La violence anti-chinoise en Indonésie, une perspective socio-économique

Par Samantha Julien

L’Indonésie, pays de contrastes et de différences ; l’Indonésie, pays de cultures. C’est plus de 15 000 îles et plus de 200 langues regroupées sous la forme d’un État transcontinental. Un espace aussi vaste regroupe forcément plusieurs minorités ethniques. L’une d’elles, la diaspora chinoise, est également présente dans plusieurs autres pays d’Asie. Toutefois, dans le cas indonésien, la cohabitation entre les natifs et les Chinois ne se fait pas sans acte de discrimination et de violence. Comment  peut-on expliquer les conflits entre natifs et Chinois en Indonésie ?  Tout d’abord, il est possible de voir que ces tensions remontent  à plusieurs centaines d’années et qu’elles résultent de l’espace occupé par les Chinois dans l’économie. Aussi, le sentiment qu’ont les Indonésiens de mériter mieux vient jouer dans le mécontentement qu’ils éprouvent.

 

1. Représentation de l’arrivée de bateaux néerlandais, alors la puissance coloniale présente en Indonésie.

 

Évolution d’une immigration

Tout d’abord, les Chinois étaient présents en Indonésie des siècles avant même l’arrivée des Néerlandais. En effet, la région asiatique comme elle est connue de nos jours, était déjà utilisée comme carrefour d’échange. Une fois les Pays-Bas installés, leur relation avec les commerçants présents se fit cordiale : leur connaissance du pays et l’esprit de travail des Chinois font d’eux de précieux alliés. À ce sujet, le premier gouverneur de la Compagnie des Indes orientales déclare « [qu’il] n’y a personne qui nous serve mieux que les Chinois ; on ne saurait en amener trop à Batavia » (Cayrac 1967, 739). Les Chinois, qui jouaient déjà un rôle économique au pays depuis des siècles, ont vu ce rôle grandir. Alors qu’entre 1860 et 1930 ils étaient plutôt ouvriers dans diverses plantations ainsi que dans des mines, au moment du départ des Pays-Bas, ils occupent des postes plus importants (Cayrac 1967, 739). De fait, avec l’arrivée de plusieurs personnes venant de l’Empire du Milieu, un mouvement panchinois s’est éventuellement créé.  Toutefois, au même moment se créait un mouvement nationaliste indonésien dont les idées allaient à l’encontre de la présence chinoise. Le mouvement Serakat Islam, par exemple, s’est mis sur pied dans le but de combattre la domination des Chinois en Indonésie dans plusieurs secteurs, entre autres économiques.

 

Explication d’un mouvement anti-chinois 

La population chinoise faisait face à plusieurs critiques de la part des Indonésiens. Essentiellement, on leur reprochait ce qu’ils avaient de différent, allant de leur nom, à leur langue, en passant par leurs biens matériels (Cayrac 1967, 741). C’est toutefois l’aspect économique qui occupait le plus large des critiques. Le pays étant

2. Logo du mouvement Serakat Islam

dans une période de développement, les natifs n’appréciaient guère que des étrangers aient plus de privilèges et de moyens qu’eux. L’une des théories économiques connues afin d’expliquer la violence ethnique est celle de la privation relative (relative deprivation). Celle-ci s’applique assez bien au cas  indonésien, puisqu’elle correspond à la perception de ce qu’une personne devrait avoir versus ce qu’elle croit qu’elle aura (Chandra 2001, 89). Ainsi, plus l’écart entre les deux est grand, plus le mécontentement augmente. En Indonésie, les Chinois étaient perçus comme ayant plus que ce qu’ils méritent et les Indonésiens croyaient mériter plus, mais avoir moins. C’est ce type de contexte qui explique la violence ethnique. L’administration coloniale dans leur relation avec les marchands de Chine créa un clivage économique, mais aussi politique dans la société indonésienne. Pour les pribumis, c’est-à-dire les natifs indonésiens, le favoritisme économique était évident (Rizàl Panggabean et Smith 2011, 240). C’est donc la perception inégalitaire entre les deux qui permet d’expliquer le ressentiment indonésien.

De fait, il a y a deux principaux facteurs économiques qui expliquent la hausse du mécontentement. Dans un premier temps, il y a le contrôle qu’exerçaient les Chinois dans certaines sphères. C’est notamment à cause de cela que le mouvement Serakat Islam s’est créé, car la population native se sentait menacée. Il fut mis en place à la fin de 1911 dans le but de modifier la société dans laquelle les Chinois avaient une position supérieure. Le dirigeant du mouvement déclara que «la vie des natifs se désagrège : ils sont de plus en plus pauvres […] mais les Chinois, eux, deviennent plus riches (Chandra 2001, 92). Le sentiment de frustration étant partagé par plusieurs, il devint le premier mouvement politique de masse d’Indonésie. Ensuite, le second facteur repose sur l’écart important entre les salaires. En effet, des analyses révèlent qu’entre 1910 et 1916, les inégalités salariales entre les pribumis et les Chinois étaient plus grandes. Les Indonésiens croyaient donc que les Chinois profitaient de façon démesurée et injuste de la croissance (Chandra 2001, 90). Cette frustration a perduré dans le temps. En 1956, un homme d’affaires, Assaat, lance un mouvement antichinois en les accusant d’être responsables des problèmes du pays  (Cayrac 1967, 743).

3. Représentation graphique de l’importante chute de la devise indonésienne lors de la crise économique de 1997.

Assaat réclama une politique raciale économique stricte en faveur des Indonésiens. Les Chinois deviennent alors des boucs émissaires pour les soucis de l’Indonésie. Puis, en 1965, le régime de Suharto se montra également dur envers les Chinois, qui représentaient alors 3% de la population totale (Cayrac 1967, 738). Enfin, la crise économique asiatique de 1997, ayant fortement touché l’Indonésie, provoqua de nouvelles émeutes ethniques à l’égard des Chinois. Le régime de Suharto organisa des émeutes notamment à Jakarta, Medan et Solo (Rizàl Panggabean et Smith 2011, 240). Tous ces exemples illustrent bien le poids que peut jouer l’économie dans la vie des gens, allant jusqu’à les pousser à exclure un pan de la population.

 

Bibliographie

Cayrac, Françoise. 1967. « Les Chinois en Indonésie ». Revue française de science politique 17e  année (no4) : 738-749.

Chandra, Siddharth. 2001. « Race, Inequality, and Anti-Chinese Violence in the Netherlands Indies ». Explorations in Economic History 39 : 88-112.

Rizàl Pangabean, Samsu et Benjamin Smith. 2011. « Explaining Anti-Chinese Riots in Late 20th Century Indonesia ». World Development 39 (no2) : 231-242.

 

Iconographie

  1. https://www.indonesia-investments.com/culture/politics/colonial-history/item178?
  2. http://crisissome.blogspot.ca/2015/09/sarekat-islam.html
  3. http://www.rba.gov.au/speeches/2007/sp-gov-180707.html

 

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