L’exploitation minière industrielle en territoires bioculturels de peuples authochtones

Par Eckart Boege (traduction: Christiane Archambault)

6_Boege_L’exploitation miniere_vol39no1Par Eckart Boege (traduction: Christiane Archambault)

L’INTÉGRITÉ TERRITORIALE ET CULTURELLE DES PEUPLES AUTOCHTONES EST MENACÉE PAR LES NOUVEAUX PROJETS MINIERS MÉTALLIQUES TOXIQUES ET D’ENVERGURE INDUSTRIELLE, PRINCIPALEMENT À CIEL OUVERT.

L’industrie minière contemporaine est entrée dans une nouvelle phase, en « migrant » de l’exploitation de filons minéraux, principalement métalliques, vers l’extraction massive de matières pierreuses qui, à certaines strates, contiennent des métaux de très faible teneur (dans le cas de l’or, la moyenne est d’un seul gramme la tonne extraite). On utilise, pour ce processus industriel, de la machinerie de grande taille et des procédés massifs de lixiviation faisant appel à du cyanure de sodium. Il s’agit surtout d’exploitation massive à ciel ouvert qui exige une exploration de grands pans de territoires, l’aménagement de routes et le forage de centaines de sites pour l’extraction d’échantillons qu’on analyse pour localiser précisément les strates dans lesquelles se trouvent les derniers résidus de poussières minérales d’intérêt commercial.

1) Pour que les capitaux transnationaux puissent entrer massivement dans les pays riches sous forme de minerais, les traités de libre-échange ont encouragé la promulgation de lois permettant l’investissement et la propriété de 100 % des capitaux transnationaux et l’appropriation tant des territoires que des produits, avec des redevances ridicules, sans taxes liées spécifiquement à l’activité. Le peu qui est versé est un montant d’argent minime par hectare concédé. L’autre volet du processus d’appropriation est la « dépossession » —dans le sens physique, social et culturel— des propriétaires de la superficie, dans les zones des concessions.
2) Il s’agit de procédés industriels qui exigent un immense apport de capitaux, avec une technologie de haut risque, compte tenu de leur potentiel destructeur pour les écosystèmes et de leurs incidences négatives sur les populations humaines, locales et régionales. Lorsqu’elles se retirent, les entreprises laissent des cicatrices environnementales, sociales et économiques irréversibles, avec peu de possibilités de réparations à court et moyen termes. Pour l’illustrer avec un exemple étudié récemment et à la lumière de l’information provenant d’une mine de taille moyenne (Caballo Blanco dans l’État de Veracruz au Mexique), on soutire, dès l’étape de l’exploration —sous le regard impassible du SEMARNAT (Secrétariat de l’Environnement et des Ressources naturelles)— la végétation naturelle, en portant ainsi atteinte à la complexité des écosystèmes toujours vivants. Durant la phase de l’exploitation, l’entreprise entend effectuer, pour le moment, une taille d’un diamètre de 1 000 hectares, et transporter 119 millions de tonnes de matières desquelles 35 millions contiendraient les minerais désirés (d’une teneur moyenne de 0,7 gramme la tonne). Pour ce procédé, on utiliserait 3 000 mètres cubes d’eau par jour durant 10 ans, 2 millions de litres de diesel par mois, durant sept ans (pas uniquement comme combustible, mais aussi comme substance permettant d’intensifier les explosions), 35 000 tonnes d’explosifs, de 6 000 à 7 500 tonnes de cyanure, 300 000 litres d’acide chlorhydrique, etc. Parmi les cicatrices environnementales spectaculaires, l’entreprise laisserait un cratère d’une superficie de 1 000 hectares de diamètre et d’une profondeur variable pouvant aller jusqu’à 500 mètres. Il en coûterait cher à la minière de combler ce trou un jour et de contrôler les drainages acides potentiels pour cent ans. Les bassins où on dépose la matière « inerte » sans minéraux utiles, font également partie des cicatrices environnementales. Lorsqu’on y dépose des composés soufrés, on génère, pour des siècles, des écoulements acides et la migration des métaux lourds, qui rejoignent les cours d’eau, le sous-sol, les lagunes ou la mer. La société mentionnée prétend obtenir 600 000 onces d’or attestées et 400 000 onces potentielles, en plus de l’argent, ce qui lui rapporterait, durant les sept ans de vie de cette taille, des recettes de 1 900 millions de dollars d’après le prix du marché à la fin de l’année 2012, avec un investissement de 300 à 400 millions de dollars. Le rendement des investissements est extraordinairement rapide. Au total, cette société prévoit ouvrir six tailles qu’elle ne détaille pas dans son manifeste d’incidents environnementaux. Il s’agit d’une région de grande valeur du point de vue écologique et de la biodiversité, dans un État qui a déjà perdu 95 % de sa végétation naturelle.

3) Pour légitimer un procédé industriel à haut risque, et pour obtenir les permis du Secrétariat de l’Environnement, les entreprises et leurs conseillers, notamment des ex-secrétaires de l’Environnement, développent un discours de développement durable. Leur argument principal de légitimation est qu’ils créent des emplois pour la population locale (dans le cas mentionné précédemment des 300 emplois directs, 150 seraient des travailleurs venus d’ailleurs pour opérer de la machinerie lourde et s’adonner à d’autres activités spécialisées). Ils prétendent aussi que les projets miniers sont inoffensifs pour l’environnement. Pour réaliser les travaux d’infrastructure, il faut créer de manière temporaire 1 000 emplois, qui, à l’instar d’autres travaux majeurs, ne sont pas liés, à moyen et long termes, à un processus de dynamisation de l’économie.

4) L’exploitation du sous-sol est « d’intérêt public prioritaire », et prime sur d’autres intérêts publics et privés non miniers, comme le seraient, par exemple, les aires naturelles protégées. Cet intérêt public prioritaire est la base du processus de privatisation des ressources naturelles minières du pays, qui sont transférées aux intérêts des grands consortiums nationaux et internationaux. Les concessions minières que l’État octroie aux entreprises, sont de véritables lettres de commission pour accéder aux territoires de n’importe quelle partie du pays, y compris des villages, des localités et des aires naturelles protégées, terrestres ou maritimes. Les concessions sont des zones d’exclusion pour éviter que d’autres sociétés minières ne disputent les mêmes territoires. Avec les concessions, les sociétés minières ont la mainmise, de surcroît, de manière directe ou indirecte, sur l’administration des politiques « de développement » régionales, à très long terme. La dévolution territoriale aux propriétaires fonciers actuels devient pratiquement impossible étant donné que les concessions ont une durée de 50 ans, et peuvent être renouvelables pour une période supplémentaire de 50 ans.

5) Les noms des grandes sociétés étrangères n’apparaissent presque jamais dans les concessions alors que les sociétés indiquent, dans leur bulletin mensuel aux investisseurs sur Internet, qu’elles sont propriétaires de la totalité du territoire qui englobe la concession. Même si l’extraction ne touche pas l’entièreté d’une concession, dans cette première phase d’exploration, les sociétés peuvent passer sur des champs ensemencés, démanteler des installations, ouvrir des routes, déposer des matériaux, contaminer des rivières et surtout étudier comment elles vont accaparer les diverses sources d’eau proches ou lointaines, etc. Durant cette étape entre l’octroi de la concession et l’exploitation, les entreprises spécialisées analysent avec précision les portions du territoire concédé qu’elles vont exploiter. Si les propriétaires des terrains refusent de vendre ou de louer, l’entreprise peut demander à l’État l’expropriation dudit propriétaire. Au Mexique, on a déjà concédé environ 31 millions d’hectares du territoire national. Plus de 200 millions d’hectares sont susceptibles d’être concédés d’après le Service des Mines National, y compris des aires maritimes. Déjà, dans la phase d’exploitation, le minerai sort du pays sous forme impure ou raffinée sans qu’aucune redevance ne soit versée aux municipalités, aux États ou au gouvernement fédéral. La population mexicaine ne retire aucun bénéfice de ce procédé industriel à haut risque.

6) Il ne fait nul doute que les procédés industriels de cette envergure bouleversent l’écologie, car ils détruisent la complexité des écosystèmes, contribuent aux bouleversements climatiques et à la dégradation de la diversité biologique. Les entreprises utilisent massivement la ressource eau à laquelle elles ont un accès prioritaire avant la consommation humaine (la loi viole le précepte d’accès à l’eau comme droit humain prioritaire). Pour les peuples autochtones et les communautés rurales, cela signifie non seulement le déplacement forcé et la spoliation de leurs ressources naturelles essentielles à la vie comme l’eau, de la diversité biologique et de l’agrodiversité, mais bientôt, il n’y a plus de biens communs à administrer, de relations sociales communautaires à établir, de nature à gérer, de savoir millénaire à recréer, de champs de maïs à ensemencer et de ressources phytogénétiques à domestiquer. Bref, il s’agit d’une mort culturelle jaillissant d’un choc frontal entre les Autochtones et un projet industriel de culture de la mort, qui déplace le projet initial régional autochtone et rural sur un territoire déterminé. Donnons comme exemple les vallées centrales d’Oaxaca, en particulier les versants déjà concédés. Si elles entraient dans la phase d’exploitation, les sociétés minières provoqueraient un désastre environnemental et humain sur un territoire de haute densité culturelle, historique et du paysage.

7) En outre, de nouveaux phénomènes industriels s’associent à l’exploitation minière de cette envergure. Au nom de la viabilité, certaines sociétés minières disputent à la population locale autochtone davantage de territoires pour construire des installations hydroélectriques afin d’alimenter leur exploitation avec une électricité « durable ». Les intérêts miniers sur de vastes territoires au Mexique se concentrent surtout dans les cordillères, en particulier, mais pas exclusivement, dans la grande chaîne de montagnes de la Sierra Madre Occidentale. En général, ils se trouvent dans les bassins versants ou sur les versants mêmes, surtout dans les zones arides, semi-arides ou subhumides, de grande valeur en biodiversité et en approvisionnement en eau, en grande ou petite quantité, dans les aquifères en aval.

8) À la mi-temps de 2012, le gouvernement mexicain avait déjà octroyé 2 173 141 des 28 millions d’hectares décrits par Boege [2008] comme étant le noyau dur des territoires autochtones. C’est donc dire qu’au cours des cent dernières années, les Autochtones ont perdu la juridiction de 17 % de leur territoire à cause des concessions minières et fréquemment sans que les communautés le sachent. Selon les chiffres que nous analysons plus bas, la majorité des concessions en territoires autochtones et non autochtones ont été octroyées par les deux derniers gouvernements du Parti d’Action Nationale, conformément à la loi néolibérale saliniste sur les mines.

En vertu de la Loi sur les mines, le gouvernement a l’obligation d’informer les propriétaires qu’on entend octroyer leurs terres, et de sonder la population pour voir s’il existe un intérêt local quant à « l’exploitation » des minerais et à la possession de la concession. Dans le cas des Autochtones, la loi stipule qu’en cas d’égalité des conditions de capacité d’exploitation (il faut comprendre capitaux et technologie) par rapport aux sociétés transnationales, la concession aux Autochtones « serait prioritaire ».

9) Précisons qu’il s’agit de concessions qui englobent tous les types d’exploitation minière et en général, d’une durée de 50 ans (période renouvelable au besoin). Au cours de la première décennie de 2000, ont été concédés en territoires autochtones près de deux millions d’hectares, principalement pour l’extraction de métaux, comme le montre le tableau suivant. Il faut préciser que le tableau hiérarchise seulement le minerai principal déclaré par les entreprises. Fréquemment, il occulte les minéraux en association, dont certains possèdent un énorme intérêt industriel (tungstène, cuivre, molybdène, etc.)

Premier tableau. Nombre de concessions en territoires autochtones octroyées par les gouvernements du Parti d’Action Nationale

NOMBRE DE CONCESSIONS OCTROYÉES EN TERRITOIRES AUTOCHTONES
2000-2012 : MÉTAUX PRINCIPAUX DE LA CONCESSION

Tableau 1

Ce petit tableau est très significatif puisqu’il s’agit de concessions récentes; actuellement, le métal le plus profitable dans l’industrie minière à ciel ouvert est l’or.

La totalité des 5 712 zones octroyées en territoires autochtones dépasse les 2 066 307 hectares. Par contre, 625 concessions ont été retirées du lot, et il reste donc 232 000 hectares. La majorité des territoires se trouvent en phase de levé ou d’exploration (ou en recherche d’investisseurs) tandis que 106 833 sont déjà en phase d’exploitation.

10) La majorité des concessions sont en phase d’exploration. C’est au cours de cette phase que les sociétés minières s’approchent (avec des spécialistes en mobilisation sociale et en résolution de conflits, parfois financés par les « organismes de développement » du gouvernement du Canada), des autorités municipales et de l’État, distribuent présents et promesses, comme peindre une église, construire des locaux pour l’assemblée communale, construire des routes, etc. Ce processus « de mobilisation sociale » est un euphémisme pour que les entreprises puissent s’autodéclarer partenaires de la société locale et se donner l’étiquette « d’entreprises socialement responsables ». C’est durant cette phase que les exploitants provoquent les premières divisions dans la population puisque, habilement, ils embauchent pour des travaux comme le transport de l’eau, etc., des leaders locaux, notamment les autorités municipales. Les minières cherchent « l’assentiment social » pour entrer dans les régions et les territoires ruraux et autochtones. Il arrive souvent au cours de ce processus que les sociétés minières polarisent et décomposent le tissu social et affrontent de multiples façons la société et la culture locales. On rapporte, dans diverses zones de concession minières, des assassinats de leaders qui luttaient contre leur installation ou leur mise en œuvre.

11) Dans le cas des peuples autochtones, les autorités fédérales font fi des traités internationaux et de leur statut sur le consentement libre et éclairé (Traité 169 OIT) de la population concernée. Mentionnons que ce consentement libre et éclairé inclut également le droit de refuser un projet. Si ce processus de consultation se conforme au manuel que l’OIT a publié pour les consultations, la tenue de la consultation ne serait pas sous la responsabilité de l’autorité municipale ou agraire ou du gouvernement en question. Le processus doit plutôt être organisé par une autorité fédérale de « bonne foi » —tel que stipulé par la convention n°169 de l’OIT— et doit informer et consulter l’ensemble de la population autochtone, qu’elle soit propriétaire de la terre ou non.

12) C’est au cours de la phase d’exploration que les sociétés doivent présenter leur Manifeste d’incidences environnementales régionales et fédérales (MIA-R), de risque de type 2 (lorsqu’elles utilisent des substances comme le cyanure). Dès que l’entreprise présente son MIA au SEMARNAT, l’entreprise a le droit de soumettre le document à la consultation publique, dans les dix jours ouvrables suivants, et à la discrétion de l’autorité, on peut effectuer une assemblée publique au cours de laquelle l’entreprise informe la population et prend connaissance de l’opinion de divers acteurs (comme si les peuples autochtones des régions les plus reculées consultaient l’Internet tous les jeudis au cas où on déposerait un MIA dans leur région), et peut demander, dans les dix jours ouvrables suivants, la consultation publique au sujet d’un document hautement spécialisé. Au cours de la réunion publique informative, la population a le droit d’émettre son opinion et de proposer des améliorations au projet. Notons que si la population refuse le projet et ne donne pas son « assentiment social », son opinion n’est pas contraignante eu égard à l’accord de l’autorité environnementale. C’est pour cette raison que le processus de consultation et d’assemblée publique informative ne peut pas être considéré valide.

Rappelons que les territoires autochtones s’organisent principalement autour de la propriété communale et à un degré moindre, de la propriété privée. Une seule concession (les entreprises en détiennent plusieurs) peut bouleverser une commune ou accaparer ou contaminer des sources d’eau, par exemple.

L’analyse des premier et deuxième tableaux et des données fournies sur les concessions minières permet de tirer diverses conclusions :
1) Des concessions minières en vigueur, certaines ont été concédées en territoires autochtones dès 1899. On peut y repérer 5 712 zones, dont chacune représente une concession. Est en vigueur un total de 5 087 (soit 1 940 892 hectares) tandis que 650 ont été retirées. Ces chiffres indiquent que 17 % des territoires autochtones sont concernés en moyenne. Néanmoins, certaines des concessions englobent presque la totalité des territoires des nations peu populeuses (Kiliwas, Kikapoo, Cucapas, Pimas, Guarijios). C’est extrêmement grave pour leur survivance. C’est le coup de grâce. Il faut préciser que même les peuples autochtones à la population importante sont aussi « expropriés » du contrôle de leur territoire, comme les Nahuas de Michoacán.

2) Les territoires autochtones les plus touchés par l’agrandissement des concessions sont ceux des Rarámuris (Tarahumaras), des Zapotecos (principalement des vallées centrales d’Oaxaca), des Chatinos, des Mixtecos, des Coras et des Tepehuanes. Ensemble, ils atteignent plus d’un million d’hectares où les Autochtones perdent le contrôle de leurs territoires et représentent la moitié de toutes les concessions en territoires autochtones.

3) Comme nous l’avons vu plus haut, les sociétés minières achètent ou louent des terrains où elles exploitent directement et traitent le minerai; lorsque la population refuse de leur vendre ou de leur louer, l’État, en vertu de la loi minière anticonstitutionnelle, a le « droit », à la demande des entreprises, d’exproprier les occupants au nom de « l’intérêt public ».

4) Les concessions minières pour l’exploitation de l’or dominent par rapport à celles qui concernent d’autres métaux ou des ressources non métalliques. L’exploitation des métaux exige l’utilisation de cyanure (de sodium) pour lessiver les métaux, au moyen de procédés à haut risque, autant pour la santé humaine que pour l’environnement.

5) Le Secrétariat de l’Économie, qui octroie les concessions, n’inclut pas dans le processus initial de consultation publique la composante autochtone et ce, en violation des conventions internationales que le Mexique a signées.

6) Les sociétés minières se lancent également dans « l’autoproduction durable » d’énergie électrique comme le démontrent les projets de quatre barrages dans la cordillère nord de Puebla. D’après les renseignements obtenus sur les concessions et sur les projets de barrages, nous pouvons conclure que les Nahuas et les Totonacos perdraient près de 30 000 hectares ou plus de leurs territoires, sans qu’on se préoccupe du fait qu’il s’agit de territoires autochtones, la base de leur culture, mode de vie et avenir.

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