la préparation d’un numéro sur « le pétrole…et après », dont la sortie coïnciderait avec les élections du 19 octobre.

Même s’il existe déjà de nombreuses formes d’opposition au passage par le Québec du pétrole albertain, comme le montrent les quarante auteurs venus d’horizons divers réunis par les Éditions Somme Toute le printemps dernier («Sortir le Québec du pétrole». Somme Toute, 2015) ces initiatives demeurent pour le moment dispersées, n’ayant pas encore réussi à converger dans un vaste mouvement social.

Nous pensions que les prochaines élections, en plus de nous débarrasser du dangereux Stephen Harper, permettraient à un NPD au pouvoir d’offrir de nouvelles perspectives à l’Alberta, au Québec et au Canada pour enrayer l’implantation définitive de l’industrie pétrolière chez nous.  C’est ce que, forts cette fois de l’appui majoritaire des Québécois, auraient pu faire ces grands leaders que j’ai eu la chance de côtoyer, Tommy Douglas, David Lewis, Robert Cliche et Jack Layton. Malheureusement, Thomas Mulclair, propulsé inopinément à la tête du parti à la suite du décès de Layton, malgré un tempérament combatif qui lui a permis un succès certain lors des débats à la Chambre des Communes, ne semble proposer aucun programme cohérent et progressiste au sujet de l’industrie pétrolière canadienne. Se contenter de suggérer un meilleur contrôle du transport chez nous du pétrole albertain n’est une solution ni suffisante ni vraiment écologique.

Le nouveau gouvernement albertain a hérité d’une «patate chaude» dont il ne sait pas vraiment que faire. Comme l’a suggéré une des candidates ontariennes du NPD, Linda McQuaig, il serait temps de profiter de la baisse considérable du prix du pétrole bitumineux, rendant peu rentable son extraction, pour proposer à l’Alberta une nouvelle forme de péréquation rendant possible l’arrêt puis la diminution graduelle de l’exploitation de ce pétrole si polluant.

Soyons logiques: tant qu’elles continueront à le sortir du sol les compagnies qui l’extraient tenteront par tous les moyens, plus ou moins occultes, de le faire passer chez nous, bloquées qu’elles sont à l’Ouest et au Sud grâce aux Autochtones de la Colombie-Britannique et au veto d’Obama.

Si on parcourt le beau livre de Naomi Klein, à la fois enquête rigoureuse et témoignage émouvant (« Tout peut changer .» Lux, Actes Sud. 2015) complété par son dialogue avec l’écrivaine Nancy Huston, albertaine de naissance qui a décrit récemment dans le Devoir les horreurs de Fort McMurray, capitale de l’industrie pétrolière (« BRUT ». Lux. 2015) on demeure convaincu que ce pétrole le plus polluant au monde n’aurait jamais dû sortir de terre et que son élimination graduelle permettrait au Canada de retrouver son rang parmi les pays soucieux d’assurer l’avenir de la planète.

XXX

En publiant ce numéro, qui devrait être accompagné d’un mini-colloque, nous voulons à la fois participer aux débats sur le pétrole suscités par les élections fédérales et, quels qu’en soient les résultats, ouvrir de nouvelles perspectives pour la période qui suivra.

Nous avons d’abord demandé à l’écrivaine Monique Durand, dont on a pu lire cet été dans le Devoir les merveilleux textes sur la lumière, de nous parler de ce fleuve qu’elle sillonne depuis si longtemps et qui fait aujourd’hui l’objet de toutes les convoitises des rapaces qui dirigent l’industrie pétrolière.

Normand Mousseau, professeur de physique, co-président de la «Commission sur les enjeux énergétiques du Québec» dont le rapport n’a pas été publié par le Gouvernement, nous indique les voies à suivre pour élaborer une politique cohérente dans un contexte ou nous devrons pour la survie de la planète utiliser de moins en moins de pétrole en nous attaquant d’abord à sa présence prépondérante dans le secteur des transports.

Patrick Bonin, de Greenpeace, éclaire les différentes facettes de la mobilisation constante et souvent efficace des Québécois contre les géants de l’industrie pétrolière dont les lobbyistes ne cessent de nous harceler.

Au Québec, où nous disposons déjà amplement de pétrole, le gouvernement Couillard semble appuyer les projets inutiles et dangereux de petites compagnies d’ici, en particulier à l’île d’Anticosti et aux Îles-de-la-Madeleine.  Nous avons voulu mieux faire connaître les inquiétudes, les résistances et les projets d’avenir de ces communautés menacées qui sont des joyaux du Québec, tant par la richesse de leurs paysages que par la détermination de leurs populations. La critique par Paul Beaucage de l’excellent film de Dominic Champagne sur Anticosti, les analyses de Genevieve Brisson sur les représentations de la nature et d’Isabelle Cuvillier sur la démocratie citoyenne, les témoignages de militants, Gaétan Laprise de Port-Menier et l’infatigable Annie Landry de Gros-Cap, nous font mieux apprécier la richesse de ces sociétés dont l’équilibre naturel et social est menacé par l’inaction des gouvernements.

Possibles a toujours cherché à imaginer les voies d’une société différente qui ne serait plus régie par les dictats du capitalisme mondial mais par ce nouvel imaginaire souhaité par notre ami Cornelius Castoriadis. Le « Manifeste pour un élan global » proposé par Dominic Champagne, l’appel insistant du militant des premiers jours, Serge Mongeau, le souci d’Yves-Marie Abraham d’implanter chez nous, à partir de HEC où il enseigne, l’idéologie de la décroissance qu’il expose ici, viennent compléter ce numéro.

Déjà, comme le souhaite Naomi Klein, plusieurs micro-sociétés communautaires s’organisent au Québec.  La commune agricole de Cap-au-Renard en Gaspésie, l’ « Auberge de la grève » à Rivière-Trois-Pistoles, animée par Michael Rioux et Alyssa Symons-Bélanger, en sont des exemples probants.  En nous intéressant à ces expériences et au vaste mouvement social progressiste et écologiste en formation, nous espérons participer à une grande coalition où savants, écrivains, et militants progressistes de toutes tendances contribueront à faire du Québec une société solidaire, sans pétrole, où nous pourrons continuer à bâtir, à écrire, à rêver et à espérer.

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