Positionnement éditorial en guise de préambule

Par André Thibault

Le père accusa alors un voisin d’avoir jeté un sort sur sa famille et, sur les conseils d’un sorcier du pays, il alla tenter de chasser le diable de la maison du jeteur de sorts en l’aspergeant, la nuit, d’eau bénite et en chantant des cantiques.
Feuille d’avis de Neuchâtel, 16 juin 1926
(on trouve de tout sur le WEB).

Possibles, lors de sa création, connut des débuts remarquables et remarqués. La gauche québécoise tentait de se redéfinir loin des dogmatismes marxistes-léninistes, les sociologues Marcel Rioux et Gabriel Gagnon jouissaient d’une image favorable au palmarès des intellectuels engagés, la collaboration issue du monde de la poésie comptait de grandes pointures telles Giguère, Miron et Gérald Godin. L’idée d’autogestion était dans l’air, la souveraineté du Québec inspirait la société civile et n’était pas encore devenue la propriété d’un parti politique. Cette conjoncture garantissait à Possibles un bassin de lecteurs fidèles, et des subventions raisonnables du Conseil des arts du Canada et du Conseil des arts et des lettres du Québec.

Puis, petit à petit, des projets d’autogestion se heurtèrent à des contraintes et des déceptions qui refroidirent certains enthousiasmes, Possibles développa une distance critique face au PQ, des essayistes issus des départements de philosophie et des études littéraires publièrent, dans des livres et d’autres revues, des réflexions plus distanciées ou intériorisées, la section de poésie et fiction de Possibles accueillit des signatures émergentes et donc moins connues, les numéros thématiques se diversifièrent en explorant des thèmes moins consacrés sur la scène médiatique. Le Conseil des arts du Canada coupa les subventions des périodiques engagés. Le CALQ québécois maintint celle de Possibles quelques années sans que la catégorie revues d’idée soit formellement reconnue. Puis, les commentaires des jurys se firent plus sévères, les montants alloués se réduisirent jusqu’à la coupure totale. Sur ces jurys, nous pouvions mettre des visages sur certains noms et nous nous demandâmes qui d’entre eux nous avait jeté un tel sort. Nous n’avions pas aspergé le Conseil d’eau bénite ni chanté de cantique, mais publié dans Le Devoir un texte sur la place des revues d’idées dans la société québécoise. Cela nous valut quelques témoignages de sympathie mais aucune hypothèse de viabilité financière de la revue papier.

Au moment où on aurait pu mettre la clé sous la porte comme cela s’est souvent passé dans le monde des revues, une nouvelle effervescence se produisit dans la gauche sociale québécoise, à la faveur des liens qui se créaient avec le monde des forums sociaux. L’altermondialisme, porteur des mêmes valeurs d’humanisme, de solidarité et d’émancipation qui avaient caractérisé la mouvance autogestionnaire, apparut l’héritier naturel de la revue Possibles. Le département de sciences politiques de l’Université de Montréal était fortement impliqué dans cette dynamique, tant par ses engagements locaux qu’internationaux, et il hébergea généreusement le site WEB de la revue, devenue électronique. Et les thèmes préoccupant le monde altermondialiste occupèrent une place importante. La tradition d’associer, dans la genèse même des numéros, chercheurs, théoriciens et intervenants y trouva une nouvelle vie. Ce sera le cas une fois de plus avec la couverture par ce numéro des luttes citoyennes locales et mondiales contre les abus et autres mauvais coups de l’industrie minière.

Sur la scène politicienne québécoise, une nouvelle loi sur les mines a été votée en décembre 2013, présentée par le PQ après une première tentative morte au feuilleton. Elle vise à responsabiliser les entreprises minières aux plans social et environnemental. Elle reste bien en deçà des demandes des groupes citoyens, qui y ont vu quand même une amélioration significative, notamment au plan de la transparence de l’information, condition nécessaire à un réel débat démocratique. Au moment de la rédaction du présent texte, le gouvernement Couillard avait enveloppé dans le volumineux projet de loi 28 sur le budget (sic), une disposition restaurant la confidentialité de l’information interne de ces entreprises sur les sommes dépensées en recherche, l’état des réserves de minerais et la valeur de la production. Il faut dire que ce secteur se montre nerveux après deux années consécutives de déclin des investissements et dépenses d’exploration, vu les fluctuations mondiales des prix des métaux… liés souvent aux caprices de la spéculation. Mais nonobstant ce laxisme gouvernemental, l’industrie ne peut pas s’abstenir de chercher des compromis devant le flot montant d’éveil citoyen. En 2012, l’Institut du Nouveau Monde réunit divers partenaires en espérant dégager une vision partagée du développement minier au Québec. Leur rapport, parlant de la consultation impérative des citoyens et de l’acceptabilité sociale des projets, écrit : «Des représentants de l’industrie, aussi bien que des citoyens, des écologistes et des élus locaux, s’entendent sur la nécessité d’adopter de telles règles du jeu».

Évidemment, cela n’empêche pas des affrontements musclés au long des procédures destinées à arbitrer les visions opposées de cette « acceptabilité sociale ». Nous avons voulu, en concevant ce numéro et en sollicitant des articles, donner de la visibilité à des actions citoyennes de confrontation visant le respect des écosystèmes, des pratiques agricoles et de la santé des populations, face au féroce appétit de profits au moindre coût qui guide les pratiques fréquentes des minières.

Les pages qui vont suivre décriront des épisodes de lutte au Québec, une tentative d’obliger le gouvernement fédéral à encadrer plus sévèrement les pratiques à l’étranger d’entreprises enregistrées au Canada et puis… les combats sauvages opposant ces mêmes entreprises, dans l’hémisphère sud, aux populations locales, principalement autochtones, avec le soutien d’ONG de chez nous.

Dans le cas du Québec, nous nous attacherons à des luttes qui se sont d’abord conclues à l’avantage des minières. À Malartic, notamment, l’exploitation à ciel ouvert a eu (provisoirement ?) raison des luttes citoyennes, pour le pire et non le meilleur comme en fait foi le rapport de l’Institut national de santé publique du Québec. S’est ajouté le dossier analogue de la Mine Arnaud à Sept-Îles, où le gouvernement Couillard a passé outre aux réserves du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement et autorisé la mise en œuvre de l’exploitation du site.
Nous passerons ensuite aux descriptions détaillées de confrontations épiques, dans l’hémisphère sud, entre des populations surtout autochtones luttant pour la préservation de leur mode de vie et de l’intégrité de leur territoire, face à des coalitions de gouvernements corrompus, de fiers-à-bras et d’entreprises souvent canadiennes qui recourent à la violence physique, à la répression politique, au greenwashing de façade, aux bonbons pseudocommunautaires, pour imposer leurs volontés.

Bien sûr, on aurait préféré offrir dans ces pages des portraits de victoires citoyennes. En lieu et place, ce numéro témoigne de l’acharnement des luttes en postulant que mieux elles sont connues, plus elles serviront de modèles de référence et recueilleront un soutien qui dépassera le cercle des militants et atteindra un poids électoral et judiciaire.

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