Chant pour le monde. Capital câliss *1 !

Par Ève Marie Langevin

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Chant pour le monde. Capital câliss *1 ! _ PDF
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À Anatoly Orlovsky
« On a décidé de faire la nuit / Pour une petite étoile problématique / A-t-on le droit de faire la nuit /
Nuit sur le monde et sur notre cœur /
Pour une étincelle / luira-t-elle / dans le ciel immense désert» St-Denys Garneau

Faisons le point.
Le point-virgule ?
Le point majuscule ?
Les poings levés,
Frappés par la destinée ?

Le chant de la bise
creuse son tunnel d’espoir
jusqu’à vous, nœud du monde
froid, sec, et puissant
jusqu’à la faille d’amour
qu’on trouve en fin de retour
jusqu’au peuple qui connait la chanson et le vent

Une petite fourmi
canaille le sol
inlassable, turlupine
les jambes des fruits
épines dorsales du monde
avec tous ses couloirs d’air
qui tiennent nos pieds
si pesants

« Comme les craqués qui dansent
Sans savoir que l’heure avance » Louis-Jean Cormier/Karkwa

« Quand la bise fut venue » Jean de La Fontaine

« La fourmi n’est pas prêteuse » La Fontaine

1er mai
Un jeune homme
marche pieds nus
sur le tapis des bourgeons
du printemps
au Square Sir-George-Étienne-Cartier

Pendant ce temps,
des milliards de fourmis transportent
de colossales charges
sous ses deux pieds.
Et lui, qui me fait rêver,
que transporte-t-il ?

Et moi qui le regarde
parce que je n’ai pas le nez fourré
sur mon cell,
qu’est-ce que je fais ?

Pendant ce temps
sous les fourmis,
mille trillions de litres de sève,
comme toujours depuis la nuit des temps
s’éveillent et montent partout partout
dans les arbres

Les vers montent aussi et sortent
pendant que la racaille du monde explose
enfin sous nos yeux hagards,
de jambettes à mensonges à coup de crosse
à coup de fusil,
les capitalistes rampent
Mais qu’est-ce qui leur manque tant ?!
Eux qui ne sont même pas des vers
Parce qu’ils nous pompent l’air
Et font leur dernier tour de piste.
« Eh bien, dansez maintenant.» La Fontaine

«Plus il crée de la marchandise, plus l’ouvrier devient lui-même une marchandise.» Marx

« Défense d’afficher / tout ce qui ne fait pas/ vendre ou obéir » Paul Chamberland
« Faites l’amour, pas les magasins » graffiti à Montréal
« Mort aux couleuvres !» Claude Gauvreau (et autres signataires défendant Borduas contre les manœuvres de Molinari)

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À Roland Giguère. Ceci n’est plus un poème. Combien de femmes filant nos T-shirts devront-elles encore mourir encore écrasées « comme des petites miettes de tofu *1 » ? Combien de vieillards perdront-ils toutes leurs économies à la faillite provoquée de la banque ? Combien d’autres jeunes en chômage, un sur deux dans plusieurs pays de la zone euro ? Combien d’arbres asphyxiés, combien de tireurs fous rejetés faudra-t-il encore et encore ? Combien d’ados suicidés par l’intimidation de leurs pairs ? Combien de trains déraillés dans tous les Lac-Mégantic de ce monde ?
Combien d’autres fins du monde quotidiennes ?
Combien d’autres mesquineries, manque d’amour répété à l’infini, petits gestes (répétés) inconscients, répétés sans cesse de génération en génération ? Combien, combien ?
N’y a-t-il pas de fin à l’infinie ritournelle de l’ego ?

*1 « Comme des petites miettes de tofu » L’expression est de l’artiste en arts visuels chinois Ai Weiwei. Il avait dénoncé la corruption et la négligence du gouvernement après le terrible tremblement de Terre au Sichuan en 2008, qui avait enterré vivants 5000 écoliers, morts à cause des constructions de qualité médiocre. L’artiste, via son blogue a collaboré à une enquête citoyenne pour trouver le nom des disparus que le gouvernement refusait de rendre public, ce qui lui a valu, entre autres, d’être détenu par la police à l’aéroport de Pékin, et de voir ses œuvres saisies, d’être maintenu en isolation et interrogé dans un endroit secret pendant 90 jours. Heureusement, sa disparition a provoqué un tollé international, ce qui a forcé le gouvernement chinois à réagir.

Pendant ce temps
au parc,
une petite fille donne le bout de son cornet
de crème à glace
à sa sœur
pendant que son frère tire la langue
sous son cornet
attendant impatiemment
la précieuse moisson. « J’ajoute que le réel vu n’est pas le seul réel qui soit qu’il n’est doué d’aucune supériorité qualitative » Claude Gauvreau, 1959 (Lettres à Borduas)

« Nous n’en avons pas fini avec l’impondérable » C. Gauvreau

*/*

Capitalisme… « Communisme »…
Au tapis, câliss !
Talismans piteux,
Meta tatas
Pita lisca.
Me ta kata
Me lisse pital !
Capich ?

Épilogue des cœurs volants
Nous bâtissions des milliers
de cœurs volants
Nous cherchions juste
un peu plus de lumière
Nous balbutiions dans
une vie pleine de failles
Nous trouvions quelquefois une
source qui nous ressemble
qui nous rassemble

Petites dans la rupture
l’âme impure
« Du règne de la peur soustrayante nous passons à celui de l’angoisse. Il aurait fallu être d’airain pour rester indifférents à la douleur des partis-pris de gaieté feinte…
« À ce règne de l’angoisse toute puissante succède celui de la nausée.
« Ne pas avoir la nausée devant les récompenses accordées aux grossières cruautés, aux menteurs, aux faussaires, aux fabricants d’objets mort-nés, aux affineurs, aux intéressés à plat, aux calculateurs, aux faux guides de l’humanité, aux empoissonneurs [sic] des sources vives.
« Ne pas avoir la nausée devant notre propre lâcheté…
« Devant les désastres de nos amours.
« La décomposition commencée au XIVe siècle donnera la nausée aux moins sensibles. Son exécrable exploitation maintenue tant de siècles dans l’efficacité au prix des qualités les plus précieuses de la vie, se révèlera enfin à la multitude de ses victimes : dociles esclaves d’autant plus acharnés à la défendre qu’ils étaient plus misérables. L’écartèlement aura une fin.
« L’écartèlement entre les puissances psychiques et les puissances raisonnantes est près du paroxisme [sic].» P.-É. Borduas, Refus global, 1949
« le nouveau mode de production harmonique/ se constitue à travers l’effondrement du système capitaliste/ il l’emportera par brusque mutation dès que les conditions seront favorables/
le Royaume est au-dedans de Nous » Paul Chamberland

« Épilogue des cœurs volants », poème mis en musique par Anatoly Orlovsky, 2009, pour notre spectacle au Studio-théâtre de la Place des Arts. [nde. partition et musique disponible sur http://evemarieblog.wordpress.com ]

« N’en finissent plus d’atteindre des rivières en eux
qui défilent charriant des banquises de lumière
des lambeaux de saisons ils ont tant de rêves

Mais les barrières les antichambres n’en finissent plus
Les tortures les cancers n’en finissent plus
les hommes qui luttent dans les mines
aux souches de leur peuple
que l’on fusille à bout portant en sautillant de fureur
n’en finissent plus
de rêver couleur d’orange » Marie Uguay

Ajout des archives de St-Denys Garneau :
« NOUS NE SOMMES PAS
Nous ne sommes pas des comptables
Tout le monde peut voir une piastre de papier vert
Mais qui peut voir au travers
si ce n’est un enfant
Qui peut comme lui voir au travers en toute liberté
Sans que du tout la piastre l’empêche
ni ses limites
Ni sa valeur d’une seule piastre
Mais il voit par cette vitrine des milliers de
jouets merveilleux
Et n’a pas envie de choisir parmi ces trésors
Ni désir ni nécessité
Lui
Mais ses yeux sont grands pour tout prendre.»

Prologue
Renouveler les « sources émotives » et « assurer un complet épanouissement de nos facultés d’abord », comme le lançaient déjà Borduas et les Automatistes il y a 73 ans, ou « notre pratique/ c’est briser tous les cadres mentaux et matériels /qui ont conditionné notre existence » (Chamberland, 1978), cela me semble encore et toujours l’essence même de la (r)évolution qu’on avait oubliée… Tout le reste n’est que projections de nos propres insuffisances…
Défaire l’écran de fumée qui nous sépare des autres, cesser de « rêver la planète*1 » selon les conditionnements de la pensée, nous libérer de la peur, arriver au centre de soi pour parler, pour décider, ne plus contribuer à cet « horrible enfer de médisance »*1 sur les réseaux sociaux et ailleurs, prendre conscience de notre effet miroir les uns sur les autres*2 et puiser dans la réserve poétique sont les propositions pour les bases de notre postcapitalisme, dont on trouvera le vrai nom bientôt…

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*1 Selon l’expression de la tradition toltèque.
*2 Les recherches en neurologie et sur l’origine des langues grâce aux neurones miroirs sont très prometteuses.

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