Le cas de Sapa au Vietnam: des minorités ethniques dépendantes du tourisme

de Manon de Dianous

Rizières en terrasses à Sapa

Située à l’extrême nord du Vietnam, à 1500 mètres d’altitudes, la ville de Sapa est mondialement connue pour la richesse des paysages qu’elle renferme. Ses immenses terrasses de rizières séduisent de nombreux touristes mais l’objet premier de leur visite n’est autre que la rencontre des différentes minorités ethniques vivant dans cette région. En effet, cette ville montagneuse abrite des communautés tribales dont les plus anciennes sont les Hmong et les Yao. Attachés à leurs coutumes et pratiques ancestrales, ces groupes voient leur identité culturelle s’effacer à mesure que leur dépendance vis-à-vis du tourisme s’accroît. Le développement économique, fruit de l’histoire coloniale et de la collectivisation des terres par la majorité Kinh, a contribué au bouleversement de la composition ethnique de la population locale et à la transformation des rapports de force qui régissaient son équilibre (Peyvel, 2007). Comment expliquer ces changements de mode de vie ? Quelles sont les perceptions et les répercussions du tourisme de masse sur l’environnement socio-culturel des minorités ethniques ?

Arrivée des français puis des Kinhs à Sapa : le tourisme imposé aux populations locales

« L’époque coloniale est un moment important dans l’histoire touristique de Sapa, car c’est à la fois son acte de naissance et ce qui permet de comprendre sa conception et son aménagement » (Peyvel, 2007). En effet, pied à terre des militaires et de la bourgeoisie française avant de devenir l’abri du gouvernent thaï et des communistes, cette station d’altitude a entièrement été aménagée par les français de sorte à rendre le site plus accessible aux touristes occidentaux. Les visiteurs n’étaient donc pas dépaysés quant à leurs habitudes de vie : toutes les normes et infrastructures de la civilisation française ont été reproduites (Peyvel, 2007). Ainsi, l’empire colonial a provoqué un accroissement de l’activité marchande dans cette région, la rendant plus dynamique et attrayante (Michaud et Turner, 2003).

De plus, la croissance de l’activité touristique s’est accélérée suite à l’immigration de marchands Kinhs à Sapa, intensifiant parallèlement les conflits socio-culturels présents au sein de la société rurale. Au lieu de contribuer au développement des minorités ethniques, les vietnamiens de souche ont exploité leur force de travail par l’intermédiaire de coopératives, afin d’étendre l’entreprise touristique (Messier, 2010). Entre 1995 et 2010, « le nombre d’hôtels disponibles est passé d’un à plus d’une centaine » (Messier, 2010).  Pour permettre l’accueil d’un tourisme de masse, plusieurs minoritaires ont dû être dépossédés de leur terre ; beaucoup ont donc abandonné l’agriculture pour s’adonner aux seules activités qu’on leur a réservé : la vente de souvenirs et le métier de guide (Peyvel, 2007). S’appropriant les plus grands bénéfices du tourisme, les Kinhs marginalisent les montagnards, pourtant chez eux, détenant le rôle du lion dans sa cage, attraction la plus prisée des touristes.

 

La dépendance touristique

Représentation du « marché de l’amour » devant une foule de touristes

À l’origine, les minorités ethniques basaient leurs modes de vie sur les relations sociales qu’elles entretenaient entre-elles. Un évènement hebdomadaire était organisé pour permettre aux hommes et femmes des divers groupes ethniques de se socialiser à travers des danses et musiques traditionnelles. Connue aujourd’hui sous le nom de « marché de l’amour », cet évènement social a perdu sa fonction symbolique d’autrefois dû principalement à une forte présence touristique (Shah et Gupta, 2000). Désormais ce marché n’est qu’un lieu purement commercial où l’échange social s’est transformé en compétitivité économique. Étant donné que plus de 40% de la population locale vit en dessous du seuil de pauvreté, le tourisme reste leur seul moyen d’accroître leur revenu et d’espérer un avenir meilleur (Shah et Gupta, 2000). Toutefois, « ils sont exploités en tant que producteurs primaires, et la valeur ajoutée est récoltée par d’autres, le long de la chaîne de marché » (Shah et Gupta, 2000). En effet, les femmes produisent des objets artisanaux à la main vendus à un prix inférieur à leur valeur du fait des nombreuses copies produites par la concurrence, effet néfaste de l’ouverture des marchés.

L’arrivée des touristes a chamboulé le quotidien des minorités ethniques, constamment préoccupé par la rentrée d’argent. En vendant des cartes postales aux étrangers, les enfants participent également à l’amélioration de la vie familiale. Souvent incités à mendier, ils trainent dans les rues au lieu d’aller à l’école (Stoti, 2015). L’économie prend alors le dessus sur le social.

 

Le comportement paradoxal des touristes à Sapa 

Communautés ethniques vendant leurs produits aux touristes

Constituant l’attraction ethnographique aux yeux des touristes, les ethnies locales n’ont pas été associées au processus touristique (Peyvel, 2007). Voyant les touristes comme un moyen de sortir de la pauvreté, elles adoptent un comportement commercial, ce qui déplait fortement aux voyageurs. Ces derniers sont en recherche d’authenticité ; ils ne veulent pas être la raison de vivre des communautés. Pour obtenir ce qu’ils veulent, certains vont jusqu’à « refuser le développement au nom de la sauvegarde des cultures autochtones, par exemple […] en retardant l’accès à l’eau courante, voire potable » (Bourdages-Duclot, 2014). De plus, les minorités aménagent leurs habitations de sorte à accueillir les touristes dans le confort mais ne reçoivent rien en retour en termes de progrès sociétal. Conscience des conditions de vies des minorités, ils ne semblent pourtant pas prendre en compte leurs besoins socio-culturels et ne les voir qu’en « marchandises à négocier, à exploiter, à visiter » (Bourdages-Duclot, 2014). L’entreprise touristique a donc contribué au développement économique de la région sans pour autant améliorer la vie des communautés ethniques qui font face à une redéfinition de leur identité culturelle, entrechoquée par le pluralisme touristique.


 

Film « The Love Market » (bande annonce) : https://vimeo.com/19819952

 

Bibliographie :

Bourdages-Duclot, Sarah. 2014. La mise en scène photographique au sein de la rencontre interculturelle entre autochtones vietnamiens et touristes occidentaux dans un contexte de tourisme alternatif dans la région de Sapa (Vietnam). Mémoire de maitrise. Université du Québec à Montréal.

Messier, Philippe. 2010. « Représentations médiatiques et sociales des minoritaires.
Les pratiques d’appropriation sélective de l’image chez les acteurs locaux du district de Sa Pa, province de Lào Cai, Vietnam ». Mémoire, département d’anthropologie, Université Laval, p.37-53.

Michaud J. et Turner S. « Tribulations d’un marché de montagne du Nord-Vietnam ». Études rurales 2003/1-2, N°165-166, p. 53-80.

Peyvel, Emmanuelle. 2007. « Tourisme, ethnies et territoires : le cas de Sa Pa (Vit Nam) ». Tourismes et territoires, Mâcon, France, 10p.

Shah, Kishore. Gupta, Vasanti. 2000. « Tourism, the poor and other stakeholders : experience in Asia ». Fair trade in tourism project, Overseas Development Institute, p.18-35.

Stoti, Nadia. 2015. « Trek à Sapa : Dans la brume avec les minorités ethniques du Vietnam ». En ligne : https://lovetrotters.net/2015/01/28/trek-a-sapa-dans-la-brume-avec-les-minorites-ethniques-du-vietnam/ (page consultée le 20 mai).

 

 

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