La droit à l’alimentation

Par François Décary-Gilardeau

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Le concept de la souveraineté alimentaire est très récent. Loin d’avoir atteint une maturité, son cadre reste à définir. La souveraineté alimentaire est sujette à une construction dynamique où les pratiques et les idées se chevauchent pour délimiter son contenu normatif. C’est pourquoi Option consommateurs juge qu’il est essentiel de prendre part à la réflexion sur la souveraineté alimentaire dans le but de s’assurer que le débat se trouve sur la place publique et qu’il soit perçu comme un réel débat de société.

Une marchandise pas comme les autres

En premier lieu, Option consommateurs soutient qu’au pays, tous les citoyens doivent pouvoir se nourrir adéquatement en ayant accès à des aliments sains, culturellement et socialement acceptables, notamment en étant produits de manière durable. Cela bien entendu peu importe les revenus ou le statut socioéconomique de l’individu. En fait, pour l’organisme, l’alimentation est un droit.

D’ailleurs, il est stipulé à l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation […] ». On cite aussi comme droits essentiels, le logement, l’habillement et les soins de santé.

Pourtant, force est de constater qu’aujourd’hui, loin d’être considérés comme un droit, les aliments sont de plus en plus perçus comme une marchandise, l’exemple le plus flagrant étant la montée considérable des agrocarburants et des bioproduits. Dans un système de libre marché, un kilo de blé pourra aussi bien servir à la production d’éthanol qu’à produire une vingtaine de miches de pain (selon Olivier de Schutteur, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation). Lorsque l’on sait que la faim touche près d’un milliard d’individus dans le monde, c’est troublant! Dans les faits, rien n’empêche le distributeur de privilégier la filière énergétique à la filière alimentaire. Il faut reconnaître qu’aujourd’hui, ces deux filières sont de plus en plus interconnectées.

Bref, si l’alimentation est un droit, par le fait même, les aliments ne sont pas une marchandise comme les autres et l’agriculture est une activité économique distincte. On ne peut assujettir les aliments aux mêmes règles du marché qu’un crayon ou un iPod. Pourquoi? Tout simplement parce que le marché n’est d’aucune façon structuré pour répondre aux besoins fondamentaux des individus.

Décary-GirardeauLa souveraineté alimentaire

En fait, pour Option consommateurs, la souveraineté alimentaire, c’est se redonner le pouvoir sur notre alimentation à tous les égards : au niveau du citoyen, au niveau de l’agriculteur, au niveau du consommateur. C’est réorienter l’agriculture et l’industrie agroalimentaire vers leur but ultime : contribuer au bien-être des individus par le biais d’une alimentation saine.

Au début, on a mentionné que la souveraineté alimentaire est un concept récent. Cette jeunesse n’est pas étrangère aux transformations qu’ont connues l’agriculture et l’industrie agroalimentaire au cours des dernières décennies, et plus particulièrement au cours des dernières années. Aujourd’hui, seulement trois entreprises contrôlent indirectement environ 75 % du commerce de détail alimentaire au Québec. La transformation et l’abattage sont également fort concentrés. On n’a qu’à penser à Maple Leaf qui, lors de la crise de la listériose, a dû rappeler 220 produits distincts partout au Canada, ou encore à Monsanto, qui commercialise 40 % des semences de maïs et 25 % des semences de soya mondial. Bref, le rapport de la société et de l’industrie vis-à-vis l’alimentation s’est grandement transformé, d’où l’impression d’une perte de contrôle généralisée et le besoin de trouver une solution de rechange auquel répond la souveraineté alimentaire.

Du discours à l’action

Au Québec comme ailleurs, on parle de plus en plus de souveraineté alimentaire. On parle, entre autres, d’autonomie, de pouvoir local, du droit de décider, du droit de produire. Le discours (ou contre-discours) est en train de changer et s’inscrit en faux avec l’idéologie dominante néolibérale (pensons à l’Accord Canada-Union Européenne). Cependant, si l’on perçoit des changements importants dans le discours, les gestes et les décisions ne semblent pas suivre le courant, notamment au plan des politiques publiques et des pratiques commerciales.

Nous croyons que cette déclaration du chef du Parti libéral du Canada, Michael Ignatieff, démontre bien l’idéologie dominante changeante : « la nourriture fait partie des choses qu’on ne doit pas mondialiser. L’agriculture est différente des autres secteurs économiques… il faut repenser la politique alimentaire nationale en l’axant sur la souveraineté alimentaire afin d’accroître au pays la consommation d’aliments produits par les agriculteurs canadiens, notamment en raison de la croissance inexorable des frais de transport. La souveraineté de mon État doit aussi servir à protéger et à garantir la salubrité de ce que les Canadiens consomment »[i].

Option consommateurs croit que les consommateurs ont le droit d’être informés relativement aux aliments qu’ils achètent. Cette information doit être pertinente, véridique, simple, précise et vérifiable. Si l’exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM) vient immédiatement à l’esprit, les citoyens veulent faire des choix éclairés en fonction de valeurs qui leur sont chères (santé, environnement, lieu de production), mais force est de constater qu’il est ardu aujourd’hui de faire les « bons choix ». Étiquetage inadéquat, allégations impertinentes, logos douteux, voilà des pratiques commerciales qui minent la crédibilité de la filière agroalimentaire dans son ensemble.

Finalement, si les acteurs économiques et politiques ont un grand rôle à jouer, une première étape cruciale vers la souveraineté alimentaire est d’encourager et de revaloriser les diverses actions entreprises par le milieu communautaire liées à l’alimentation. Par exemple, on pense aux cuisines collectives, aux jardins urbains ou aux coopératives d’achat. Chacune de ces initiatives a des répercussions extrêmement positives à divers niveaux (social, économique, santé) et permet aux individus de faire des choix autonomes qui respectent les principes de la souveraineté alimentaire.

François Décary-Gilardeau est analyste agroalimentaire chez Option consommateurs. Créée en 1983, cette association sans but lucratif est vouée à la défense et à la promotion des droits consommateurs. Pour ce qui est de l’alimentation, Option consommateurs travaille à trois niveaux : l’information donnée aux consommateurs, la sécurité des aliments et l’accessibilité aux aliments.


[i] Rapporté par La terre de chez nous, après sa rencontre avec l’UPA, le 4 juin 2009 http://www.laterre.ca/?action=detailNouvelle&menu=9&section=editionCourante&idArticle=6322

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