Singapour : l’instrumentalisation des politiques environnementales

Lee Kuan Yew a incorporé la protection de l’environnement aux enjeux nationaux singapouriens dans les années 1960, décennie précoce dans le domaine de la gouvernance environnementale. En 1963, une campagne pour planter des arbres a été lancée et, en moins d’un an, le nombre d’arbres plantés a passé de 440 à 2668 (Han 2016). Depuis, la cité-État est reconnue sous le nom de «City in a Garden». En effet, on la considère comme pionnière en gouvernance environnementale (Velasco 2015, 130). Pourtant, les apparences sont parfois trompeuses : des raisons autres qu’une conscience environnementale aiguisée sont à considérer dans le cas singapourien. En ce sens, ce billet proposera une analyse des initiatives écologiques de la cité-État et exposera son objectif véritable; promouvoir le développement économique à travers l’instrumentalisation du projet «vert». Ce sera réalisé en trois axes : la gestion du smog, celle du transport collectif ainsi que l’absence d’une société civile autonome.

Les Singapouriens portent des masques pour se protéger de la pollution – BBC News

Initiative singapourienne sur la question du smog

La volonté politique mise de l’avant par les autorités singapouriennes est évidente dans le cadre de la gestion du brouillard, haze en anglais, un enjeu régional issu de la déforestation indonésienne par le feu (Mohan 2017, 1). 2015 est une année record, année durant laquelle la qualité de l’air a été considérée dangereuse pour la santé pendant près de deux mois (Mohan 2017, 1). Mohan (2017, 1) explique même que les émissions quotidiennes de gaz à effet de serre émises par l’Indonésie durant cette année-là étaient supérieures à celles de l’ensemble de l’Union européenne. Soulignons l’initiative sans précédent du gouvernement de la cité-État en réponse à cela: l’adoption de la Transboundary Haze Pollution Act, loi créée afin que ce soit les pollueurs qui paient pour les problèmes de santé causés par le brouillard, permettant au gouvernement singapourien de poursuivre des compagnies indonésiennes. Il s’agit d’une pression légale exercée sur le pays voisin afin que celui-ci diminue son activité forestière qui provoque bien entendu des tensions entre les deux pays (Mohan 2017, 1), puisque le message singapourien ne pourrait être plus clair. Restons toutefois critiques quant à ses intentions. Effectivement, Mohan (2017, 1) explique que les pertes économiques engendrées par le brouillard en 2015 étaient de 700 millions de dollars singapouriens en raison de la fermeture d’écoles, d’hôtels et d’attractions touristiques ainsi que de l’annulation d’événements sportifs et de vols. Il est donc possible d’avancer que ce sont des intérêts économiques qui ont poussé la cité-État à adopter des mesures aussi drastiques qui impliquent des amendes de 100 000$ singapouriens par jour de pollution (Mohan 2017, 7). Les revenus potentiels deviennent alors alléchants. Spécifions toutefois que c’est au nom de la santé des citoyens que la loi a été adoptée, faisant en sorte que Singapour apparaît comme un héros du développement durable avec cette innovation.

Le transport collectif au nom de l’environnement
ou du développement économique?

Poursuivons l’analyse des politiques environnementales singapouriennes avec le transport collectif. Entre plusieurs programmes écologiques ambitieux, les autorités cherchent à concrétiser l’objectif voulant que 70% des personnes se rendant au travail le matin le fassent en utilisant le transport public d’ici à l’an 2020 (Han 2016, 15). Cependant, il faut remettre les choses en perspective et remarquer que cette cible s’insère dans une logique de développement économique. Effectivement, afin de diminuer le nombre de voitures dans la ville, en 2013, le gouvernement a proposé un train sous-terrain qui traverserait le pays, le CIL. Han (2016, 15) démontre que les autorités choisissent un moyen conventionnel, le métro, et la promotion de cibles environnementales pour mener à bien un projet économique plus large, et ce, au détriment de la conservation de la nature, puisque cette ligne passerait sous la Central Catchment Nature Reserve, l’une des dernières zones naturelles singapouriennes (Han 2016, 15). Le parc serait donc affecté par le projet. Il faut donc admettre qu’il y a une instrumentalisation de la tendance green par le gouvernement à travers la promotion du transport collectif. Cela se voit d’autant plus à travers son surnom, la «ville dans un jardin», qui fait sa réputation, alors qu’il s’agit d’une construction humaine, les parcs et espaces verts étant des territoires modifiés par l’humain (Hans 2016, 18).

Une société civile muette

Ensuite, en raison du régime semi-autoritaire de Singapour, la gouvernance environnementale a toujours été réalisée selon une approche top-down (descendante) et non-participative, créant une classe technocrate à l’image de la gestion économique du pays prise en charge par une élite (Han 2016, 5). Il apparaît clair que le développement du pays passe avant les intérêts de la population. En effet, la société civile est tue; elle ne possède aucune voix sur l’arène politique. Les organisations non-gouvernementales agissent en complémentarité avec les initiatives gouvernementales plutôt qu’en opposition avec celles-ci. En ce sens, elles demeurent hautement marginales et peu efficaces dans la société (Han 2016, 14). Le gouvernement agit comme un berger face à ses moutons à travers des campagnes d’éducation, de prévention et de conscientisation que la société civile appuie (Han 2016, 14), puisqu’il choisit ses interventions en fonction de ses intérêts économiques. Par exemple, on observe de massifs investissements dans la création de parcs, mais très peu dans la conservation de la biodiversité (Hirsch 2016, 464), celle-ci ne favorisant pas la croissance économique, puisqu’aucun revenu n’en est retiré. En lien avec cette réalité, la société civile demeure peu active, puisqu’elle doit son existence au gouvernement. Singapour est donc peu démocratique de ce point de vue et poursuit son instrumentalisation de l’environnement.

En somme, Singapour, cette «ville dans un jardin», avec ses politiques et cibles ambitieuses, n’est que façade pour atteindre son objectif : attirer des investissements étrangers et poursuivre son développement économique (Hirsch 2016, 464). Il s’agit d’un modèle de gouvernance environnementale qui mérité d’être réévalué en raison de l’opportunisme en découlant. Pourtant, il peut être débattu que l’approche instrumentaliste de Singapour n’est pas nécessairement négative, puisque l’environnement demeure central. Le débat est lancé…

Voir la vidéo sur la Ville dans un jardin ici pour plus de détails.

________________________________________________________________________________

Bibliographie

Han, Heejin. 2016. «Singapore, a Garden City Authoritarian Environmentalism in a Developmental State». The Journal of Environment & Development.

Hirsch, Philip. 2016. Routledge Handbook of the Environment in Southeast Asia.

Mohan, Mahdev. 2017. «A Domestic Solution for Transboundary Harm: Singapore’s Haze Pollution Law. » Business and Human Rights Journal. 1-9.

Velasco, Erik et Soheil Rastan. 2015. «Air Quality in Singapore during the 2013 Smoke-Haze Episode Over the Strait of Malacca: Lessons Learned», Sustainable Cities and Society 17. 122-131.

 

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés