Lutte pour le territoire, lutte pour la vie!

Par Eve-Marie Lacasse

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Projet Accompagnement Solidarité Colombie

Le 20 août dernier, la Caravane pour la paix, les droits humains et la défense du territoire du département de Nariño entamait son périple, en Colombie. Préparée et appelée par des organisations sociales colombiennes qui résistent aux mégas-projets extractifs et à la destruction de leurs territoires, cette caravane souhaitait rendre visible les violations des droits humains dont sont responsables les grandes entreprises dans cette région, tout en les liant au contexte de conflit social et armé présent en Colombie depuis plus de soixante ans. Pendant sept jours, des individus et organisations provenant de milieux variés ont parcouru la région, dont des internationalistes du Projet Accompagnement Solidarité Colombie (PASC)1.

Conflit armé, mais surtout, social

L’impossibilité historique d’exercer une opposition efficace à l’intérieur de la structure politique en Colombie (persécutions, stigmatisation et extermination de l’opposition), ainsi que la situation de pauvreté structurelle de la majorité du peuple colombien, a poussé certains groupes d’inspiration marxiste et guévariste à prendre le chemin de la lutte armée dans les années 60. Pour ces guérillas, la lutte armée est vue comme de la légitime défense en réponse à la tyrannie des pouvoirs et capitaux en place. Pour discréditer cette analyse, la contre-propagande du gouvernement colombien est de marteler que les guérillas ne sont pas le produit du conflit social et de la pauvreté colombienne, mais bien sa cause. En opposition à ce discours, qui refuse d’admettre l’existence d’un conflit social en Colombie (le pays le plus inégal de l’Amérique latine) et d’agir pour le résoudre, les mouvements sociaux colombiens jugent important de réitérer que le conflit armé est loin d’avoir causé la destruction de l’économie colombienne. Même en temps de guerre, et probablement grâce à celle-ci, la croissance économique a augmenté de 5% en 2011 et la violence politique a profité énormément à l’oligarchie colombienne2.
De fait, ce n’est pas un hasard que la période d’approfondissement du conflit coïncide avec l’implantation du Plan Colombie depuis 2003, qui coïncide aussi avec une période de croissance économique soutenue, de concentration importante des terres dans les mains de l’élite et des transnationales et parallèlement, l’augmentation des inégalités. Le Plan Colombie, signé en 2001, représente le plus grand programme d’assistance militaire des USA en Amérique latine et fut conçu pour accomplir divers objectifs stratégiques, dont la militarisation de la société colombienne et pour vider les campagnes : 300 000 soldats auxquels se joignent 30000 paramilitaires ont forcé des millions de personnes à abandonner les territoires contrôlés par les guérillas. Les guérilleros perdirent les ressources de renseignement et d’appui logistique mais gagnèrent de nouvelles recrues. Comme résultat de la politique de la « terre brûlée » de Uribe/Santos et de la violence massive, de nouveaux secteurs économiques, essentiellement miniers, pétroliers et agro-industriels firent l’objet d’investissements étrangers, établissant les bases en 2012 pour l’accord de libre-échange signé par Obama et par Santos.

Ceci n’est pas nouveau. La population colombienne subit l’imposition du scénario de l’accumulation capitaliste depuis les années 1920, époque des massacres des bananeraies et de l’utilisation de meurtriers et mercenaires par des entreprises telles que la Standard Oil ou Chiquita Brand. Ces massacres ont engendré 300 000 morts. Cette période de guerre en a été une d’importante croissance économique et de prospérité : les exportations de café sont passées de 242 300 000 $US en 1949 à 492 200 000 $US en 1953. Or, la région de production de café a été le théâtre principal des massacres de l’époque. De plus, pendant la période 1948-1953, l’industrialisation des infrastructures a augmenté de 56%, mais les salaires ont baissé de 14%, au-dessous du niveau de 19474. Depuis cette époque, la même histoire se répète.

La propriété des terres : cause réelle du conflit

La relation existante entre le conflit et le processus de concentration des terres est évidente lorsque nous observons le tracé de la dépossession et l’instauration des mégas-projets. Ana Maria Ibanez affirme : « une grande partie des départements où l’on voit une plus grande concentration des terres coïncide avec les départements les plus affectés par les déplacements et l’abandon des terres par les communautés, qui sont l’objet d’importants projets de développement minier et d’exploitation d’hydrocarbures et agro-industriels pour les biocombustibles et agroforestiers »5. Les mouvements sociaux colombiens considèrent que la politique de développement économique imposée par les gouvernements antérieurs et actuels (surtout avec les locomotives minière, agro-industrielle et d’infrastructures) alimente les pratiques guerrières qui ont un grand impact sur les conditions de vie des communautés en ne respectant pas leurs besoins et les droits humains. Les déplacements forcés, le pillage des ressources naturelles, les menaces et la persécution des activistes et défenseurs de droits humains, les exécutions extrajudiciaires, etc., servent à l’application de ce modèle de développement. Et pour réaliser tout cela, la stratégie paramilitaire fut utilisée et continue d’être un des piliers du conflit colombien.
Elle se déploie depuis l’État colombien avec le soutien actif des États-Unis et des élites économiques nationales et étrangères. Elle est financée par les grands propriétaires terriens, certains secteurs du pouvoir politique, le narcotrafic, ainsi que par certaines compagnies colombiennes et étrangères. C’est sous le prétexte d’une guerre de contre-insurrection que prend naissance une série de mécanismes de répression contre la population civile pour le contrôle territorial et social, et de manière ciblée contre les opposant-e-s politiques (syndicalistes, leaders paysans, militant-e-s sociaux, défenseur-e-s de droits humains, etc.). L’objectif de contrôle territorial ne doit pas être sous-estimé puisque plusieurs analystes du conflit colombien avancent que cette stratégie vise avant toute chose à réaliser une contre-réforme agraire pour favoriser la concentration des terres aux mains de l’oligarchie nationale et la remise des territoires les plus riches en ressources naturelles au capital transnational.

Ce n’est pas une coïncidence si le conflit colombien, le plus vieux d’Amérique latine, a fait plus de 350 000 morts; 5 195 620 déplacé-e-s, dont 70% sont des femmes (280 000 seulement en 2010); 150 000 personnes victimes de torture et plus de 50 000 personnes disparues et ce, seulement dans la période 1985-2010. La relation entre ces statistiques et la concentration croissante des terres saute aux yeux. De la même façon qu’apparaissent sans cesse des plantations d’agrocombustibles, comme la palme africaine, des plantations de caoutchouc, ou des mégas-projets extractifs, un des piliers économiques du gouvernement Santos. Dans plusieurs cas, l’accès de plus en plus facile (et facilité) des multinationales aux ressources naturelles colombiennes est lié à un financement plus important des acteurs du conflit armé, à une augmentation de la pauvreté et à des déplacements massifs. De fait, 87% des déplacements forcés, ainsi que 82% des violations des droits humains et au Droit international humanitaire et 83% des meurtres de leaders syndicaux6 ont lieu dans les régions riches en ressources naturelles. Il est aussi estimé que le paramilitarisme, en moins de deux décennies, a volé plus de 6,5 millions d’hectares, qu’on retrouve aujourd’hui entre les mains de multinationales extractives, de l’agro-industrie et de grands propriétaires fonciers7.

Les mégas-projets extractifs étrangers

Sur ces terres spoliées et volées aux paysans, aux communautés autochtones et afrodescendantes, se déploie actuellement une vaste gamme de projets agro-industriels, d’élevage extensif, d’exploitation minière, pétrolière et forestière. La majorité des mégaprojets sont financés par des programmes du gouvernement visant soit la réinsertion des dits « paramilitaires démobilisés », soit lesdites cultures alternatives à la coca et bénéficient à ce titre d’appuis financiers importants de la part des agences internationales de développement, dont notre ancienne ACDI. Du côté de l’agriculture, les productions mises de l’avant sont celles destinées à l’exportation et se divisent entre agrocarburants (palme africaine et éthanol principalement), café, caoutchouc et « fruits exotiques ». Ces productions qui prennent la forme de monocultures intensives, en plus d’appauvrir le sol et de contaminer les cours d’eau par l’usage de produits toxiques, sont une cause directe de la perte de souveraineté alimentaire des paysans colombiens.

Outre les terres fertiles et la disponibilité d’un large bassin de main-d’œuvre généré par les déplacements forcés et le vol de terres, le territoire colombien est convoité par le capital étranger pour la richesse de ses ressources naturelles (biodiversité, eau, minerais, hydrocarbures). Règle générale, les firmes transnationales (telles que les pétrolières canadiennes Pacific Rubiales Energy, Talisman et des minières canadiennes telles que Gran Colombia Gold, Medoro Ressources, Greystar, etc.8.) font leur entrée sur les territoires suite au « nettoyage » de celui-ci par les forces armées régulières et irrégulières. Une fois les populations déplacées et le vol de terre légalisé par les multiples lois agraires au profit de l’élite terrienne, les firmes étrangères peuvent s’installer sans craindre l’opposition. Elles auront ensuite tout le support militaire nécessaire pour « sécuriser leurs investissements », que ce soit par la collaboration des forces paramilitaires qui contrôlent la population locale ou par le recours à des escadrons armés qui s’attaquent à toute tentative d’organisation syndicale ou d’opposition.

Le règne du président Alvaro Uribe (2002-2010) a légué à l’actuel gouvernement Santos un code minier et une politique minière favorables aux intérêts étrangers en leur réservant le droit d’utilisation des territoires et en criminalisant la petite activité minière artisanale. Jusqu’en 1990, il existait 467 000 hectares de terres avec des titres miniers en Colombie. Lors des deux mandats d’Uribe, 7 402 000 hectares ont été cédés pour l’exploitation minière. Au nom de la politique de promotion de l’investissement étranger, le gouvernement a décidé d’augmenter à 12 millions d’hectares les zones d’exploitation agro-industrielles et forestières et à 38 millions de barils l’exploitation pétrolifère9.

Et le Canada dans tout ça?

En 2011 entrait en vigueur l’Accord de libre-échange Canada-Colombie (ALECC). Le gouvernement canadien est le seul à avoir signé un accord économique avec la Colombie pendant le mandat d’Uribe. Il a ainsi pavé la voie puisque, depuis, les États-Unis ont emboîté le pas, malgré la violation systématique des droits humains et l’impunité qui continuent en Colombie.

Les minières canadiennes détiennent 52% du secteur minier colombien10 et l’ambassade canadienne estime que l’investissement minier en Colombie est de 3 milliards de dollars11. De nombreuses compagnies canadiennes dans le domaine extractif sont dénoncées comme étant des « profiteuses de guerre » puisque les régions où elles développent leurs activités connaissent des conflits sociaux importants et pour s’approprier les mines et le pétrole, elles s’enrichissent grâce à la répression.

Les compagnies canadiennes (minières et pétrolières en premier lieu) n’ont aucun scrupule à investir en Colombie puisque les avantages y sont nombreux : une main-d’œuvre bon marché, un régime d’imposition assez souple, un potentiel en richesses énergétiques attirant avec un cadre légal et normatif qui favorisent les entreprises étrangères, des mesures répressives de l’État et une contestation populaire contrôlée par les armes. Les compagnies étrangères et canadiennes profitent du conflit colombien pour sécuriser leurs investissements et sites d’exploitation en faisant parfois directement affaire avec les structures paramilitaires et militaires. Afin de « sécuriser les investissements canadiens » et de « développer son marché », l’État canadien est très actif en Colombie. Soulignons quelques interventions canadiennes plutôt récentes :

Réforme du code minier colombien en faveur des entreprises étrangères

La dernière version du code minier semble faite sur mesure pour les entreprises canadiennes. Coïncidence ? Évidemment que non puisque nul autre que l’Institut canadien de recherche en énergie (ICRE) fût mandaté pour participer à son élaboration! Cedit « projet d’aide internationale » a été réalisé grâce aux fonds accordés par feu l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et aux contributions de sponsors privés (des multinationales extractives enregistrées au Canada).

Financement et appui au Plan Pacifico

Le Plan Pacifico cible la région pacifique de la Colombie et plus précisément le département du Choco, avec l’objectif d’accroître l’exploitation des ressources naturelles de cette région ainsi que les échanges commerciaux internationaux. Le tronçon de l’autoroute panaméricaine, le port en eaux profondes, les mégaplantations de palme africaine (pour la production d’agrocarburants) et le « mapping » des ressources biogénétiques sont parmi les activités prévues par ce plan. En 1995, l’ACDI octroyait une subvention de 241 861$ à la firme Radarsat International inc. (Ottawa) pour des services de conseil et d’assistance technique au gouvernement colombien dans la mise sur pied du Plan Pacifico.

Promotion et financement de partenariat entre ONG canadiennes et entreprises minières canadiennes

En 2011, la ministre canadienne de la Coopération internationale annonçait un nouveau programme de financement pour promouvoir les partenariats entre compagnies minières canadiennes et ONG canadiennes. La Colombie figure parmi les trois projets pilotes de cette politique qui vise à promouvoir « le dialogue entre les collectivités et le secteur privé ». Notons que d’autres programmes similaires ont déjà été gérés par l’ACDI. C’est le cas du projet « Énergie, Environnement et Population » par lequel les bénéficiaires reçoivent des subventions publiques allant jusqu’à 500 000$ pour participer à la création d’une « vision commune entre les gouvernements, le secteur de l’hydrocarbure et les peuples autochtones concernant le développement du potentiel en hydrocarbures ». C’est aussi le cas du Projet « Secteur minier – Renforcement des capacités des Autochtones » destiné à favoriser l’acceptation des projets miniers par les nations autochtones d’Amérique. Ce programme plus récent semble néanmoins nécessaire puisque les minières canadiennes ont très mauvaise presse. L’Association minière canadienne (lobby du secteur minier) s’est empressée de saluer cette initiative gouvernementale qui, en plus de fournir une nouvelle source de financement public pour les compagnies minières déjà multimilliardaires, permettra à ces dernières de redorer leur image et de faciliter leur acceptation par les communautés locales.

Appui des Forces Armées canadiennes, de la GRC et du SCRS

Selon les informations sur le site du Ministère des affaires étrangères canadien, la Colombie figure parmi les membres du Programme d’instruction et de coopération militaire (PICM) du Canada pour le cycle 2011-2014. Le Canada fournit aussi des navires de guerre, des sous-marins et des aéronefs de patrouille maritime au Joint Interagency Task Force South (JIATF-S), une coordination militaire pour ladite guerre à la drogue. La GRC collabore aussi avec la police nationale colombienne sur différents enjeux. De plus, le SCRS et la GRC collaborent avec les services de renseignement colombien pour la collecte d’informations.»

La résistance dans le département de Nariño

Tel que mentionné ci-haut, les entreprises minières et pétrolières qui opèrent en Colombie travaillent fréquemment dans des zones où le conflit armé est présent et où les terres ont été « abandonnées » suite au déplacement forcé des communautés sous les pressions violentes des acteurs armés. Des investigations ou cas juridiques ont démontré que quelques multinationales ont appuyé directement ou indirectement les groupes paramilitaires dans le but de créer des conditions sécuritaires pour leurs investissements. De plus, l’installation des entreprises transnationales est accompagnée de l’augmentation de bases militaires dans l’environnement immédiat des mégas-projets d’exploitation et l’apparition de bataillons minéro-énergétiques. Ces bataillons font partie des dénonciations faites par la caravane de Nariño. Leur nombre ne fait que croître depuis leur création en 2011. On en recense 21 en 2014 sur tout le territoire colombien. Ces bataillons se retrouvent directement sur les champs d’exploration et d’exploitation et « sécurisent » les installations des transnationales. Ces bataillons sont payés par l’armée nationale, qui elle, a obtenu comme contrat des transnationales de protéger leurs investissements. Dans la pratique, cela se traduit par un processus de militarisation de ces territoires. Le département de Nariño en est un exemple flagrant.

Les résidents des localités visitées durant le périple de sept jours de la Caravane rejettent clairement le Plan de consolidation territoriale du gouvernement colombien, à l’avantage du capital transnational et non des communautés colombiennes; les projets minéro-énergétiques des transnationales; les opérations de fumigation qui détruisent l’environnement et les cultures; la militarisation du territoire; la stigmatisation et les menaces envers les leaders sociaux; les montages judiciaires ainsi que l’impunité devant la justice colombienne.

En 2010, 54% de la population du département vivent dans le secteur rural et six communautés autochtones habitent le territoire. Pour le secteur rural, 81% des résidents ne sont pas en mesure de couvrir leurs besoins de base, 64% de la population totale du département vit sous le seuil de pauvreté. Ces chiffres démontrent les hauts niveaux de pauvreté, d’inégalités sociales et de l’abandon de l’État colombien des communautés de cette zone, qui n’ont aucun service public ou un quelconque filet social. Ces chiffres contrastent fortement avec les appuis du gouvernement aux industries de la région, autant d’agriculture de masse que d’exploitation minière. Environ 400 000 personnes ont été victimes de déplacements forcés dans la région et seulement en 2013, on compte 2095 personnes disparues.

Ce département est une zone où le conflit armé est très présent, où les paramilitaires contrôlent les zones « pacifiées », l’armée colombienne à plusieurs bases et on retrouve une masse importante de narcotrafiquants. Le département de Nariño est un des plus violents en Colombie et une des zones les plus violentes du monde. La population de Nariño est prise entre les feux croisés de tous les acteurs armés présents, causant des morts et des blessés. Le territoire de ce département est parsemé de mines antipersonnelles, faisant 737 victimes en 2013. Les deux tiers de ces victimes sont des civils, le tiers restant des militaires postés dans la zone.

Nariño est le troisième département en Colombie avec le plus important potentiel minier. Seulement en 2009, la direction des Services miniers colombiens a autorisé plus de 71 contrats et cession de territoires pour l’exploration et l’exploitation de gisements miniers pour 90 entreprises nationales et transnationales. Des tensions sont particulièrement existantes entre les communautés paysannes des municipalités de Arbodela et San Lorenzo et la minière canadienne Gran Colombia Gold, qui opère le site Mazamorras Gold depuis deux ans.

Déjà en 2012, le PASC dénonçait la répression féroce utilisée par la minière canadienne envers les opposants à son projet de développement minier dans la région. Des tensions étaient très vives à l’époque entre les résidents et la compagnie. Des opposants avaient occupé ses campements et incendié certaines installations en octobre 2011 en réaction aux tentatives d’intimidation de l’entreprise. À l’époque, pour faire taire l’opposition, la Gran Colombia Gold a engagé une entreprise de sécurité privée, qui a armé des jeunes de la région, tous ex-militaires. Les opposants au projet ont dénoncé plusieurs actes d’intimidation et des menaces de mort provenant de ces gardes de sécurité privés qui patrouillaient la région en habits militaires, souvent cagoulés. C’est en réponse à ces manœuvres de terreur que les opposants ont occupé les campements miniers.

Gran Colombia Gold a alors accepté de négocier. La communauté et la minière sont arrivées à un accord en vertu duquel l’entreprise s’engageait à arrêter pendant un mois tout type de travaux jusqu’à ce que soit convoqué par le gouverneur de Nariño un forum avec la présence de l’ensemble des multinationales présentes dans la région, du gouvernement national et des communautés. Au moment de signer l’entente, les représentants de la Gran Colombia Gold ne se sont pas présentés, ont fait savoir qu’ils refusaient tout accord et poursuivraient en justice les opposants. Elle a également fait savoir qu’elle demanderait au gouvernement colombien le déploiement d’un bataillon militaire supplémentaire pour sécuriser ses activités. Les travaux d’exploration et d’exploitation se poursuivent depuis dans la région, bien que les mobilisations populaires se multiplient.

Présence de mines antipersonnelles un peu partout, blessant, mutilant et tuant plusieurs personnes chaque année; militarisation du territoire avec les fameux bataillons minéro-énergétiques présents pour sécuriser les champs d’exploitation des minières; terrains contaminés par les projets miniers, empêchant l’usage de la terre par les paysans; violence sexuelle en augmentation envers les femmes et les filles (on recense 1980 cas de violences sexuelles dénoncées envers les filles de 0 à 17 ans entre 2004 et 2010); population civile prise entre les feux croisés de l’armée nationale, des paramilitaires et des guérillas; appauvrissement croissant des communautés de la région; déplacements forcés; fumigation des territoires de culture des paysans sous prétexte de faire la chasse aux narcotrafiquants de coca; montages judiciaires et criminalisation des activistes de la région, opposés aux multinationales; menaces envers les leaders environnementaux et syndicalistes; etc… Un portrait du conflit colombien en condensé.

Cette réalité de danger perpétuel pour la population a suivi la Caravane tout au long de son périple puisqu’à quelques kilomètres d’un des lieux d’arrêt de la Caravane, un ex-conseiller municipal a été victime d’une mine antipersonnelle, mourant sur le coup. Lors des différents évènements publics de la Caravane, la police prenait des photos des visages des manifestants et de leurs pancartes, contrevenant au droit humanitaire international.

Les demandes principales des communautés de Nariño sont que soit fait de façon urgente le déminage humanitaire de la région; que les garanties nécessaires aux déplacés pour le retour sur leurs terres soient mises en place; que l’État colombien fasse la promotion des politiques agraires autonomes ainsi que des alternatives durables aux cultures illicites d’usage, tout cela dans un cadre de négociations de paix avec une véritable justice sociale, une ne pouvant aller sans l’autre.

La Caravane a invité les autorités départementales, le Défenseur du peuple, le bureau des droits humains de l’ONU, ainsi que les forces policières et militaires à participer à certains événements, les interpelant directement à propos de leur situation et de leurs demandes et dénonciations. Aucune de ces institutions n’a répondu à l’invitation lors du départ de la Caravane, montrant une fois de plus leur désintérêt et mépris pour la défense des droits humains et du territoire, ainsi que pour les propositions des organisations de base sur ces questions. Par la suite, certaines de ces institutions ont fait savoir qu’elles assureraient un suivi… mais sans plus. Malgré cela, les organisations sociales colombiennes n’ont de cesse de résister aux assauts que leurs territoires et communautés connaissent depuis des décennies. Lutte pour le territoire, lutte pour la vie !

Notes

1 Le PASC est un collectif né à Montréal en 2003. Le PASC s’est donné comme mission d’articuler une solidarité directe entre mouvements de résistance du Sud et du Nord sur des bases internationalistes et anticoloniales. Depuis sa fondation, le PASC réalise de l’accompagnement auprès de communautés paysannes, autochtones et afrodescendantes, d’organisations sociales et syndicales et de prisonnières et prisonniers politiques en Colombie. Le PASC diffuse de l’information sur les mouvements sociaux colombiens tout en dénonçant les intérêts canadiens impliqués dans le conflit social et armé en Colombie. Pour plus d’informations : www.pasc.ca.

2 El conflicto sociopolitico colombiano y la construccion de paz transformadora y participativa. Una mirada desde el movimiento social, Esteban Ramos, 2012.

3 Peace Brigades International Colombia, Mining in Colombia: At what Cost? The Walrus: The Only Risk is Wanting to Stay, 2011.

4 Idem note 2

5 Atlas de la distribution de la propriedad rural en Colombia 2000-2009; 2010. traduction libre.

6 Peace Brigades International Colombia, Mining in Colombia: At what Cost?; The Walrus: The Only Risk is Wanting to Stay, 2011.

7 El conflicto sociopolitico colombiano y la construccion de paz transformadora y participativa. Una mirada desde el movimiento social, Esteban Ramos, 2012.
8 Ciblons les profiteurs canadiens de la guerre, PASC, 2012.

9 Guillermo Rudas, Minería en Colombia: locomotora fuera de control, 2011.

10 Mining Watch Canada, CENSAT-Agua Viva and Inter Pares: Land and Conflict: Resource Extraction, Human Rights, and Corporate Social Responsibility – Canadian Companies in Colombia, 2009.

11 Idem note 10.

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