Palme d’or pour l’Indonésie

Par Jody Kimberley Grollier

L’Indonésie est le premier producteur et exportateur mondial d’huile de palme. Les propriétés du fruit de palmier en font une richesse pour l’agriculture indonésienne, source importante de croissance économique et de développement. Toutefois, la production d’huile de palme brute demeure socialement inéquitable et destructrice pour l’environnement. L’utilisation irrationnelle et excessive de l’huile végétale pour l’alimentation, les cosmétiques et les agrocarburants est le principal problème à l’origine de l’expansion des plantations et de la déforestation à son niveau élevé actuel (Pichler 2011, 71). Dans les prochains paragraphes, nous tenterons de comprendre pourquoi les activités de l’industrie de l’huile de palme en Indonésie se font au détriment des populations locales.

Tout d’abord, le gouvernement, l’armée indonésienne et les investisseurs encadrent l’industrie de l’huile de palme. Le modèle agricole alors tourné vers l’exportation remet en cause la sécurité alimentaire des indonésiens. De plus, le palmier à huile est cultivé au coût de la déforestation croissante du territoire. Enfin, la législation actuelle en termes de plantation durable souffre d’entorse dans son application.

Une industrie aux mains du gouvernement, de l’armée indonésienne et des investisseurs

Introduites par les colons néerlandais, les plantations commerciales de palmiers à huile de Jakarta se multiplient depuis la fin des années 1960. L’État indonésien soutient activement cette production, convaincu de promouvoir le développement socio-économique des zones rurales en augmentant les revenus, créant des emplois et finançant des infrastructures (Barthwal-Datta 2014, 156). Suharto met en place dans les années 1980 un programme de transmigration [transmigrasi], financé par la Banque Mondiale.  Les familles des campagnes surpeuplées des îles centrales de Java, Bali et Madura sont relocalisées vers les fronts de colonisation agricole dans les îles extérieures (Bernard et Bissonnette 2014, 12). Actuellement, les plus grandes plantations se situent dans les îles de Sumatra et de Kalimantan, à la frontière de la Malaisie.

[A] Mouvements de transmigration de 1951 à 1993.

Toutefois, les retombées de la production d’huile de palme bénéficient principalement aux nouveaux arrivants, nationaux ou étrangers, et non aux communautés indigènes locales (Barthwal-Datta 2014, 158). Dans la continuité de l’ordre colonial, les terres sont de facto la propriété de l’État indonésien, niant les droits des peuples indigènes sur leurs territoires ancestraux. L’appropriation des terres et des ressources est systématisée par l’adoption des lois sur la foresterie en 1997 et sur les plantations en 2004. L’État indonésien concède ainsi des permis allant jusqu’à 100 000 hectares à des compagnies sans exiger d’études d’impacts au préalable (Jiwan 2013, 52). De plus, l’information transmise aux communautés est inexacte sur les conséquences réelles des accords passés avec les entreprises (Pichler 2011, 71 ; De Koninck 2003, 304). Les résistances sont réprimées par les forces de sécurité privées, la police et l’armée, qui sont directement impliquées ou se positionnent en faveur des activités des compagnies (Barthwal-Datta 2014, 160). Un grand nombre de communautés sont ainsi criminalisées et accusées d’être « anti-développement » par le gouvernement (Pichler 2011, 62).

Par ailleurs, le développement de cette agro-industrie nécessite des investissements importants. Ils proviennent en majorité des grandes entreprises et, pour 40% des terres consacrées à la culture du palmier à huile, des petits producteurs (Bernard et Bissonnette 2014, 12). Suite à la crise financière asiatique, le président Habibie, sous les recommandations du Fond Monétaire International, ouvre massivement le marché de l’huile de palme aux investissements étrangers. Les compagnies de palmier à huile malaisiennes, singapouriennes et chinoises comptent maintenant parmi les plus gros investisseurs en Indonésie (Pichler 2011, 63). Les petits producteurs ne possèdent généralement pas les ressources économiques nécessaires pour démarrer une plantation de palmier à huile, coûteuse en intrants chimiques, ni des connaissances techniques adéquates pour entrer sur le marché. Ils se retrouvent liées par contrats aux compagnies, qui leur confient des parcelles en périphéries de leur plantation (Jiwan 2013, 65 ; Bernard et Bissonnette 2014, 22).

Un modèle agricole tourné vers l’exportation

L’industrie indonésienne est orientée vers la production de matières premières et non la transformation industrielle, ce qui la rend dépendante des marchés internationaux (Pichler 2011, 72). Seulement ¼ de la production totale d’huile de palme brute est destinée aux indonésiens, principalement à des fins alimentaires, tandis que la majorité est exportée à des fins commerciales (Pichler 2011, 61 ; Barthwal-Datta 2014, 156). De plus, la volatilité des prix affecte les revenus des travailleurs dans les plantations, souvent laissées sans filet de sécurité sociale (Bernard et Bissonnette 2014, 32).

Le boom des agrocarburants sur le marché mondial, soutenu par la demande européenne, relance les plans d’expansion des plantations au détriment de l’agriculture vivrière. Le gouvernement indonésien voit en ce nouveau débouché une source d’activités économiques durables ainsi qu’un moyen de diminuer la consommation domestique de carburants d’origine fossile et les émissions de dioxyde de carbone (Pichler 2011, 62). En 2006, une politique nationale exige qu’au moins 5% du mix énergétique provienne des agrocarburants d’ici 2025 (Pichler 2011, 59 ; Chiavari 2013, 199).

[B] Production et exportation d’huile de palme brute (en millions de tonnes) en Indonésie de 1990 à 2010.

Les palmiers à huile remplacent le couvert forestier

Afin de répondre à une demande croissante en huile de palme, l’Indonésie a besoin de plus en plus de superficie pour intensifier sa production. Doté du plus vaste territoire d’Asie du Sud Est, le pays a le plus haut taux de déforestation annuel au monde. Des pans gigantesques de forêt tropicale sont déboisés ou brûlés et leurs populations forcées de se déplacer. Ce phénomène s’accompagne de dégâts environnementaux importants : perte de la biodiversité, érosion des sols, pollution des sources d’eau ou encore diminution des puits de carbone naturels (De Koninck 2003, 308 ; Jiwan 2013, 59-60).

En multipliant à la place les monocultures de palmiers à huile, le gouvernement néglige les formes traditionnelles de culture, soit l’agriculture de subsistance ou les petites structures agricoles indépendantes (Pichler 2011, 72). Ce changement d’affectation des sols contribue à l’insécurité alimentaire des populations locales qui dépendent des produits de la forêt pour se nourrir. Par conséquent, les régions dominées par la production d’huile de palme sont déficitaires en denrées alimentaires de base tel que le riz et donc dépendantes des importations.

[C] Grappes qui seront transformées en huile de palme dans une usine de Kalimantan. Les monocultures entourent le site de production.1

Une législation encore ineffective

            Ces dernières années, nous percevons une volonté du gouvernement indonésien de mettre en place une politique de plantation durable. Face à la pression internationale autours des enjeux environnementaux et des droits humains, la Table ronde pour une huile de palme durable (RSPO) formule des principes et critères pour une production « responsable » d’huile de palme (Bhagwat et Willis 2008, 1369). Cependant, il ne s’agit que de lignes directrices pour les compagnies. Les mécanismes volontaires, sans suivi permanent et sanctions contre les violations des principes et critères, ne remplaceront jamais une législation stricte et une volonté politique en faveur d’un nouveau système de production basée sur la demande et les besoins vitaux (Pichler 2011, 71).

En outre, la déforestation est souvent le fruit d’actes illégaux. Les pratiques de déboisement et de brulis exercées par les compagnies pour établir leur plantation vont à l’encontre de la législation récemment passée pour la protection de la forêt. Les feux de Sumatra et Kalimantan en 1997 restent une véritable catastrophe environnementale qui a touché de nombreuses communautés, au-delà des frontières indonésiennes, en générant d’immenses nuages de fumée. Les forêts continuent de brûler par manque de moyens pour les surveiller et de mise en œuvre des réglementations au niveau des districts. Entre autres, le moratoire sur les permis de déforestation n’implique pas de révoquer les concessions en cours (Barthwal-Datta 2014, 158).

Afin d’assurer une véritable stratégie de développement durable l’État indonésien doit considérer les impacts des plantations industrielles de palmiers à huile sur sa population. De nouveaux modèles se développent, tel que l’agroforesterie, et apparaissent comme une solution pour préserver les pratiques locales (Bhagwat et Willis 2008, 1368).

Bibliographie

Barthwal-Datta, Monika. 2014. « China and Indonesia : biofuels and foreign investments ». Dans Barthwal-Datta, Monika. Food Security in Asia : Challenges, Policies and Implications. Londres : The International Institute for Strategic Studies, 154-161.

Bernand, Stéphane et Jean-François Bissonnette. 2014. « Les politiques agricoles de l’Indonésie de la Malaisie face aux impératifs de la sécurité alimentaire ». VertigO 14 (no 1) : 2-22.

Bhagwat, Shonil A. et Katherine J. Willis. 2008. « Agroforestry as a Solution to the Oil-Palm Debat ». Conservation Biology 22 (6) : 1368-1369.

Chiavari, Joana. 2013. « EU Biofuel Policies and their Implications for Southeast Asia ». Dans Pye, Olivier et Jayati Bhattacharya. The Palm Oil Controversy in Southeast Asia : A Transnational Perspective. Singapour : Institute of Southeast Asian Studies, 199-219.

De Koninck, Rodolphe. 2003. « Les agricultures du Sud-Est asiatique : interrogations sur l’avenir d’un nouveau modèle de développement ». L’Espace géographique 4 (32) : 301-310.

Jiwan, Norman. 2013. « The Political Ecology of the Indonesian Palm Oil Industry ». Dans Pye, Olivier et Jayati Bhattacharya. The Palm Oil Controversy in Southeast Asia : A Transnational Perspective. Singapour : Institute of Southeast Asian Studies, 48-76.

Pichler, Mélanie. 2011. « Agrocarburants en Indonésie : logiques, structures, conflits et conséquences ». Dans Alternatives Sud. Agrocarburants : impacts au Sud ? Points de vue du Sud. Paris : Syllepse, 57-75.

Iconographie

[A] « Food Security and Strategies to Alleviate Food Shortage ». The British Geographer. En ligne. http://thebritishgeographer.weebly.com/food-security-and-strategies-to-alleviate-food-shortage.html (page consultée le 18 juin 2017).

[B] Barthwal-Datta, Monika. 2014. « China and Indonesia : biofuels and foreign investments ». Dans Barthwal-Datta, Monika. Food Security in Asia : Challenges, Policies and Implications. Londres : The International Institute for Strategic Studies, 157.

[C] Parent, Marion. 2016. « Enquête sur la déforestation en Indonésie ». Géo (no 445). En ligne. http://photo.geo.fr/enquete-sur-la-deforestation-en-indonesie-14843 (page consultée le 18 juin 2017).

1 Photoreportage complet : http://photo.geo.fr/enquete-sur-la-deforestation-en-indonesie-14843

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