Construire une coalition pour la souveraineté alimentaire

Par Frédéric Paré

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Les avantages liés à la souveraineté alimentaire sont nombreux, que l’on se place du point de vue du producteur, du transformateur ou du consommateur. Ceci implique principalement trois éléments: la sécurité alimentaire pour les citoyens, la sécurité d’approvisionnement pour les transformateurs et la stabilité économique pour les autres opérateurs économiques, comme les agriculteurs. D’abord, la souveraineté alimentaire permet aux pays de choisir leur niveau d’autosuffisance alimentaire et de prendre les moyens requis pour l’atteindre, en y incluant une rémunération (prix) apte à couvrir les coûts de production domestiques par un écoulement domestique organisé (c’est l’idée du contrat social qui prend tout son sens). La souveraineté alimentaire est donc cette capacité de choisir collectivement et réaliser sa sécurité alimentaire pour un peuple, un pays. Ensuite, elle permet aux transformateurs de s’approvisionner à même les ressources agricoles du territoire, dans un système où les niveaux de production sont maîtrisés, plutôt que laissés aux forces du marché. En cela, la mise en marché collective et la formule coopérative sont de belles applications de la souveraineté alimentaire. Enfin, elle permet une croissance économique durable, dans la mesure où les facteurs du marché sont davantage contrôlés (cas des banques canadiennes qui sont passées à travers de la crise économique parce qu’elles avaient des obligations réglementaires à rencontrer, comme la constitution de réserves importantes). Comme pour l’eau, les soins de santé ou l’éducation, les citoyens peuvent aussi convenir d’un contrat social pour leur système alimentaire garantissant l’universalité, la durabilité et l’équité pour tous.

L’État et la souveraineté alimentaire

La souveraineté alimentaire vise par définition la réhabilitation du politique et de la capacité à faire des choix collectifs dans le fonctionnement des systèmes alimentaires. La Coalition pour la souveraineté alimentaire défend la notion de souveraineté alimentaire telle qu’elle a été présentée à l’occasion du Rendez-vous québécois pour la souveraineté alimentaire, lors de la dernière journée d’audience de la Commission sur l’avenir de l’agriculture le 7 septembre 2007 à Montréal. Deux idées fondamentales jalonnent, pour la Coalition, le concept de souveraineté alimentaire: subordonner le commerce au droit fondamental à une production locale et écologique saine, et  réguler et organiser les marchés afin qu’ils assurent le droit à des conditions de travail décentes et celui à des aliments sains provenant du territoire local.

Pour la Coalition pour la souveraineté alimentaire, ce que les citoyens mangent doit être fortement déterminé par ces choix collectifs. À cet effet, l’État joue un rôle central dans son avènement et sa réalisation.  Il peut jouer trois différents rôles dans son application.  Par des actions de type «Campagnes d’éducation» comme la campagne «Mettez le Québec dans votre assiette», l’«État éducateur» invite les citoyens à consommer des aliments locaux, produits et commercialisés dans le respect de l’environnement et des personnes, dans un esprit d’universalité, de durabilité et de solidarité. Mais ce type d’action gouvernementale comporte ses limites, car il fonde sa logique sur la responsabilité individuelle en vue d’assurer les changements collectifs souhaités. Or, on sait à quel point les conditions de production et de commerce des aliments peuvent varier d’un pays à l’autre et à quel point le revenu des ménages peut grandement déterminer ce qu’ils consomment. En cela, l’équité économique n’est pas possible pour les aliments et pour l’agriculture, à moins d’interventions politiques et collectives. Des pays ou des régions seront toujours favorisés, d’autres défavorisés. Mais tous ces États encourent les mêmes responsabilités à l’égard des droits humains. Puis, il y a l’«État complice», qui s’en remet aussi à la liberté de consommer et d’entreprendre comme principale stratégie de changement, mais qui aide économiquement les citoyens ou entrepreneurs à faire des choix responsables (par exemple, en soutenant les marchés publics ou en soutenant les projets qui raccourcissent les chaînes de distribution alimentaire comme l’Agriculture soutenue par la communauté). Cette approche est plus volontariste.  Des mesures de type «incitatif» présentent les limites de la capacité financière des États à favoriser certaines formules dans un marché compétitif et ouvert, et celles des citoyens à pratiquer la consommation responsable.  Enfin, l’«État régulateur» est celui qui table le moins sur la liberté de consommer ou celle d’entreprendre, ou qui l’encadre davantage. L’État régulateur intervient dans le marché par voie réglementaire parce qu’il juge que les forces du marché sont telles que les seuls choix individuels ne produisent pas suffisamment d’effets et qu’ils répondent mal au principe de l’universalité.

Quand on sait à quel point la saine alimentation n’est maintenant plus accessible économiquement à tous (conclusion répétée des études annuelles du «Dispensaire diététique de Montréal») et qu’elle détermine profondément la santé publique, les interventions réglementaires sont et seront requises de plus en plus.  Dans cette catégorie d’actions, nous pourrions sans doute classer la gestion de l’offre, mais aussi d’éventuelles mesures revendiquées déjà par plusieurs ONG, comme la réglementation des prix au détail pour les aliments d’un panier nutritif de base ou l’approvisionnement obligatoire et ambitieux des établissements publics en aliments locaux, régionaux ou nationaux, et bio si disponibles, l’établissement d’un seuil d’approvisionnement minimal en aliments du Québec dans les supermarchés, l’étiquetage obligatoire de la provenance des aliments, etc.

L’enjeu environnemental

Trois questions environnementales en lien entre la souveraineté alimentaire. Pour les deux premiers enjeux (transport et énergie), il semble y avoir un certain consensus parmi les groupes défendant la notion de souveraineté alimentaire. Pour le troisième enjeu, qui concerne les OGM, on peut identifier, selon lui, deux types de position.

Lorsque l’on parle de système alimentaire et d’environnement, on parle de la question du transport et de celle de l’énergie entre autres.  Une politique de souveraineté alimentaire en vertu de laquelle les États pourraient valoriser (États «complices»), voire garantir (États «régulateurs») un niveau d’autosuffisance accru et ambitieux impliquerait un rôle actif de l’État sur ces questions. Sur la question de la biodiversité, rappelons que, selon la FAO, 75% des espèces végétales et animales nourricières de la planète sont disparues depuis 100 ans, en faveur de celles qui présentent les meilleurs rendements sur le plan économique. Puisque, par définition, la souveraineté alimentaire propose de subordonner ce droit individuel au commerce par celui à un approvisionnement domestique ambitieux et à une production agricole locale, saine et écologique réalisée dans des conditions de travail décentes pour tous les travailleurs, cela implique par définition que l’État soit capable de protéger et mettre en valeur les choix qu’il pourrait faire en ce sens, dont celui de faire reconnaître par des prix administrés le patrimoine génétique national.

Si l’on part du postulat que la souveraineté alimentaire est principalement un espace politique pour faire des choix collectifs, alors chaque nation, une fois qu’elle aura récupéré ce pouvoir décisionnel, aura à faire ses propres choix en matière de politiques agricoles et alimentaires. Dans cette optique, les OGM ne sont pas d’emblée exclus de l’équation de la souveraineté alimentaire, mais leur rôle devra être débattu et convenu en tant que choix collectif.

L’acquisition de l’espace politique permettant de faire des choix collectifs en termes d’agriculture est une démarche ambitieuse, car elle pose la question de la liberté et du droit au commerce, et interpelle le rôle de l’OMC au premier rang. Rappelons que 35% du PIB canadien provient de la production et de la vente de biens et de services exportés. C’est dire à quel point cette bataille pour un traitement commercial d’exception pour les aliments et l’agriculture n’est pas gagnée, d’abord chez nous, puis à l’échelle internationale. Elle est incontournable toutefois, car notre contexte interne d’incapacité ou de grande difficulté à contraindre ou à organiser les marchés en découle directement. Et les pratiques agricoles que nous pourrions qualifier d’intensives (OGM, engrais, pesticides, antibiotiques) s’inscrivent également dans la même dynamique de compétition planétaire entre agriculteurs et entre agricultures, un principe défendu et promu par l’OMC, mais aussi chez nous. Ces pratiques découlent du traitement «marchand» des biens agricoles. Tant que les États ne pourront faire reconnaître les différences agronomiques, climatiques, pédologiques, sociales et culturelles dans lesquelles sont insérés leurs systèmes alimentaires respectifs, il sera difficile, voire impossible d’aller très loin dans la poursuite d’objectifs d’universalité, d’écologie et de solidarité.

Le rôle de la coalition

Dans ce contexte, la Coalition pour la souveraineté alimentaire propose d’unir les forces de différents regroupements Coalition-quebecde la société civile pour défendre une souveraineté alimentaire principalement vue comme un espace politique pour faire des choix collectifs dans les domaines de l’alimentation et de l’agriculture, dont celui de la capacité à définir notre degré d’autonomie alimentaire, à réguler et organiser les marchés, à rémunérer de façon décente tous les travailleurs du système alimentaire, dont les agriculteurs, et à aller de l’avant avec des pratiques agricoles plus écologiques. La réalisation de cette mission se fait par des activités de représentation, de relation médiatique, de recherche et de diffusion d’information.

Frédéric Paré, est agronome de formation et Coordonnateur de la Coalition pour la souveraineté alimentaire. Il s’agit d’un jeune regroupement de 80 organisations de la société civile dont l’objectif premier est de promouvoir des mesures publiques (nationales et internationales) visant le droit de tous les pays à établir leurs politiques agricoles et alimentaires dans l’optique de la réalisation des droits humains fondamentaux reliés à l’alimentation (droits à l’alimentation, droit à la santé, droit au développement, droit à un travail décent, droit à un environnement sain) et du droit des pays à fonder leur sécurité alimentaire sur leur propre territoire et ressources.

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