TROISIÈME DÉBAT: Le projet OGM: Entre espoirs et déboires

Par Timothé Nothias

Le projet OGM: Entre espoirs et déboires _ PDF

 

Déchaînant les passions, les trois lettres O.G.M. ne laissent personne indifférent.  Océan de Germes Maudits pour les uns, Objets de Grande Modernité pour les autres, les Organismes Génétiquement Modifiés, ou OGM, font partie de ces débats houleux dans lesquels on entend tout et son contraire. La controverse est musclée : il n’est pas rare d’entendre, par exemple, d’une part, que les OGM sont une indispensable opportunité à saisir au nom de l’avenir de la planète et, de l’autre, qu’au contraire, ils sont un danger environnemental incommensurable ! Les discussions entre partisans et opposants sont souvent pour le moins animées, avec des experts se qualifiant à mots à peine voilés d’« obscurantistes s’opposant aux progrès»  et de « vendus aux firmes agro-alimentaires ».

Pourtant, il n’en n’a pas toujours été ainsi. Les OGM apparaissent dans les années 1980-1990 sur la scène du débat public des biotechnologies agricoles modernes. Succédant à la Révolution verte des années 1960, dont le succès n’a pas été  à la hauteur des attentes suscitées pour solutionner la situation alimentaire mondiale, les OGM vont s’imposer un temps comme la solution incontournable à la faim dans le monde grâce à leur potentiel infini (pourquoi pas des plantes poussant en plein désert). Aujourd’hui, trois décennies après les premières recherches dans la transgénèse alimentaire, le bilan est pour le moins mitigé et il apparaît clairement que nombres d’espoirs se sont transformés en déboires, au regard de l’hostilité générale à l’encontre des OGM. Au grand dam de certains et au grand plaisir d’autres, les OGM n’occupent pas cette place triomphante  qui leur était prédite initialement. Les levées de boucliers aux quatre coins du globe aujourd’hui traduisent une gestion déplorable du dossier et l’échec des semences modifiées à prendre la place hégémonique qu’elles se voulaient dans le domaine de l’agriculture. Du point de vue des acteurs impliqués, défenseurs ou détracteurs, le projet OGM est un fiasco.

L’article se veut une introduction à la problématique, et se propose de revenir sur le processus de désillusion qui a entouré les OGM, avant de présenter par la suite l’état actuel du débat. Il s’agit de voir que le fiasco est dû à une dynamique de monopole du projet par quelques acteurs, dépassés ensuite par l’ampleur des intérêts cristallisés dans le projet, comme le montre l’aspect multidimensionnel du débat, qui touche à des enjeux certes alimentaires, mais aussi et surtout juridiques, agricoles, et environnementaux.

 

OGM : de quoi va-t-on parler?

La définition légale (directive européenne 90/220) parle « d’organismes dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». Ce qui va aujourd’hui des micro-organismes aux animaux en passant par le monde végétal, avec des finalités diverses (recherche, médecine, agro-alimentaire). Le débat présenté ici va cependant se focaliser sur un type spécifique d’organismes : les végétaux en espace non confiné et à des fins alimentaires. Ensuite, seuls certains végétaux modifiés seront considérés en tant qu’OGM. Car la main de l’homme modifie effectivement les plantes depuis longtemps : les biotechnologies agricoles existent depuis des millénaires. Cependant, à la différence de celles traditionnelles fondées sur la technique de la sélection, celle des OGM se propose de réaliser de la transgénèse. Dorénavant, le patrimoine génétique de la plante se trouve non plus transformé par un croisement entre semences d’une même espèce, mais par l’introduction d’un gène extérieur grâce au franchissement de la barrière des espèces. Voilà pourquoi le terme OGM sera ainsi entendu comme 1) une plante génétiquement modifiée 2) par l’implantation de gènes issus d’une autre espèce 3) cultivée en plein air à des fins alimentaires.

Les OGM dans le monde

Aujourd’hui, les cultures OGM concernent environ 9,5% des surfaces cultivées dans le monde, soit 135 millions d’hectares. 90% concernent des plants alimentaires, à savoir le soja (53% – soit un tiers des cultures mondiales), le maïs (30%) et le colza (5%). De manière plus résiduelle, ou en phase de test, on trouve la tomate, la luzerne, la papaye, le sucre, les pommes de terres, l’aubergine et le riz. Pour les 10% restants il s’agit de coton et de tabac. 26 pays possèdent d’ores et déjà des cultures pour la commercialisation. Parmi ces 26 pays, les États-Unis arrivent de loin en tête avec 50% de la surface d’OGM cultivée dans le monde. Ils sont suivis par l’Argentine (17%), le Brésil (13%), l’Inde et le Canada (6% chacun). Les quelques pourcents restants se partagent entre la Chine, les Philippines, l’Australie, l’Afrique du Sud, le Burkina Faso, l’Égypte, le Paraguay, l’Uruguay, la Bolivie, la Colombie, le Honduras, le Chili, le Mexique, l’Espagne, la Pologne, le Portugal, l’Allemagne, la France, la République Tchèque et la Roumanie. De plus, bien que des informations chiffrées exactes soient malaisées à obtenir, le marché des semences modifiées, d’une valeur estimé à 7 milliards de dollars (en 2008), est contrôlé essentiellement par les firmes Monsanto et Bayer, ainsi que Syngenta, Novartis, DuPont et Dow AgroScience.

L’aventure de la transgénèse alimentaire : les dessous d’un fiasco

Cette première partie se propose de passer en revue historiquement le projet OGM, afin de montrer le processus de monopolisation du projet par quelques acteurs et ses conséquences : pourquoi, dès le commencement de l’aventure, les semences modifiées contenaient ainsi les germes de leur propre contestation.

 

Les années 1950 et 1960. Préalables : modernisme et monogénisme

Les premières avancées dans le domaine de la génétique s’effectuent dans un contexte d’euphorie face aux avancées de la Science au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : l’être humain vient une fois de plus de repousser ses limites avec la maîtrise de la technologie nucléaire, et le progrès, véhiculé par la recherche, semble plus que jamais incarner une modernité prometteuse. Les scientifiques ont une foi quasi naïve en la science et en demain. La découverte de la structure de l’ADN, ce code génétique contrôlant l’ensemble des processus biochimiques de tous les organismes vivants, s’inscrit dans cette dynamique. Les bornes de l’imaginaire sont  une fois de plus repoussées – pourquoi pas de la chirurgie génétique -, et ce qui va devenir la science de la biologie moléculaire prend son essor. Le courant qui devient dominant en son sein est celui de l’école des Mendéliens, pour laquelle les caractères génétiques sont monogéniques, c’est-à-dire qu’un gène code une fonction. Forte de cette nouvelle base sur le fonctionnement mécanique du vivant, l’idée de recombinaison d’ADN par l’introduction de génomes extérieurs germe quasi-immédiatement (Monsanto en parle dès 1962), avant même que les compétences techniques soient acquises. Le terme de genetic engineering, soit génie génétique, fait ainsi son apparition pour la première fois en 1965.

Les années 1970. Amorce : privatisation

Les avancées techniques en génétique permettent dorénavant potentiellement des constructions insérant des gènes d’une espèce dans une autre (les premières en 1971). Face aux risques pouvant advenir dans les laboratoires est réalisé, en 1975, le Congrès international sur la recombinaison des molécules ADN, qui débouchera sur le fondamental consensus d’Asilomar. L’objectif annoncé est de réfléchir et d’anticiper les dangers des manipulations en produisant un accord sur des procédures de sécurité. Autant d’un point de vue extérieur, cette conférence apparaît comme un geste de responsabilité (anticipation des risques), autant du point de vue des scientifiques, il s’agit là uniquement d’éviter une ingérence extérieure dans la définition des termes de l’équation. En effet, dans un contexte d’intensification de la compétition scientifique internationale, l’enjeu derrière l’auto-définition des règles (que l’on veut légères : de lourds protocoles ralentissent les expériences et donc les résultats, ce qui réduit les publications et donc les fonds en découlant) est de maintenir une implication minimum du grand public et des gouvernements. En se centrant d’emblée sur des questions stricto sensu de sécurité en laboratoire, toute considération éthique ou sociale est exclue de la définition du problème de la modification génétique. Au sortir de la conférence, le consensus d’Asilomar qui se dessine met de l’avant une dynamique de double monopole qui sera capitale dans l’orientation que prendra le projet OGM : le génie génétique sera une science strictement aux mains des biologistes moléculaires (mendéliens), et sera financé par des capitaux privés. Autant le nucléaire était une science menée par l’État, autant la génétique se positionne comme une science contrôlée par le secteur privé. Cette monopolisation est le fruit d’un contexte particulier aux États-Unis.

Dans une Amérique aux industries traditionnelles (sidérurgie et automobile mais surtout chimie) vacillantes et à la croissance économique en berne, les biotechnologies apparaissent comme le nouvel El Dorado, notamment grâce leur potentiel commercial, pharmaceutique et agroalimentaire. Parallèlement, le financement public de la recherche agronomique se restreint fortement, alors même que les coûts liés à la recherche, spécialement dans ce secteur pointu, augmentent fortement : l’industrie investit massivement dans les universités et des partenariats se créent (Monsanto et Washington University, DuPont et Harvard), ce qui ne va pas sans influencer les thèmes de recherche en génétique ou la cupidité de certains chercheurs. Cette émergence sous la houlette de l’industrie se réalise d’autant mieux que le secteur public subit de plein fouet la victoire du libéralisme reaganien consacrant le recul de l’État et la valorisation du privé. Cette tendance est accentuée grâce à non seulement une intense activité de lobbysme au Congrès, mais aussi à une perméabilité – décisive par la suite – des agences garde-fous du système sanitaire (NIH, FDA, USDA, EPA)[i] à l’industrie, qui déclaraient les biotechnologies sans danger. Le grand public, quant à lui, est acquis à l’idée des biotechnologies agricoles grâce à deux arguments essentiellement : de un, que c’est une technologie fondamentalement propre (faible consommation d’énergie et peu polluante par rapport aux autres industries telles que les pétrolières), et de deux, qu’elle va pouvoir permettre de mettre fin à la faim dans le monde (une hausse des rendements agricoles est possible grâce à une augmentation génétiquement programmée de la capacité de la plante « à fixer l’azote »).

Les années 1980. Départ : industrialisation

Lancé ainsi sur les rails des profits substantiels davantage que des prix Nobel, le projet OGM démarre sur les chapeaux de roues avec un contexte très favorable de feux verts. En effet, l’arrêt Chakrabarty de la cour suprême, en 1980, édicte qu’ « un micro-organisme fait par l’homme et vivant est matière sujette à brevet », en d’autres termes, que les produits issus de construction génétique peuvent faire l’objet de commerce sous la protection du régime des brevets. De plus, les NIH (National Institutes of Health) déclarent, en 1983, qu’il n’est plus nécessaire de maintenir les OGM dans un milieu clos (une ouverture pour les champs). Enfin, la FDA déclare en 1986 l’innocuité des OGM (bien qu’ils n’existent pas encore), en vertu du principe d’équivalence en substance, ou substantially equivalent : il n’y a pas de différence entre un aliment transgénique et un autre, de sorte qu’aucun étiquetage n’est nécessaire, de même que des essais de sécurité particuliers. Des messages très bien reçus et compris par l’industrie. Une industrie en pleine euphorie, d’ailleurs.

L’entrée en bourse des biotechnologies au début de la décennie est fracassante : les montants de capitalisation sont du jamais vu, on assiste à une véritable floraison de start-up, et les grandes sociétés mènent une activité fébrile de multiplication des acquisitions ainsi que des contrats de recherche avec des universités. Les résultats ne se font pas attendre et, en 1983, trois équipes au coude à coude présentent leur première construction, une plante génétiquement modifiée résistante aux antibiotiques luttant contre l’agrobacterium tumefaciens, une bactérie bien connue des agriculteurs en tant que responsable de tumeurs sur nombre de leurs plans. Quatre ans plus tard, en 1987, la seconde avancée majeure est réalisée avec la construction d’un plan possédant des gènes de la Bacillus thuringiensis, conférant une résistance à la pyrale, un insecte fléau des cultures, lui aussi bien connus des agriculteurs. Au cours de ces années, la compétition s’intensifie, l’ambiance entre équipes se dégrade et le projet OGM s’éloigne de plus en plus du domaine de la recherche fondamentale pour se placer en tant que recherche appliquée et enjeu industriel confidentiel par rapport aux brevets sur la propriété intellectuelle. Aux yeux de l’industrie, il est dorénavant temps de rentabiliser cette recherche qu’elle finance largement depuis des années : les années suivantes vont ainsi être dévouées à la commercialisation des découvertes effectuées (gène de résistance aux herbicides et antibiotiques, gène de résistance à un insecte). La contestation aux OGM est faible et marginale, peinant à se faire entendre sur un sujet n’impactant pas encore la vie réelle.

Nothias
Source : Reymond Pagé – ECT Group http://www.etcgroup.org/upload/cartoons/nomoregeneflowfrench.jpg

Les années 1990 et 2000. Élan brisé : l’effet boomerang

La première commercialisation s’effectue en 1994 (après quatre ans de batailles avec la FDA) et voit débarquer sur le marché américain la tomate Flavr Savr, de Calgene, censément plus résistante au pourrissement. Si l’expérience est un succès scientifique, c’est en revanche un gros échec commercial. La construction génétique se révèle moins maîtrisée que prévu : la résistance au pourrissement fonctionne moins bien que prévu et les gains gustatifs sont faibles, surtout que les valeurs nutritionnelles sont quasi-nulles. Gouffre financier, ce revers abat Calgene, et c’est alors au tour de Monsanto de mettre ses produits (RoundUp Ready) sur le marché en 1996, à savoir ses semences modifiées de soja et de maïs. Le succès est au rendez-vous. La surface américaine de cultures transgénique passe de 1,7 million d’hectares en 1996 à 24 en 1999. Cette réussite auprès des agriculteurs prend ses racines à trois niveaux. Tout d’abord, dans les intenses campagnes menées par les lobbys sur les promesses des OGM. Ensuite, par le fait que les agriculteurs sont dépendants de leur semenciers depuis quelques décennies déjà : le maïs planté depuis la fin des années 1940 est exclusivement « hybride » (fruit d’un double croisement), c’est-à-dire à haut rendement, mais pour une saison seulement, ce qui oblige les agriculteurs à se réapprovisionner chez leur semencier chaque année. Enfin, dans les dynamiques même du système agricole, qui ne laisse que peu de choix à l’agriculteur quant à l’utilisation de semences modifiées ; les prix des matières premières sont en constante baisse et, face à la concentration très avancée du secteur ainsi qu’au plafonnement des rendements, les agriculteurs sont ainsi lancés dans une course à la survie où les OGM leur apparaissent comme une bonne option pour augmenter leur production. Certes réveillé, le militantisme anti-OGM (et son concept de frankenbouffe) peine à rejoindre le grand public et lutter contre la puissance des grosses firmes.

Cependant, ce premier succès commercial est trompeur et ne s’étend pas comme espéré au reste du monde. Bien que l’appui législatif européen (Commission de Bruxelles) et de la majeure partie de la communauté scientifique (malheur aux dissidents tels que Pusztai, en 1998, qui paye de sa carrière sa dissidence vis-à-vis de l’establishment pro-OGM) soient acquis, l’Europe dit non aux OGM. Ceci tient à deux raisons principalement : l’une indépendante, liée au contexte européen, et l’autre, plus directe, résultante des mauvais choix de Monsanto. Tout d’abord, le refus des OGM s’inscrit dans un contexte de crise de confiance autour de l’industrie agro-alimentaire, puisque l’Europe de 1995-1996 est aux prises avec la vache folle, qui jette le doute sur la technicisation de l’alimentation et la crédibilité des scientifiques. Ensuite, ce refus est aussi clairement lié à l’attitude de Monsanto, cette firme contrôlant désormais la quasi-totalité du marché des semences modifiées. Négligeant l’aspect communicationnel, Monsanto pratique les lieux de pouvoirs et leurs coulisses davantage que l’implication du consommateur final, se bornant à une attitude arrogante face au grand public. L’étincelle qui met le feu aux poudres est la tentative d’introduction en douce du soja transgénique américain dans le port d’Hambourg en novembre 1996. C’est à ce moment là que Greenpeace, acteur majeur dans le refus européen rentre en jeu. Par la suite, la majeure partie des gouvernements se déclarent opposés aux OGM. Seule la France demeure indécise et rentre dans un bal, aujourd’hui encore inachevé, ne sachant pas sur quel pied législatif danser face aux semences de Monsanto et compagnie.

Dans le reste du monde, les OGM progressent en termes d’hectares cultivés grâce aux réglementations commerciales permissives de l’OMC, mais certainement pas en popularité. Aujourd’hui plus décriées que jamais par les populations des pays du Sud suite à des expériences néfastes, notamment en Amérique du Sud (les dangers de la contamination sur la biodiversité), en Afrique du Sud (échec de la récolte) et en Inde (vagues de suicides), les semences modifiées voient se dresser contre elles la mouvance altermondialiste. Cette dernière livre une guerre sans merci aux semenciers depuis une décennie, sur des théâtres allant des champs aux parvis des instances internationales. Mais, bien que péniblement, les OGM ne cessent cependant de progresser, et les nombreuses demandes de brevets ou d’autorisations de cultures un peu partout dans le monde (dans plus de 80 pays) montrent qu’ils n’ont certainement pas dit leur dernier mot.

Derrière la contestation : le débat

Il s’agit maintenant, au cours de cette seconde partie, d’introduire la controverse en passant brièvement en revue l’état actuel du débat autour des OGM : pourquoi les conteste-t-on, de quoi discute-t-on et quels sont les arguments que chaque camp avance?

OGM et législation

La contestation actuelle et le sort futur des OGM sont plus qu’intimement liés à l’aspect juridique du dossier. À l’échelle internationale, le débat se centre autour de la question de l’acteur à protéger en premier : semenciers versus agriculteurs. Deux écoles qui s’affrontent à travers deux régimes juridiques opposés. Le premier, issu de l’Accord sur les ADPIC (Aspects des Droits de Propriétés Intellectuelles) ainsi que de la Convention UPOV (Union Internationale pour la Protection des Obtentions végétales), voit les semenciers comme les innovateurs et les agriculteurs comme les usagers. Il milite en faveur de la brevetabilité du vivant et de la généralisation de ce régime. L’argumentaire est que ce système est le plus à même de stimuler l’investissement et l’innovation dans les biotechnologies, ainsi qu’à protéger le travail d’innovation des semenciers qui est volé par les pays du Sud ne reconnaissant pas les brevets. En face, la CDB (Convention sur la diversité biologique), et son prolongement, le protocole de Carthagène, placent l’agriculteur et la Terre au centre, en dénonçant le problème grave du système précédent (actuel) : à l’avantage uniquement des intérêts privés des firmes du Nord, il menace l’avancement de la recherche, la biodiversité et les droits fondamentaux des agriculteurs du Sud. À l’échelle nationale, la question est autour du sens à donner, d’une part, au principe de précaution (jusqu’où la prudence peut-elle dicter le refus ?), et d’autre part, au principe d’équivalence en substance (les OGM sont-ils différents de leurs alter ego ?). Les États-Unis se sont dotés et encouragent une législation permissive, alors que les États de l’Union européenne se dotent d’une législation plus restrictive autorisant l’invocation du principe de précaution pour le refus des OGM, et obligeant à l’étiquetage des produits comportant des OGM.

OGM et production

La contestation se réalise ensuite aussi autour du modèle de production agricole dans lequel les OGM s’inscrivent. Loin d’être neutre, à la manière d’une offre intégrée, le projet véhicule une conception particulière de l’agriculture reposant sur une vision industrielle : finalité purement commerciale, emphase sur la productivité et les rendements grâce à la concentration des terres, la monoculture et la haute technologie. L’agriculteur devient un simple producteur dépendant des semenciers. L’argument est que ce modèle agro-alimentaire est le seul à même de faire face correctement au défi alimentaire actuel et futur, et que les semences modifiées sont dans ce cadre, plus que sa meilleure arme, un impératif absolu. La réplique qui se donne avance d’abord que la solution à la faim dans le monde n’est pas prioritairement scientifique et, ensuite, que le modèle auquel s’adjoignent les OGM ne va faire qu’empirer la situation. Ces derniers sont en effet portés par une vision trop utilitariste, mécaniste et simpliste et de l’agriculture ; utilitariste parce que la vocation première du secteur agricole n’est pas de servir les profits de l’industrie agro-alimentaire, contrairement à ce qu’ils prônent. La finalité des OGM est commerciale, et non en termes de sécurité alimentaire. 99% sont soit résistants à un herbicide (vendu par le semencier), soit avec un insecticide ou un antibiotique incorporé. Mécaniste et simpliste, car les plantes ne se résument pas à des traits monogéniques et s’inscrivent en interaction avec un écosystème. De plus, l’agriculteur est un véritable artisan détenteur d’un savoir-faire réel et doit conserver le contrôle sur ses semences. L’aberration de la technologie dite Terminator (rendre les semences stériles au nom des royalties) illustre parfaitement cette faible appréhension de la complexité de l’agriculture et de la nature par les biologistes moléculaires et le secteur privé. Enfin, de manière générale, les gains de l’utilisation de semences modifiées en termes de rendements et de profits pour les agriculteurs sont de plus en plus contestés.

OGM et évaluation

Les OGM sont un projet qui fait intrinsèquement peur. Cette suspicion est d’autant plus renforcée par le déficit jusqu’à présent d’évaluation correcte des risques et par une gestion trop peu scientifique du dossier. La rétrospective indique dorénavant clairement que l’approbation de « l’innocuité des OGM » par les agences du système sanitaire américain, puis européen, tient davantage d’une pratique des lieux de pouvoir par les lobbies que d’un empirisme scientifique clair. Aujourd’hui encore, l’information est malaisée à obtenir (classée confidentielle), contradictoire (les études se succèdent et se contredisent les unes les autres) et la communauté scientifique se déchire sur le sujet, au point d’avoir émoussé sérieusement sa crédibilité dans l’opinion publique. Ce manque de transparence est la bête noire du projet. L’évaluation est requise à deux niveaux. Les aliments OGM en commercialisation sont questionnés tout d’abord par rapport aux risques toxicologiques et allergéniques pour la santé humaine qu’ils peuvent présenter. Ensuite, les cultures OGM sont aussi au centre d’un débat virulent sur les impacts environnementaux : les problèmes causés par la contamination des cultures non OGM (malgré la tentative de stérilisation des semences) appellent à re-peser dans la balance les risques d’une pollution génétique. L’impact sur des écosystèmes déjà fragilisés d’herbes et d’insectes superrésistants, ainsi que d’une biodiversité des semences sacrifiée sur l’autel darwiniste des rendements, est à considérer sérieusement.

Conclusion : vers demain

Partie d’une énorme promesse, la révolution génétique de l’agriculture n’a pas vu les bienfaits pour l’humanité annoncés se réaliser. Projet par et du secteur privé, effectué pour ses propres intérêts, il s’enlise aujourd’hui dans les déboires qu’il a provoqués. Cette désillusion est le fruit d’une trop grande hâte vers le profit, qui a voulu sauter certaines étapes capitales du projet, comme les questions éthiques et scientifiques d’évaluation réelle des risques : effet boomerang oblige, ces questions sont revenues telles une boîte de Pandore pour exploser à la figure de Monsanto et fissurer l’image des OGM. Vouloir empêcher un véritable débat n’était que reculer pour mieux sauter. Le rejet massif par les peuples du projet OGM tel que présenté et appliqué aujourd’hui envoie un message clair à l’industrie agro-alimentaire : l’alimentation est un domaine trop sensible pour que n’importe quoi puisse être fait sur le sujet, c’est un enjeu vital pour lequel des gens sont prêt à se battre.

Cristallisant beaucoup d’enjeux (contrôler les semences ne revient-il pas à contrôler la chaîne alimentaire?), la bataille des OGM fait rage dans les champs et parlements du monde entier. Le débat est extrêmement animé et polarisé. Et pour cause. Derrière la lutte que se livrent aujourd’hui partisans et opposants des semences modifiées génétiquement, c’est le modèle de l’agriculture de demain tout entier qui se joue. Le XXIe siècle sera-t-il celui consacrant la victoire du système industriel et de la science technologique, ou bien au contraire sera-t-il celui de la réhabilitation de l’agriculture paysanne locale et de sa science biologique? Est-ce que l’homme doit adapter ou s’adapter à son environnement? Cette interrogation prend tout son sens dans notre contexte démographique de défi alimentaire sans précédent : quel est le modèle le mieux à même de nourrir 9 milliards d’êtres humains? Et, pour cela, que faut-il faire des OGM : les approuver ou les récuser?

Timothé Nothias, membre du REDTAC, est actuellement étudiant au baccalauréat en études internationales à l’Université de Montréal. Son domaine de spécialisation est la souveraineté alimentaire et l’impact des biotechnologies


[i] NIH : National Institutes of Health ; FDA : Food and Drug Administration ; USDA : US Department of agriculture ; EPA : Environmental Protection Agency

 

 

 

Repères bibliographiques:

ALI BRAC DE LA PERRIERE, Robert, et Franck SEURET.  Graines suspectes. Les aliments transgéniques : une menace pour les moins nantis, Paris, Éditions Charles Léopold Mayer, collection enjeux planète, 2002

FEILLET, Pierre. OGM le nouveau Graal? Dialogue à quatre voix, Paris,  Belin, collection pour la science, 2009

GUERIN-MARCHAND, Claudine, et Claude REYRAUD. Faut-il avoir peur des OGM?, Paris, Hachette Édition, collection Phare, 2000

HOUDEBINE, Louis-Marie. OGM, le vrai et le faux, Paris, Éditions le Pommier, 2000

KEMPF, Hervé. La guerre secrète des OGM, Paris, Éditions Seuil, collection l’histoire immédiate, 2003

LE GALLI, Michaël, et Mike. La guerre des OGM, Paris, Delcourt

MULLER, Brigitte. La bataille des OGM, combat vital ou d’arrière garde?, Paris,  Ellipses, collection transversale débat, 2008

SERALINI, Gilles-Eric. Ces OGM qui changent le monde, Paris,  Éditions Flammarion, 2004

SIKELI,  Jean-Paul. Les OGM face à la question de la sécurité alimentaire : dilemme et controverse, Mémoire de maîtrise, Université de Cocody-Abidjan (Côte d’Ivoire), 2006

Laisser un commentaire