L’UPAM : une invitation à l’action et à la réflexion – Par Marianne Di Croce

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En novembre 2007, je participais à la création de l’Université Populaire à Montréal (UPAM), une initiative d’étudiants et d’étudiantes de l’UQÀM qui ont traduit dans une action concrète leur vision de l’éducation, de telle sorte qu’il soit possible d’en faire l’expérience. Si l’UPAM est née dans un contexte particulier – celui de la grève étudiante de novembre 2007 à l’UQÀM [1] – elle m’apparaît nous inviter, tant par les activités qu’elle propose que par les principes qui l’animent, à une réflexion beaucoup plus large sur l’éducation et sur le monde dans lequel nous vivons.

Un an plus tard, il me semble tout indiqué de prendre ici le temps de porter un regard sur cette expérience aux multiples facettes. Car l’UPAM est tout à la fois un événement d’éducation populaire, une action politique, une organisation ayant sa structure et son fonctionnement propres,  mais surtout le fruit du travail et de la participation de plusieurs personnes exceptionnelles et engagées [2].

Dans ce texte, je donnerai un aperçu de ce qu’est l’UPAM en mettant en lumière certains de ses aspects. J’aimerais par là lancer une réflexion à partir de cette expérience. Ceci dit, je tiens à spécifier que la réflexion que je souhaite amorcer ici est le fruit de mon expérience personnelle de l’UPAM – comme co-organisatrice et comme conférencière – et des riches discussions que j’ai eu la chance d’y avoir. En ce sens, mes propos n’engagent aucunement l’organisation elle-même ou les personnes qui en font partie. Par le biais de ce texte, j’espère ouvrir la voie à une réflexion collective sur le sens de cette expérience qu’est l’UPAM et sur le potentiel d’action et de transformation qu’elle porte.

De l’action à la réflexion: ou comment est née l’UPAM

Dans les faits, la première édition de l’UPAM c’est 68 activités (conférences, ateliers, tables-rondes, etc.) qui ont été présentées par une cinquantaine de personnes dans la semaine du 12 au 16 novembre 2007 à l’UQÀM. Un forum ouvert s’est aussi tenu dans des cafés autour de l’université. Environ 2500 personnes sont venues assister à ces activités d’horizons divers : philosophie, politique, études féministes, art, informatique ou économie, pour ne nommer que ces disciplines. À titre d’exemple, on peut notamment penser à la projection du film La république des Beaux-Arts en présence de son réalisateur Claude Laflamme, à la conférence d’Amir Khadir intitulée « La santé de ma grand-mère n’est pas une occasion d’affaire », à la conférence « Naufrage des universités » d’Éric Martin ou encore à celle de Louise-Caroline Bergeron « Femme avec un grand F » [3].

Ce qu’il faut savoir, c’est que cet événement a été organisé environ en trois semaines par une équipe d’une quinzaine de personnes et avec l’appui des associations étudiantes facultaires. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’un travail immense a été accompli pour mettre en œuvre cette université populaire, mais surtout que celle-ci découle d’une forte volonté d’action commune :

« Animés d’un sentiment d’urgence et d’un besoin de s’organiser, des militants et militantes ont mis sur pied l’Université Populaire à Montréal afin de défendre une vision de l’éducation centrée sur la transmission et la production du savoir plutôt que sur la formation d’éléments économiquement productifs arrimés au marché du travail [4].»

C’est donc en réaction à la situation particulière de l’UQÀM, mais également en réaction à la tendance globale de marchandisation de l’éducation que le besoin criant d’agir s’est manifesté. C’est de cette  action, presque spontanée, qu’est née l’UPAM qui, au départ, n’était pas pensée dans la durée. C’est suite au succès de cette expérience qu’une réflexion visant à établir la structure actuelle de l’UPAM a été entamée. C’est l’action concrète qui a fait naître l’envie de poursuivre la réflexion et le travail qui avaient été faits : «L’expérience fut un franc succès et ils et elles [des participant-e-s] ont décidé de former un comité permanent dans le but de poursuivre cette démarche et d’explorer les possibles d’une université populaire ici et maintenant [5].» C’est ainsi que d’autres éditions de l’UPAM ont eu lieu, entre autres lors d’une deuxième grève étudiante en février 2008 à l’UQAM, de même que sous la forme de quelques activités dans le cadre du lancement du centre social autogéré de Pointe Saint-Charles en juin dernier.

L’une des choses intéressantes qui me semble ressortir de cette expérience qu’est l’UPAM, c’est un lien étroit entre la pensée et l’action. Comme on l’a vu, le processus même de « fondation » de l’UPAM témoigne d’une démarche réflexive basée sur la pratique. Dans son esprit même, l’UPAM se veut un lieu privilégié pour le développement de la pensée critique par la participation active à des échanges et débats collectifs. Ceci dit, l’éducation est sans doute l’objet sur lequel l’UPAM nous invite à réfléchir tout particulièrement et cette réflexion passe par l’expérience directe d’une forme d’éducation différente de celle qu’on connaît généralement.

Une vision de l’éducation

Ce que l’UPAM veut promouvoir, c’est une vision « ouverte, gratuite, diversifiée, transdisciplinaire, anti-autoritaire6 » de l’éducation. Tout d’abord, on retiendra que l’accessibilité à l’éducation est une valeur prédominante : tous et toutes devraient avoir accès à une éducation de qualité, et ce, indépendamment de leur condition socio-économique. Le choix d’un programme d’étude devrait d’abord se faire en fonction de l’intérêt pour le domaine d’étude et non pas sur la base de critères matériels. L’idée selon laquelle l’éducation, c’est-à-dire l’acquisition et la production de savoir, quel qu’il soit, a une valeur en soi est également au cœur de cette vision de l’éducation. Cela implique que l’éducation a une valeur qui lui est propre et qu’elle ne devrait pas être soumise aux critères et aux règles du marché. Le financement des programmes d’études, l’attribution de bourses ou de subventions de recherches ne devraient pas être établis en fonction de leur utilité immédiate pour le marché du travail. L’éducation ne doit pas être réduite à la formation de travailleurs et de travailleuses, elle doit aussi et surtout nous former en tant qu’être humain prenant part à un monde qui nous est commun. En ce sens, l’UPAM mise sur le partage et la transmission du savoir dans un cadre libre et participatif, c’est-à-dire en favorisant les échanges et les discussions entre les participant-e-s.

À ce propos, l’une des choses qui a spécialement retenu mon attention à l’UPAM – que ce soit dans les deux conférences que j’ai présentées ou celles auxquelles j’ai assistées – c’est le dynamisme et la richesse des débats et des discussions. Je dirais que les échanges étaient plus animés et, à certains égards, plus féconds que dans plusieurs cours ou séminaires que j’ai suivi tout long de mon parcours académique. Si cela peut paraître étrange, je crois que cela peut s’expliquer par le fait que ce qui réunissait les personnes présentes, c’est leur intérêt pour le sujet abordé et leur désir d’approfondir leur connaissance. La recherche d’une bonne note ou le besoin de performer pour obtenir un contrat de recherche ou une bourse n’étant pas de la partie, nous étions plongés dans une atmosphère conviviale qui instaurait la coopération plutôt que la compétition. Les activités de l’UPAM ont donné lieu à une réelle réflexion collective.

Une structure et un fonctionnement émergeant de la pratique

Dans la mesure où l’UPAM, en tant qu’organisation, existe surtout dans l’action, on ne s’étonnera pas de savoir que son fonctionnement et sa structure actuels sont le fruit de la pratique. En effet, l’équipe de l’UPAM ne se réunit pas sur une base régulière, mais plutôt chaque fois qu’il y a un besoin d’agir ou une occasion pertinente de mettre sur pied des activités. En ce sens, la pérennité de l’UPAM est à l’image de sa création, c’est-à-dire qu’elle résulte surtout de la réunion quasi spontanée d’individus en vue d’une action commune. Le fonctionnement de l’UPAM n’a donc « jamais été réfléchi comme tel. Il est le résultat de la pratique et d’un fort sentiment antihiérarchique [7] ». La structure de l’organisation, qui comprend un comité permanent, des comités ponctuels et une rencontre entre sympathisant-e-s, n’est que la transposition de ce qui a été fait concrètement et elle reste ouverte au changement.

L’ouverture et la coopération sont au cœur de la structure et du fonctionnement de l’UPAM. Les différentes « instances » sont accessibles à toute personne qui souhaite s’y impliquer, car ce qui réunit les « membres » de l’UPAM, c’est avant tout une vision commune de ce qu’est l’éducation et la volonté d’agir pour la promouvoir. Le pouvoir décisionnel est collectif et chacun peut y prendre part en fonction de son degré d’implication dans l’organisation. L’UPAM est d’ailleurs l’un des rares endroits où j’ai pu faire l’expérience d’un travail collectif d’organisation fonctionnant presque toujours par consensus et où toute dynamique de pouvoir était absente. Comment expliquer cela? Je ne sais pas trop. Sans doute les personnes impliquées y sont-elles pour beaucoup. Mais au-delà de ça, je crois qu’il est permis de penser que les principes et les valeurs qui animent l’UPAM ont sus être mis en pratique jusque dans son fonctionnement interne. En ce sens, l’UPAM m’apparaît comme un exemple singulier de mise en œuvre d’un réel pouvoir collectif, ce qui constitue un point de départ intéressant pour repenser le fonctionnement des institutions en général sous un mode de participation directe.

Quel avenir pour l’UPAM?

Je ne sais pas quel sera le futur de l’UPAM ou quand elle se manifestera de nouveau. Néanmoins, cette expérience a suscité un vif intérêt auprès de ceux et celles qui y ont participé, mais aussi auprès de plusieurs personnes qui nous ont contacté pour en savoir davantage. Cela me permet d’espérer que la réflexion va se poursuivre, que ce soit à travers l’UPAM ou à travers d’autres initiatives de ce genre. Car il me semble que l’UPAM est une expérience positive qui nous invite à agir pour repenser et transformer notre société, ses institutions et particulièrement son système d’éducation.

Les signes d’une crise de l’éducation m’apparaissent être nombreux et évidents, du primaire à l’université. Il suffit d’un détour par l’actualité, ne serait-ce que dans la dernière année, pour en trouver des exemples patents : qu’on pense ici à l’application de la réforme au primaire et au secondaire, au sous-financement des universités ou à la récente modification des règles d’admission au cégep effectuée pour répondre à la demande de main-d’œuvre. Une véritable réflexion sur le sens de l’éducation, sur son rôle et sur sa pratique sont plus que jamais nécessaires. Parce que, comme nous le dit si  bien Hannah Arendt :

« L’éducation est le point où se décide si nous aimons assez le monde pour en assumer la responsabilité et, de plus, le sauver de cette ruine qui serait inévitable sans ce renouvellement et sans cette arrivée de jeunes et de nouveaux venus. C’est également avec l’éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n’avions pas prévu, mais les préparer d’avance à la tâche de renouveler un monde commun [8]. »

Et il me semble que c’est au moyen d’initiatives où la réflexion et l’action collectives sont possibles que l’on peut espérer que cette « tâche de renouveler le monde en commun » soit réalisée de la meilleure façon qui soit.

Marianne Di Croce est professeur de philosophie au Cégep de St-Jérôme. Elle a participé à l’organisation de la première Université populaire à Montréal (UPAM).

[1] Nous n’élaborerons pas sur ce contexte particulier de la grève étudiante uqamienne de novembre 2007. Nous rappellerons seulement qu’à l’automne 2007 s’amorçait le dégel des frais de scolarité enclenché par le gouvernement libéral de Jean Charest et que les étudiant-e-s de l’UQÀM subissaient aussi les premières conséquences (entre autres une hausse des frais afférents) de la crise financière qui affectait leur université et qui l’affecte toujours actuellement.

[2] Je dédie d’ailleurs ce texte à toutes les personnes qui ont œuvré à l’organisation et à la tenue des différents événements de l’UPAM; particulièrement aux personnes extraordinaires que j’y ai rencontré et avec qui j’ai eu la chance de travailler souvent dans la dernière année : Emmanuelle, Anne, François, Marlène, Eve-Lyne et ceux et celles que j’oublierais ici.

[3] Pour plus de détails sur la programmation, consultez la section « agenda » du wiki de l’UPAM : www.upam.info.

[4] Extrait d’un tract de l’UPAM réalisé en juin 2008.

[5] Voir la section « Présentation et Mission du wiki de l’UPAM : http://www.upam.info/Pr%C3%A9sentationEtMission

[6] Ibidem

[7] Voir la section « structure et fonctionnement » du wiki de l’UPAM : http://www.upam.info/StructureEtFonctionnement

[8] Hannah Arendt, « La crise de l’éducation » dans La crise de la culture, Paris, Gallimard, collection «Folio essais», 1972, p.251-252.

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