La Malaisie, une entrave au développement

L’île de Bornéo est divisée entre le Brunei, l’Indonésie et la Malaisie. Elle est reconnue à travers le monde pour sa richesse naturelle incroyable. Sur cette île se trouve la province malaisienne de Sarawak. Celle-ci fait partie des 17 territoires ayant la plus grande biodiversité au monde. Entre ses 8000 espèces végétales et ses 20 000 espèces animales, Sarawak apparait comme un bijou à protéger aux yeux de la communauté environnementale (Sovacool 2012, 114). Alors que la Malaisie connait des taux de croissance fulgurants et que la demande énergétique augmente en parallèle avec ceux-ci, il est des plus pertinents de s’attarder sur les mesures mises en place pour assurer le développement durable du pays.

Le corridor de l’énergie renouvelable à Sarawak

Le projet SCORE (Sarawak Corridor of Renewable Energy) est une initiative de plusieurs centaines de milliards dollars visant la construction d’un corridor de barrages hydroélectriques de 320 kilomètres qui fournira de l’électricité à la majorité de la population régionale et que l’on présente comme «sustainable» (voir lien ci-haut) (Sovacool 2012, 115). Le Programme des Nations Unies pour l’environnement définit le développement durable comme étant «[the achievement of] economic development, social development and environmental protection.» En ce sens, cet article répondra à la question suivante : comment expliquer que le projet SCORE ne réponde pas à deux des trois aspects du développement durable ; soit l’aspect social et l’aspect environnemental?

Le développement économique à l’avant-plan

Brièvement, il va sans dire que le premier pilier du développement durable de l’ONU, le développement économique, est bel et bien respecté par le projet, puisque celui-ci amène de massifs investissements étrangers dans le projet lui-même, mais également dans le développement d’infrastructures en complémentarité telles que les routes et les télécommunications (Soyacool 2005, 118). Il s’agit d’un projet d’ingénierie d’une ampleur telle qu’il participe fortement à l’industrialisation du pays. L’auteur Tan (2014, 2) explique d’ailleurs que la Malaisie est aujourd’hui reconnue comme l’un des Tigres de l’Asie et que son taux de croissance économique est de 6,3% par année depuis les années 1970.

Conflits avec les peuples autochtones

Le deuxième pilier du développement durable défini par le PNUE est celui du développement social. À l’heure actuelle, un barrage terminé nommé Bakun a déjà fait des dommages. Comme Keong (2016, 683) le souligne, la construction de ce barrage a forcé le déplacement de 10 000 personnes de la région. Cela a des impacts sur la pérennité de la culture de ces communautés indigènes, puisque leur environnement, ainsi que le mode de vie adapté à celui-ci, a disparu. Il s’agit de la destruction pure et simple d’un héritage culturel riche et ancien. Notons également le non-respect des engagements prises par les autorités quant aux compensations garanties aux déplacé-es. Par exemple, en 2011, dix ans après la migration forcée, les infrastructures promises telles que l’eau, les écoles et les routes ne sont pas encore installées et 1640 familles n’avaient pas obtenu leur compensation financière. De plus, certaines familles ont reçu des terres infertiles ou beaucoup plus petites (entre 1,2 et 3 ha) que celles qu’elles possédaient précédemment (10 ha) (Oh 2011, 1040). Dans cette optique, il convient d’avancer que les responsables du barrage Bakun échouent dans leur projet supposément durable. La justice sociale apparaît comme complètement délaissée au profit des revenus issus dudit barrage.

Des communautés autochtones quittant leurs terres pour la construction du barrage Bakun – The Ecologist

L’environnement : pas une priorité

Poursuivons l’analyse avec le dernier pilier du développement durable de l’ONU: la protection environnementale. En considérant les conséquences de la construction des barrages sur la biodiversité de l’île de Bornéo, il est évident que les mégaprojets tels que SCORE ne sont pas aptes à fournir un environnement de la même qualité que celui qui a été détruit aux générations futures de l’île. Effectivement, Oh (2011, 1035) explique que c’est l’équivalent du territoire de Singapour qui a été inondé seulement dans la construction d’un seul barrage, le Bakun. Les impacts sont immenses : il s’agit de la destruction complète et irréversible de l’un des écosystèmes les plus diversifiés au monde, incluant 49 espèces connues d’amphibiens et au moins 205 espèces d’insectes. Ajoutons finalement que le projet participe au réchauffement climatique, puisque la région dans son ensemble dégagera plus de chaleur; l’effet de radiation sera donc plus important (Keong 2005, 643).

Pour résumer, bien que le projet SCORE soit amplement apte à alimenter la croissance de la Malaisie, il n’est pas en accord avec les piliers du développement social et du respect de l’environnement définis par l’ONU. À la lumière de cette analyse, alors que l’objectif premier de l’imposant projet est d’assurer la diversité énergétique malaisienne et, ainsi, son développement économique (Sovacool 2005, 128), il est frappant de constater à quel point les politiques environnementales sont encore très loin d’être une priorité dans le pays. Pour conclure, l’action d’organisations non-gouvernementales transnationales et la coopération régionale dans la gouvernance environnementale semblent plus pertinentes que jamais, et ce, particulièrement dans le cas de SCORE, puisque les impacts environnementaux affecteront l’ensemble de l’île de Bornéo divisée entre trois États. Reste que la volonté politique représente un défi dans une région en plein essor économique. Par ailleurs, il est peu surprenant de constater que le développement durable n’est pas une priorité à l’heure actuelle. Après tout, le Québec a vu la montée de l’écologisme et de la défense des droits autochtones dans les années 1960, et ce, en réaction au plan de barrages hydroélectriques dans le nord qui a permis le développement économique de la province. L’histoire se répète-t-elle?

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BIBLIOGRAPHIE

Keong, Choy Yee. 2005. «Energy Demand, Economic Growth and Energy Efficiency—the Bakun Dam-Induced Sustainable Energy Policy Revisited», Energy policy. 33.5. 679-689.

Nations Unies, Les. Sustainable Development. En ligne. http://www.un.org/en/ga/presiden
t/65/issues/sustdev.shtml (page consultée le 14 mai 2017)

Oh, Tick Hui, Shing Chyi Chua et Wei Wei Goh. 2011. «Bakun – Where Should All the Power Go?», Renewable and Sustainable Energy Reviews 15.2. 1035-1041.

Sovacool, Benjamin K. et L. C. Bulan. 2012. «Energy Security and Hydropower Development in Malaysia: The Drivers and Challenges Facing the Sarawak Corridor of Renewable Energy (SCORE)», Renewable Energy 40.1. 113-129.

Tan, Eu. 2014. «Malaysia’s Economic Growth and Development: Challenges and the Way Forward». The Singapore Economic Review 59.3.

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