L’Indonésie, des mines, des lois, des résultats?

par François-Guy Piché

 

L’Indonésie est une puissance exportatrice minière. L’archipel est un grand exportateur d’étain, de charbon, de diamants, de nickel, d’aluminium, d’or et de cuivre. Toutes les provinces d’Indonésie possèdent au moins une mine d’or. L’exploitation de ces mines soulève plusieurs enjeux en Indonésie. Le premier enjeu est celui de déterminer à qui les mines doivent profiter. La question peut sembler plutôt simple, mais l’Indonésie est un pays très morcelé au niveau ethnique. Certains groupes ethniques minoritaires voient d’un très mauvais oeil l’extraction et l’exportation des ressources de leurs terres. De plus, le gouvernement indonésien, dans les dernières années, a voté de nouvelles lois pour essayer d’augmenter les retombées économiques de l’exploitation des ressources minières. Avec les marchés internationaux présentement défavorables à l’exportation dû à des cours faibles des minéraux, les compagnies minières ont réussi à négocier des délais qui leur sont plus favorables. Bref, compagnies minières, autochtones et Indonésiens cherchent tous à avoir une plus grosse part du gâteau.

Comment expliquer que l’exploitation des ressources naturelles engendrent des conséquences politiques, environnementales et sociales néfastes en Indonésie? Les enjeux principaux que l’industrie minière vit en Indonésie sont la corruption, la dégradation de l’environnement et les conflits ethniques. Tous ces enjeux peuvent se résumer par le manque de lois.

La mine de Grasberg de la Papouasie indonésienne

La corruption

J’ai abordé dans un billet précédent la question de la corruption en Indonésie. L’industrie minière est particulièrement touchée par la question. La décentralisation aurait augmenté la corruption particulièrement dans les régions riches en minéraux (Courmont, 2015). Les mines de petites envergures, nationalisées, sont de la responsabilité des maires et bupatis. Le crime organisé achète leur coopération, prend de force la production des petites mines et vend les minéraux à prix avantageux à des Singapouriens (Courmont, 2015). Dans les zones les plus reculées, les normes environnementales sont ignorées par les autorités, par complaisance ou par absence de contrôle. Les conséquences sont parfois tragiques du point de vue environnemental. Il y aurait 77 000 mines illégales qui emploieraient de 465 000 à 1 million d’employés (McCarthy, 2010). La corruption n’est pas le seul élément qui expliquerait le non-respect des lois et des normes. Les mines de plus petites envergures ne pourraient pas toutes se conformer aux normes. Étant une source importante de revenus pour toute cette population, la nécessité peut expliquer que les autorités locales les tolèrent. Elles sont des sources de revenus vitales pour les communautés pauvres et reculées. La proximité des autorités avec la réalité, dû à la décentralisation, les sensibilise. Il y a des cas que certains pourraient considérer comme de la corruption morale.

 

L’environnement

La déforestation en Indonésie

Le moins que l’on peut dire est que les mines ne font pas bon ménage avec l’environnement. Que ce soit sur un terrain privé ou dans une zone protégée, les projets miniers se développent à vive allure, particulièrement sur l’île de Bornéo. Les maires et le ministère des forêts ont la possibilité d’accorder des autorisations d’exploitation. La mauvaise communication et les politiques contradictoires entre les deux paliers de gouvernements causent ces problèmes. Aujourd’hui, Bornéo a perdu plus de la moitié de sa forêt primaire, mettant en danger ses 1 400 espèces animales et 15 000 espèces végétales en danger (Courmont, 2015), soit dû à l’exploitation minière, soit par la culture de l’huile de palme.

Les mines de charbon d’Indonésie sont pour la plupart des mines à ciel ouvert. Lorsqu’elles sont abandonnées, pour diverses raisons, elles ne sont pas décontaminées. Elles laissent des trous géants qui se remplissent d’eau de pluie et finissent par éventuellement déborder et aller contaminer les rizières qui l’entourent avec les eaux usées des mines (Honorine, 2013). Ces inondations peuvent durer plusieurs semaines, comme dans la ville de Tenggarong. De plus, les réseaux électriques des petites villes, rudimentaires et désuets, peuvent facilement être endommagés par ces inondations de plus en plus fréquentes. Les coupures électriques durent des jours et la qualité de vie des locaux est affectée. En Papouasie occidentale, la mine de Grasberg déverse ses déchets dans les ruisseaux locaux depuis les années 1990. La quantité de déchets toxiques versés dans l’eau est incroyable. C’est 140 000 tonnes de déchets toxiques qui sont versées chaque jour dans le fleuve Ajkwa (Courmont, 2015). La vie aquatique est impossible, et des kilomètres carrés de forêt sont morts empoisonnés.

 

Les conflits ethniques

La Papouasie connait des mouvements souverainistes et le point de tension principal entre ces mouvements et le gouvernement Indonésie est la mine de Grasberg, première pollueuse et première contributrice à la caisse de l’État. Elle verse un milliard de dollars américains à l’État indonésien, mais seulement 6.5 millions à la province de la Papouasie. Elle compte pour la moitié de l’économie de la Papouasie, mais les conditions de travail y sont horribles. Non seulement, la mine empoisonne les cours d’eau avoisinants, les travailleurs papous y sont embauchés comme travailleurs non-qualifiés, alors que les autres groupes ethniques sont embauchés comme travailleurs qualifiés. Les conditions de travail pour ces travailleurs non qualifiés sont « dignes de la période coloniale » (Courmont, 2015). La mine connait des manifestations et des épisodes de violences. En 1977, l’Organisation de la Papouasie libre a attaqué la mine causant des dizaines de millions de dommages. La répression militaire causa plus de 800 morts chez les Papous.

 

En conclusion, le gouvernement nouvellement démocratique en Indonésie a beaucoup de travail sur la planche afin de réduire les iniquités sociales et la pollution. S’attarder à l’industrie minière serait une première étape dans la bonne direction. Une meilleure redistribution des profits engendrés par les mines pourrait permettre de fermer les petites mines illégales et polluantes.

Bibliographie

Courmont, Barthélémy. « Indonésie : les défis d’un archipel minier. » Dans Géopolitique des ressources minières en Asie du Sud-Est : Trajectoires plurielles et incertaines. Indonésie, Laos et Viêt Nam. Sous la direction de Éric Mottet, 54-140. Québec : Presses de l’Université du Québec, 2015.

Courmont, Barthélemy. « Le difficile contrôle des exploitations minières en Indonésie », Géoéconomie 3, no.75 (2015) : 93-108.
De Konick, Rodolphe. 2012. L’Asie du Sud-Est. Paris : Armand Colin.

Honorine, Soleen. 2013. Indonesia : histoire, société, culture. Paris : La Découverte.

McCarthy, Jonh F. « The limits of legality : state, governance and resource control in Indonesia» Dans The State and Illegality in Indonesia. Sous la direction de Edward Aspinall et Gerry Van Klinken, 89-106. Leyde : KITLV Press, 2010.

 

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