Les manifs, qu’ossa donne ?

Par François Genest

Quand je lui ai dit que je pensais que ça ne donnait rien de faire des manifestations, Armand Vaillancourt m’a regardé d’un drôle d’air. J’ai eu l’impression que ma phrase avait éveillé en lui à la fois de l’étonnement et de la colère. Il s’est levé et est allé fouiller dans son atelier pour me montrer quelque chose. Il a tiré d’une boîte en carton une paire de gants de boxe de couleur rouge. En les enfilant, il m’a parlé d’un événement dans le Vieux Port pour lequel il les avait portés. J’ai eu un malaise passager à l’idée que j’étais seul avec un homme robuste qui brandissait les poings vers moi et que je venais probablement d’insulter dans sa propre demeure.

J’ai un fond d’intransigeance qui fait parfois surface et me joue des tours. Je m’étais mal exprimé en dénigrant les manifestations. Ce que je voulais dire, c’est que je sentais de l’impuissance et même du désespoir autour de moi. Et avec le peu d’énergie que mes amis et mes connaissances avaient pour tenter de changer les choses pour le mieux, je me désolais de les voir signer des pétitions sur Internet et y placer tous leurs espoirs. Pour ce qui est des manifestations, j’avais récemment participé à une marche en appui aux employés en lock-out du Journal de Montréal et j’avais amèrement constaté que ça n’aurait pas d’incidence sur la résolution du conflit. Participer à des manifestations, signer des pétitions, ce sont des actions concrètes et il ne faut pas s’en priver, mais je pense qu’il faudrait que ces actions aident à contrer le sentiment d’impuissance généralisé et qu’elles redonnent espoir, sinon elles mènent à la déception. Dans le cas du conflit au Journal de Montréal, l’enjeu dépassait largement le cadre des relations de travail et du modèle d’affaires : en forçant les journalistes à renoncer à leurs droits pour leurs articles diffusés sur les plates-formes numériques, nous avons fait, de facto, un choix de société néfaste pour le fonctionnement de la démocratie. Quelle tristesse de voir tous ces gens réunis pour manifester marcher bien sagement dans l’indifférence totale du reste de la société.

Heureusement, Armand et moi, nous nous sommes quittés en bons termes et, à la fin de la rencontre, Armand a accepté d’appuyer ma candidature aux élections des représentants de la population au sein du conseil d’administration du centre de santé et de services sociaux de mon territoire. Mais je suis parti avec plus qu’une signature. Il m’a dit une chose qui m’a intrigué au cours de cette conversation. Il était allé à une rencontre pour préparer une occupation qui aurait lieu le 15 octobre. J’ai donc quitté son atelier avec la vague idée de m’informer sur cette occupation.

Le 14 octobre, je suis allé voir le site qui annonçait l’événement et je me suis inscrit sur le forum «Automne québécois». Ce que j’y ai lu m’a plu. J’ai une bonne expérience des forums de discussion et ce que je lisais là était encourageant. Le 15 en avant-midi, je suis allé au square Victoria et j’ai aimé ce que j’y ai vu. Sur l’heure du midi, ne connaissant rien encore de la nature politique de la distribution de nourriture au square (riches ou pauvres, tous pouvaient manger gratuitement), j’allais au restaurant avec ma femme quand, par hasard, j’ai croisé Armand sur la rue, ce qui m’a bien fait plaisir. Puis ma femme est rentrée à la maison et je suis resté pour assister à l’assemblée générale. Il y avait beaucoup de monde, alors on s’est déplacés jusqu’à la partie nord du square, là où il n’y avait pas encore de tentes. Des gens avec un mégaphone ont pris l’initiative de s’adresser à l’assemblée. Ils nous ont demandé de répéter aux gens derrière nous pour que tout le monde entende. C’est un procédé qui se répétait deux à trois fois avant que l’information ne se rende jusqu’à ceux qui étaient les plus loin du mégaphone, ce qui faisait qu’on devait parler par petites phrases et attendre que l’information ait fait tout le parcours avant de continuer. Des participants ont commencé à scander quelque chose qui a été enterré par un autre slogan, que j’ai identifié comme venant d’Occupy Wall Street, peut-être : « We are the 99% ». Puis des propositions ont été énoncées au mégaphone par différentes personnes. L’assemblée s’est montrée favorable à toutes les propositions : rester unis, rebaptiser le square Victoria «place du Peuple», faire une marche spontanée après l’assemblée, faire une rencontre pour discuter d’actions collectives après l’assemblée. Personnellement, j’ai exprimé mon désaccord avec l’idée d’une marche à ce moment-là en levant les bras et en secouant mes mains vers le bas. Je préférais nettement qu’on reste sur place et qu’on se concerte. Une fois la majorité  des participants partis, je suis allé me joindre aux gens qui voulaient discuter d’actions collectives. Ce que j’ai vu là ne m’a pas plu. J’y ai vu quelqu’un prendre la parole et tenter de diriger la conversation. Quelqu’un d’autre s’est proposé pour faire une facilitation comme à Wall Street, mais le premier a dit : «Je me présente contre toi». L’autre s’est désisté. En voyant cette façon cavalière de diriger, je me suis levé et je suis rentré chez moi.

Tout aurait pu s’arrêter là pour moi, mais je suis revenu voir au bout d’une semaine. Le camp était toujours là et il y avait des tentes partout. J’ai pu parler à des gens qui étaient visiblement très impliqués. On m’a laissé faire quand j’ai pris l’initiative de répondre à un journaliste de la Gazette. J’étais un peu réconcilié  et je ne fermais pas la porte à l’idée de revenir. Plus tard, j’ai rencontré Denis McCready dans un événement organisé par l’Institut du Nouveau Monde. Il m’a parlé d’un journal qu’il tentait de démarrer et ça me semblait intéressant. Je me suis retrouvé dans le même groupe de discussion que lui et je l’ai entendu parler d’Occupons Montréal. Quand je l’ai appelé pour savoir quel genre d’articles il voulait, j’ai appris qu’il participait au comité de philosophie politique d’Occupons Montréal. Je me suis dit que ce serait une bonne façon pour moi de contribuer au mouvement.

De fil en aiguille, je me suis impliqué davantage et j’ai noué des liens avec une multitude de gens engagés, motivés, bienveillants. Ça a pris du temps avant que le mouvement gagne ma confiance, mais maintenant c’est chose faite. Et malgré les rapports parfois tendus avec des policiers, des membres de la presse et des activistes, les indignés qui sont passés par l’occupation du square Victoria ont une histoire commune qui rend chacun d’entre eux plus fort qu’il et elle ne le serait individuellement. Un occupant m’a déjà dit qu’il considérait que l’occupation de l’automne avait été une université d’activisme. Pour reprendre la métaphore, je dirais que l’occupation du square a été la session d’automne, les rencontres à la Fonderie Darling, la session d’hiver; nous sommes allés en stage au Printemps Érable et les occupations nomades sont les cours d’été.

Les raisons de s’indigner sont encore réunies et je crois bien que ce mouvement social est le précurseur de changements profonds de la société. Les étudiants en grève sont les leaders d’une génération qui sera mieux politisée. Les assemblées populaires autonomes de quartier contiennent les germes d’une vie politique de proximité. Les indignés doivent relever à peu près les mêmes défis dans tous les coins du monde et le sentiment de solidarité entre les peuples est palpable. Ce que j’ai vécu pendant cette première année me rend optimiste. Personnellement, je vais tenter d’aider mon centre de santé et de services sociaux en participant au comité des usagers et je vais continuer à aider le mouvement Occupons, les APAQ et les étudiants en participant à des conversations et à des actions citoyennes.

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