Sécurité humaine et souveraineté alimentaire au Sud

Par Assétou Samaké

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Du point de vue de Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (COPAGEN), la souveraineté alimentaire est l’autonomie, pour toutes les nations, dans la production et la gestion de l’alimentation. La notion a théoriquement le même sens au Nord et au Sud. Cependant, dans la pratique, de nombreux pays du Sud sont dans une position de vulnérabilité structurelle qui les empêche de tendre vers cette autonomie, alors qu’elle est relativement plus accessible pour les pays du Nord. Tous les membres de COPAGEN s’entendent sur la définition de la souveraineté alimentaire; le réseau fut d’ailleurs très actif dans l’organisation du Forum de Nyéléni.

Dans  la société civile africaine engagée dans le débat sur la souveraineté alimentaire, il existe différents points de vue sur la manière de l’atteindre. Pour certains, elle est réalisable aujourd’hui et ses principes devraient être mis en application dès maintenant. Pour d’autres, il faut aller d’abord vers la sécurité alimentaire en  assurant la disponibilité et l’accessibilité aux aliments, tout en construisant la souveraineté alimentaire en augmentant davantage la production alimentaire locale.

De mon point de vue personnel, la production locale doit être complétée par l’importation pour combler le déficit alimentaire actuel et, dans certains cas, une cohabitation est possible entre petites et grandes fermes dans une perspective de souveraineté alimentaire. En effet, «souveraineté alimentaire» ne veut pas dire «autarcie dans la production alimentaire», mais il faut que la production locale y soit valorisée. En d’autres mots, c’est la production d’exportation qui devrait compléter le déficit de la production locale et non l’inverse. Cette démarche mixte de la construction de la souveraineté alimentaire exige un engagement politique fort des États du Sud et la participation active et soutenue de la société civile.

Nos États africains, dès leur accession à l’indépendance, ont fait de la question alimentaire la priorité des priorités. Le principe fondateur des politiques agricoles était l’autosuffisance alimentaire axée sur les producteurs et les ressources nationaux. Mais avec les politiques d’ajustement structurel et la libéralisation du commerce international des produits alimentaires, l’autosuffisance va être remplacée par la sécurité. La différence fondamentale entre l’autosuffisance et la sécurité alimentaire réside dans la place du système de production agricole national dans la stratégie de production alimentaire. Si l’autosuffisance alimentaire est fondée prioritairement sur les producteurs et les ressources nationales disponibles, la sécurité alimentaire, quant à elle, en fait un élément secondaire.

Les crises alimentaires et sociales récurrentes ont démontré que l’alimentation est une donnée fondamentalement politique et culturelle, et qu’elle va bien au-delà de la seule disponibilité/accessibilité. La souveraineté alimentaire en tant que politique permet aux décideurs publics, aux producteurs et à l’ensemble de la société civile d’un pays ou d’une région  de se réapproprier leur alimentation dans toutes ses dimensions.

Souveraineté alimentaire et sécurité humaine

Les avantages de la souveraineté alimentaire sont nombreux: la maîtrise des producteurs agricoles face à leurs terres, et la création d’un lien entre le producteur et le consommateur figurent au premier plan. Ces deux éléments contribuent à une plus grande sécurité humaine. Ce concept, utilisé pour la première fois par l’ONU en 1994, place les êtres humains plutôt que les États au centre de la réflexion sur la sécurité. Dans son sens large, elle signifie être à l’abri du besoin, de la faim et de la peur. Dans un contexte de souveraineté alimentaire, les agriculteurs produisent ce qu’ils veulent, en fonction de leur culture et de leur expertise et non en fonction de techniques qu’ils ne maitrisent pas. Ainsi, la souveraineté alimentaire est synonyme de plus de sécurité humaine pour les producteurs, car elle réduit l’insécurité liée à la dépendance à l’égard des multinationales ou des institutions supranationales et l’incertitude face à l’avenir. De mon point de vue, la sécurité humaine, ce n’est pas uniquement conserver l’intégrité de son corps contre la violence physique, c’est aussi avoir la garantie d’un revenu décent dans le temps, la garantie du respect de son mode de vie et la pérennité de sa culture pour ses descendants. De plus, la souveraineté alimentaire permet de rétablir le lien entre le producteur et le consommateur. Cette notion fait de la question alimentaire une réalité tangible (plutôt que virtuelle) pour le consommateur et rend imputable le producteur face au consommateur. Cette imputabilité permet davantage de sécurité humaine pour le consommateur, car le producteur est responsable de la qualité des aliments qu’il produit.

 

La question des OGM

COPAGEN et moi-même sommes contre l’utilisation des OGM dans une perspective de souveraineté alimentaire. D’abord, les OGM sont synonymes d’une logique marchande qui s’oppose à la pratique actuelle d’échange libre des semences entre paysans africains. Dans le système actuel, où les semences sont échangées librement, ce ne sont pas des relations juridiques ou économiques qui encadrent les transactions de semences, mais des relations sociales entre les paysans. Ces échanges font partie des mécanismes endogènes de solidarité et de cohésion sociale. Avec les OGM, les dimensions économiques et juridiques dominent la dimension socioculturelle, les paysans  perdent ainsi leur liberté de choisir ce qu’ils veulent cultiver sur leurs terres, et il s’ensuit une érosion de la biodiversité. Ensuite, les OGM comportent une grande imprévisibilité, puisqu’ils n’ont pas de «passé écologique». De ce fait, ils sont comme «les radicaux libres de la biodiversité», c’est-à-dire qu’ils mènent vers des sentiers complètement inconnus et incontrôlables. Le métabolisme de l’être humain s’est développé et adapté au fil de l’évolution pour absorber et transformer les aliments que nous mangeons. Notre métabolisme actuel est donc le résultat d’un processus complexe et graduel entre notre corps et notre alimentation, à laquelle on s’est adapté. Les OGM sont une nouvelle forme Assétoud’alimentation, créée artificiellement et imposée subitement au métabolisme. On ignore donc comment le métabolisme et le système immunitaire de l’être humain vont réagir face à ce changement et on ne peut affirmer avec certitude ce que seront les impacts de cette technologie sur notre santé. De ce fait, il faut s’attendre à des perturbations métaboliques auxquelles nous ne sommes pas préparés et qui vont mettre en péril la santé humaine.

Politiques concrètes?

Pour ce qui est des politiques pouvant être mises en place pour réaliser la souveraineté alimentaire, il y a tout un travail de diffusion d’information et d’échange d’idées qui doit être fait. En effet, pour permettre la réalisation du concept, il faut d’abord que tous les acteurs impliqués dans le débat sachent de quoi on veut parler lorsque l’on dit «souveraineté alimentaire». Il s’agit d’un des aspects les plus importants du travail de COPAGEN. Concrètement, l’organisation veut porter à la connaissance de la grande majorité des Maliens et des Africains le concept de souveraineté alimentaire et permettre aux producteurs et à la société civile de comprendre les fondements du système alimentaire dominant, ainsi que son lien avec la faim, la famine et l’effondrement du système alimentaire. Il y a aussi un travail de promotion de l’agriculture familiale et paysanne à faire, puisque celles-ci sont très souvent perçues comme des types d’agriculture archaïques et sans intérêt. C’est ainsi que la COPAGEN travaille sur des alternatives de promotion de l’agriculture paysanne familiale en tant que système de production agricole et alimentaire. Ensuite, à un niveau étatique, COPAGEN/Mali a participé activement à l’élaboration de la Loi d’Orientation Agricole du Mali, centrée autour de la notion de souveraineté alimentaire et du rejet des OGM. Aujourd’hui, pour la Coalition, le travail consiste à veiller à la mise en œuvre pratique des orientations prises à travers la LOA. Finalement, au plan local, il existe des initiatives de consolidation des systèmes alimentaires locaux, comme la mise en place des banques de gènes locales, des banques de semences et des banques de céréales. Ces banques contribuent à la préservation et la valorisation de la biodiversité agricole locale adaptée au milieu, garantissent par leur proximité l’accès des producteurs aux semences et, enfin, participent à la consolidation de la sécurité et de la souveraineté alimentaire en stabilisant les prix des denrées de première nécessité et en assurant la participation effective des producteurs à toutes les séquences du système.

Assétou Samaké est biologiste généticienne de formation. Elle est cofondatrice de l’Institut de Recherche et de Promotion des Alternatives en Développement (IRPAD) et membre de la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (COPAGEN). COPAGEN est un réseau de membres de la société civile regroupant des agronomes, des généticiens, des sociologues, des groupes de femmes, des paysans, des associations de consommateurs, etc., et qui est présent dans neuf pays de l’Afrique de l’Ouest. L’objectif principal du réseau est de protéger les semences traditionnelles et de lutter contre l’utilisation des OGM. COPAGEN existe depuis 2004.

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