L’inefficacité d’une société civile pluraliste: le cas du secteur environnemental aux Philippines

«It is time for social justice» (Almendral 2017). C’est ce qu’a lancé Gina Lopez, secrétaire de l’Environnement aux Philippines, lorsqu’elle a annoncé la fermeture de 28 des 41 compagnies minières du pays, après plusieurs décennies d’exploitation. Visiblement, un virage environnemental a été réalisé. Explication? Il est vrai que, dans ce pays, la société civile est réputée pour être des plus actives. Malgré celle-ci, la lutte environnementale philippine ne semble pas porter fruit sur le terrain (Aceron 2016, 33): comment expliquer ce paradoxe?

Cette analyse sera réalisée en accord avec la Convention Aarhus qui établit des droits dont peuvent jouir des associations dans le cadre d’enjeux environnementaux, ceux-ci étant l’accès à l’information, la participation publique et la justice environnementale. Comme les Philippines sont le deuxième pays le plus à risque aux impacts des changements climatiques après Vanuatu selon Bouquet (2017, 781) et comme la question environnementale est globale, la convention reste pertinente bien qu’européenne.

Mines à Surigao del Norte en avril 2017 – The New York Times

L’accès à l’information: une illusion?

Le premier pilier de la Convention d’Aarhus est l’accès à l’information. Alors que la constitution philippine et les législations environnementales promeuvent ce droit, la lacune philippine réside dans le fait qu’il n’y a aucun mécanisme de diffusion de l’information mis sur pied (Gera 2017, 503). Soulignons qu’aucune sanction n’est imposée aux acteurs gouvernementaux ne se soumettant pas à la loi. Il est donc évident que cela n’encourage pas des pratiques démocratiques au sein de l’appareil étatique. Le non-respect de ce principe s’explique par une faible bureaucratie (Wurfel 2006, 7). Ensuite, Gera (2017, 506) présente le fait que seuls 12,7% des groupes se faisant refuser l’accès à un document déposent une poursuite. En ce sens, la société civile apparaît comme peu active, mais est-ce le cas? Cela semble s’expliquer par l’aspect informel de la politique philippine; en effet, les législations étant en place, il devrait y avoir plus d’animosité face à un tel rejet de démocratie. Plusieurs hypothèses sont possibles, notamment la crainte de représailles violentes d’un acteur étatique ou corporatif (Lorch 2017, 232) lors de la demande d’accès à l’information, ce qui ralentit nécessairement les avancées environnementales.

La participation publique… ou privée?

Par la suite, un autre pilier de la Convention d’Aarhus est la participation publique lors de la prise de décision, notamment à travers des audiences publiques. La Loi sur les mines philippines encourage d’ailleurs la présence d’ONG afin de jouer les arbitres face aux contracteurs (Gera 2017, 504). Toutefois, une grande faiblesse dans l’application de ce principe réside dans le fait qu’une partie de l’appareil étatique fonctionne de façon informelle, rendant soit les audiences publiques inutiles ou fonctionnant de manière biaisée selon les pots-de-vin distribués (Teehankee 2013, 4), en plus de laisser le gouvernement choisir avec qui il dialoguera en fonction de liens personnels. Car il s’agit d’une société où le patronage demeure profondément implanté, la confiance entre les acteurs demeure limitée (Lorch 2017, 164). Ensuite, en raison de la variété d’acteurs de la société civile philippine, des tensions persistent. Par exemple, il n’y a pas de consensus quant à savoir à quel groupe revient le droit d’assister aux audiences ou si les groupes représentent véritablement le point de vue de la société. Une autre source de désaccord est la capacité (scientifique) d’un groupe de s’opposer à des firmes multinationales ou au gouvernement (Gera 2017). Pour ces raisons, la multiplicité des acteurs représente un obstacle : elle a permis à de larges compagnies extractrices de s’implanter alors que l’opposition gérait ses divers conflits. En effet, ces questions litigieuses semblent diviser plutôt qu’unifier le mouvement environnemental philippin. Le pluralisme de la société civile représente ainsi une faiblesse.

L’accès à la justice environnementale : victoires et défaites

Finalement, le dernier pilier est l’accès à la justice environnementale. Notons le gain acquis récemment par les environnementalistes qui, selon les règles de procédure des cas environnementaux, protège d’emblée les ONG des SLAPP (poursuites-baillons en français) (Gera 2017, 508). Cependant, ces SLAPP restent présents aux Philippines depuis la Loi sur les mines philippines de 1995, qui appuyait les investissements étrangers dans le secteur environnemental. On observe les impacts négatifs qu’une poursuite-bâillon peut avoir : intimidation politique, poids financier et processus judiciaire volent temps et énergie aux organismes et activistes (Gera 2017, 508). Les SLAPP découragent toute autre forme d’opposition. C’est aussi à travers le non-respect des communautés autochtones que l’on observe les limites de l’accès à la justice environnementale. Alors que la fermeture des 28 mines est décriée par ces communautés car elles ne recevront plus les compensations monétaires y étant associées, la question d’égalité est mise de l’avant. En effet, les personnes indigènes sont souvent discriminées (Espiritu 2017, 46). Les SLAPP et l’absence de reconnaissance envers les peuples autochtones sont donc de grands défis pour la société civile philippine.

À la lumière de cette analyse, convenons du fait que les trois principes de la Convention d’Aarhus sont théoriquement présents aux Philippines, mais que plusieurs failles existent dans la réalité, ce qui permet d’expliquer pourquoi, actuellement, les ONG n’ont pas suffisamment d’influence pour exercer un poids important sur le gouvernement malgré leur grand nombre. D’ailleurs, le pouvoir gouvernemental reste dominant sur le reste du pays et peu à l’écoute des demandes locales (Espiritu 2017, 55), ce qui explique qu’il a fallu qu’une ancienne activiste environnementale, Madame Lopez, accède au pouvoir pour que de réels changements soient proposés. À cela des solutions existent. Une coopération et un système de consensus seraient bénéfiques à la société civile afin d’être réellement entendue. Ce faisant, le dialogue avec le gouvernement serait possible et imposerait le respect des lois qui existent. Portons attention aux développements dans l’industrie minière pour observer les changements au sein de cette jeune démocratie. L’institutionnalisation des acteurs politiques renforcera-t-elle celle-ci?

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Bibliographie

Aceron, Joy et Francis Isaac. 2016. «3. Contextualising Vertical Integration in Philippine Civil Society». Going Vertical: Citizen-Led Reform Campaigns in the Philippines. 33.

Almendral, Aurora. 2017. «Philippines Moves to Shut Mines Accused of Polluting». New York: The New York Times.

Boquet, Yves. 2017. «Environment Challenges in the Philippines». The Philippine Archipelago. Springer International Publishing. 779-829.

Espiritu, Belinda F. 2017. «The Lumad Struggle for Social and Environmental Justice: Alternative Media in a Socio-Environmental Movement in the Philippines». Journal of Alternative and Community Media 2 (2017): 45-59.

Gera, Weena. 2016. «Public Participation in Environmental Governance in the Philippines: the Challenge of Consolidation in Engaging the State». Land Use Policy. Vol. 52. 501-510.

Lorch, Jasmin. 2017. «State Weakness and Civil Society in the Philippines». Civil Society and Mirror Images of Weak States. UK: Palgrave Macmillan. 133-197.

Teehankee, Julio C. 2013. «Clientelism and Party Politics in the Philippines». Party Politics in Southeast Asia: Clientelism and Electoral Competition in Indonesia, Thailand and the Philippines 55. 186.

Wurfel, David. 2006. «Mining and the Environment in the Philippines: the Limits on Civil Society in a Weak State». Philippines Studies. Vol. 54, no 1. 3-40.

 

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