Comprendre le cas du Singapour

Par Carl Alexandre Guercin

Ayant acquis son indépendance en 1965, un seul parti politique a dirigé le Singapour depuis. Bien que se déroule des élections de façon régulière dans le pays, le People’s action party (PAP) a su garder le pouvoir durant toutes ces années, occupant plus de la majorité des sièges, certes en utilisant de multiples manœuvres que nous verrons plus loin dans ce billet (Verwij et Pelizzo 2009). Durant les élections qui ont eu lieu en 2011, l’emprise du pouvoir du PAP semblait s’affaiblir dans la mesure où, avec 40% du vote populaire, l’opposition fut en mesure de gagner 6 sièges au parlement, son meilleur résultat en plus de 30 ans (Tan 2014). En l’absence d’une démocratie libérale et avec un parti qui, durant plus de trois décennies, a su garder le pouvoir, comment expliquer les récentes avancées de l’opposition au Singapour ? En premier lieu, nous analyserons quelques raisons qui expliquent cette hégémonie et ensuite nous analyserons également les changements qui ont eu lieu et qui expliquent l’avancée des partis de l’opposition.

 

L’hégémonie du PAP

Logo du PAP

En premier lieu, il existe de multiples explications quant à l’absence d’une démocratie libérale au Singapour, notamment le manque de volonté politique de la part des dirigeants politiques (Rodan 2012). Subséquemment, la qualité des institutions politiques a joué un rôle. La façade démocratique que le régime a su exposer en ayant par exemple des institutions électorales sans pour autant qu’il puisse avoir une véritable contestation du pouvoir (Rodan 2012). Le régime est vu comme étant hybride par l’auteur Tan dans la mesure où il y a périodiquement des élections dans lesquelles on ne reporte généralement aucune fraude, par contre le problème survient dès lors que le régime agit de sorte à désavantager l’opposition. Nous pouvons citer par exemple le fait que le régime change la carte électorale trois mois avant les élections, qu’il applique des mesures visant à réduire la liberté d’expression, de manifestations et qu’il menace ses opposants de poursuites judiciaires afin de les intimider (Tan 2014).

 

Selon le département d’État des États-Unis, les élections de 2011 étaient libres dans la mesure où il y avait plusieurs candidats de différents partis, en revanche, le PAP a mis en place divers obstacles afin de nuire autant que possible aux partis de l’opposition (Tan 2014).  Par exemple, ils utilisent les institutions de l’État à leur avantage, ce qui dans une démocratie libérale ne devrait pas être le cas, d’où la faiblesse des institutions. Ensuite, ils exercent un contrôle important sur les médias ce qui leur permet de censurer les critiques ainsi que de limiter l’exposition des autres partis (Tan 2014). En fin de compte, le PAP détient tellement de ressources qu’il devient impossible pour les autres partis d’avoir une chance quelconque. Ces variables expliquent en partie l’hégémonie du PAP au Singapour.

 

Non au statu-quo

En second lieu, il y a tout de même eu des changements dans le pays ces dernières années. En effet, depuis 2011, la situation n’est plus la même et nous assistons au « New normal » (Tan 2014). Ce terme est utilisé pour expliquer l’apparition d’une opposition qui est de plus en plus vocale et qui n’a pas peur d’exprimer ses revendications et sa volonté d’avoir un gouvernement qui ne serait pas issu du PAP (Tan 2014).  Il critique notamment le fait que le parti, grâce à sa domination, fait preuve d’arrogance et est déconnecté des besoins de la population. Par ailleurs, nous pouvons également expliquer ce changement par l’évolution démographique avec l’arrivée d’un nombre important de jeunes électeurs et l’accès à l’internet qui a permis aux gens d’être de plus en plus connectés et qui facilite la mobilisation (Tan 2014). L’arrivée de jeunes électeurs est également importante dans la mesure où leurs revendications ainsi que leurs préférences ne sont pas nécessairement similaires aux générations précédentes (Tan,2014). Des sondages d’opinion dans le pays démontrent qu’une majorité de ces jeunes veulent plus de libertés politiques, d’expression et qu’ils sont moins enclins à vivre sous un régime hégémonique (Tan 2014). En définitive, voilà les changements auxquels le PAP doit faire face à l’heure actuelle et qui expliquent les avancées qui ont eu lieu récemment au niveau de l’opposition.

Dans ces conditions, il reste encore des défis importants pour une éventuelle transition vers un régime pleinement démocratique. Bien que la réalité du pays ait grandement évolué, certaines pratiques négatives persistent encore. Par exemple, en 2012, un ministre, un premier ministre ainsi que son frère ont menacé de traduire en justice des commentateurs politiques et des éditoriaux pour leurs remarques négatives (Tan 2014).

Tout bien pesé, de multiples changements au niveau démographique et au niveau technologique expliquent les avancées qui ont eu lieu au Singapour. Pourtant il y a encore d’énormes chemins à parcourir avant l’établissement et la consolidation d’une démocratie libérale. Il faut tout de même reconnaitre qu’au niveau économique, le pays a eu une énorme réussite. Si bien que de l’année 1960 à l’an 2000, il avait le revenu national avec le plus haut taux de croissance et cela avec la nature du régime qui est la leur (Verwij et Pelizzo 2009).

 

 

 

 

 

Bibliographie

 

Rodan, Garry. 2012. « Consultative Authoritarianism and Regime Change Analysis ». Dans Richard Robinson, dir., Routledge Handbook of Southeast Asian Politics. London and New York : Routledge, 120-134

Tan, Netina. 2014. « Democratization and embracing uncertainty in port-2011 Singapor ». Dans Edmund S.K Fung et Steven Drakely, dir., Democracy in Eastern Asia. London and New York : Routledge, 181-202

Verweij, Marco et Pelizzo Riccardo. 2009. « Singapore : Does Authoritarianism Pay? ». Journal

Of Democracy 27(1) : 120-152

 

 

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