Thaïlande: Gay Paradise ?

Par Rose Clermont-Petit

On peut lire un peu partout dans les médias internationaux que la Thaïlande est un pays où il fait bon être gay (Vanesse 2015). En effet, selon l’étude Gay Happiness Index, la Thaïlande serait le premier pays en Asie du Sud-Est où il fait bon être homosexuel et se trouverait au 16ème rang mondial (Vanesse 2015). Le guide de voyage Gay Voyageur affirme que la Thaïlande est la « destination gay friendly incontournable d’Asie » (Guide gay 2016). Pour les étrangers homosexuels, il semble que la Thaïlande soit une destination de rêve, un pays très ouvert aux différentes orientations sexuelles.

Or, quand on regarde vraiment dans la société thaïlandaise, on constate que ce n’est pas totalement le cas.  En effet, selon les données de 2015 de The Franklin & Marshall Global Barometer of Gay Rights rates, la Thaïlande serait un pays intolérant aux minorités sexuelles. Cette étude a été faite selon 29 facteurs (Dicklitch-Nelson, Yost et Thompson 2017).  

On peut donc douter de la réelle ouverture de la Thaïlande aux homosexuels. En décembre 1996, par exemple, Rajaphat, le plus grand collège dirigé par le gouvernement thaïlandais, a annoncé le bannissement de tous les « sexually deviant » et les étudiants homosexuels (Sinnott 2000, 429). Il s’agit d’un collège pour les futurs professeurs et la direction de l’école, ainsi que le Ministère de l’Éducation, considéraient que les homosexuels ne devaient pas devenirs professeurs, car ils n’étaient pas de bons modèles pour les élèves (Sinnott 2000, 430). Un grand mouvement d’opposition s’est levé suite à cette annonce. Cette opposition peut sembler être le signe d’une ouverture de la société. Or, elle ne fait que masquer la fermeture. En effet, le mouvement était un mouvement pro-démocratie qui dénonçait le caractère autoritaire de l’interdiction (Sinnott 2000, 432). Mais, en général, même les gens faisant partie de ce mouvement continuent de croire qu’être homosexuel/trans est un comportement déviant, un problème qui doit être réglé et qui ne fait pas partie de l’identité Thaïe (Sinnott 2000, 431).

Alors, est-ce que la Thaïlande est un pays vraiment ouvert aux LGBT ?[1] Il semble que non. En effet, même si la Constitution thaïlandaise regroupe plusieurs résolutions qui condamnent la discrimination, il n’y a aucune loi qui réfère directement à l’orientation et à l’identité sexuelle (UNDP- USAID 2014, 6). En 2007, on a tenté d’y remédier en proposant d’inclure les identités sexuelles dans la clause d’anti-discrimination de la Constitution, mais ce fût rejeté (UNDP- USAID 2014, 7). Un des avancements qui a été fait est que l’homosexualité n’est maintenant plus considérée comme une maladie mentale (UNDP- USAID 2014, 7).

La Thaïlande est ouverte envers les LGBT qu’en surface. Quand on regarde en profondeur, on réalise que ce n’est qu’une façade qui cache beaucoup de persécutions et de mauvaises perceptions envers les personnes ayant une différente orientation sexuelle que la « norme ». Pourquoi cette apparente ouverture ? Il semble qu’elle soit bonne pour le tourisme. En effet, la Thaïlande a décidé de relancer son économie, à la suite de la crise économique de 1997, en misant sur le tourisme. Or, la capitale gay de l’Asie (Mosbergen 2015) a tout fait pour promouvoir le tourisme rose et cette stratégie semble avoir fonctionné (Mosbergen 2015). En effet, la Thaïlande attire beaucoup de touristes gays chaque année.

Par contre, les nationaux qui ont une orientation ou une identité sexuelle différente sont bel et bien toujours victimes d’harcèlement, de persécutions, de rejet de leurs familles (Bangkok Post 2013). Une des raisons principales de ce rejet est le concept de « face » en Thaïlande. En effet, ce concept fait référence à l’acceptation sociale et à comment une personne est vue par les autres. Ainsi, « perdre la face » est une peur omniprésente pour beaucoup de Thaïlandais (Morris 1997, 650). En ce sens, on peut perdre la face quand des pratiques supposées être privées (comme le sexe) sont exposées au public (Morris 1997, 650). Pour un Thaïlandais, perdre la face c’est comme ne plus vivre selon les valeurs thaïes. Or, il est très important pour les Thaïlandais de vivre selon les valeurs de leur pays. Il semble que les LGBT, à cause des valeurs traditionnelles thaïlandaises véhiculées par le bouddhisme et autres institutions, ne seraient pas de vrais thaïlandais (Blandin 2011).  Par contre, ils peuvent être plus facilement acceptés s’ils ont des comportements de « bons thaïlandais » : s’ils sont des bons travailleurs, s’ils rencontrent les critères de beauté féminins ou masculins, s’ils performent bien sur la scène ou dans les arts, etc. (Matzner 2011).

Il est probablement vrai que la Thaïlande est un des pays d’Asie le plus ouvert aux différentes catégories sexuelles. Pour y être allée, il est vrai que quand on se promène à Bangkok, on peut voir des gens aux identités sexuelles différentes et multiples se promener ouvertement. Par contre, on ne connait pas leur vie personnelle.  Il se peut qu’ils aient été mis dehors de de leur maison, qu’ils aient été victimes de harcèlement à l’école, qu’ils aient vécus de la discrimination quand est venu le temps de trouver un travail, qu’ils aient été associés à la prostitution, etc. Il est important de faire la distinction entre une réelle ouverture et une ouverture de surface et ne pas s’asseoir sur le progrès qui a été fait. Il faut continuer à lutter pour l’égalité.

 

 

Bibliographie

Bangkok Post. 2013. « Chasing the pink dollar: Is Thailand really a tolerant country? » Dans The Phuket News. En ligne. http://www.thephuketnews.com/chasing-the-pink-dollar-is-thailand-really-a-tolerant-country-41994.php (page consultée le17 juin 2017)

Blandin, Nicolas. 2011. « La vie pas si rêvée des homosexuels thaïlandais ».  Dans Gavroche Thaïlande.  En ligne. http://www.gavroche-thailande.com/actualites/reportages/1590-la-vie-pas-si-revee-des-homosexuels-thailandais (page consultée le 17 juin 2017)

Guide Gay. 2016. « Thaïlande ».  Dans Gay Voyageur. En ligne. http://www.gayvoyageur.com/thailande/ (page consutlée le 17 juin 2017)

Dicklitch-Nelson, Susan, Berwood Yost et Scottie Thompson. 2017. « Most countries score an F on our LGBT human rights report card ». Dans SBS. En ligne.  http://www.sbs.com.au/topics/sexuality/agenda/article/2017/06/13/most-countries-score-f-our-lgbt-human-rights-report-card (page consultée le 17 juin 2017).

Matzner, Andrew. 2001. « The Complexities of Acceptance: Thai Student Attitudes towards Kathoey ». Crossroads: An Interdisciplinary Journal of Southeast Asian Studies 15 (no.2): 71-93.

Morris, Rosalind C. 1997. « Educating Desire: Thailand, Transnationalism, and Transgression ». Social text (no. 52/53): 53-79.

Mosbergen, Dominique. 2015. «Two-Faced Thailand: The Ugly Side Of ‘Asia’s Gay Capital’».  Dans The Huffington Post. En ligne. http://www.huffingtonpost.com/entry/lgbt-thailand_us_5616472ee4b0dbb8000d30a6 (page consultée le 17 juin 2017)

Sinnott, Megan. 2000. « The Semiotics of Transgendered Sexual Identity in the Thai Print Media : Imagery and Discourse of the Sexual Other ». Culture, Health & Sexuality 2 (no 4) : 425-440.

UNDP, USAID. 2014. «  Being LGBT in Asia: Thailand Country Report ». United Nations Development Programme, Bangkok

 

Iconographie

 

[1] Il est important de noter qu’en Thaïlande, les différentes catégories sexuelles ne sont pas les mêmes qu’en Occident (Matzner 2001, 74). Il serait intéressant d’étudier ces différentes catégories d’identification sexuelle et les réactions de la société envers elles dans un autre article.

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