La culture des genres en Thaïlande et le Bouddhisme

Par Rose Clermont-Petit

On entend souvent que la Thaïlande est un pays égalitaire. D’ailleurs, la Constitution thaïlandaise garantit l’égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que la liberté d’adhérer et de pratiquer n’importe quelle religion pour tous (Martin Seeger 2006, 160) On entend aussi souvent que le bouddhisme est une religion plus égalitaire et qu’elle laisse plus de place aux libertés que d’autres religions.  Pourtant, quand on regarde plus en profondeur le bouddhisme thaïlandais, on réalise qu’il place les femmes dans une position de subordination face aux hommes  (Kameniar 2009).

En effet, les femmes thaïlandaises ne sont pas égales aux hommes. Certes, de plus en plus de femmes thaïlandaises occupent des postes importants dans les Universités et dans des grandes firmes (Hunter 2014), mais elles sont toujours majoritairement rejetées des postes de leadership en politique : « Durant les 10 dernières décennies, la participation des femmes en politique et en administration n’a presque jamais été au-dessus de 10% » [3]. Les femmes thaïlandaises sont encouragées à être des mères, l’esprit maternel et la famille étant très valorisés dans la société. Si elles ne sont pas mères, elles peuvent travailler. Mais quand les emplois se font rares, certaines se tournent vers le commerce du sexe (Keyes 1984). Puisqu’elles ont un statut « inférieur » dans la communauté, les femmes sont plus à risque de violence domestique, de trafic humain et de contracter des maladies transmises sexuellement (Tomalin 2006, 386).

Effectivement, depuis 1928, il est interdit d’ordonner une femme pour qu’elle devienne moine en Thaïlande (Tomalin 2006, 388). Les femmes peuvent devenir religieuse, mais le plus haut statut qu’elles pourront atteindre est d’être Mae chi. La condition des Mae chi est inférieure à celles des moines masculins; elles ne peuvent pas vraiment étudier la religion et sont souvent condamnées à faire la vaisselle et la cuisine pour leurs homologues masculins (Tomalin 2006, 386).

Parmi les chercheurs, il est grandement répandu que cette hiérarchie des sexes dans le bouddhisme Theravada thaïlandais contribue à reproduire cette hiérarchie dans la vie de tous les jours des Thaïlandais (Tomalin 2006 ; Lindberg Falk 2010).

Plusieurs mouvements féministes ont vu le jour en Thaïlande ces dernières années, mais les mouvements féministes sont largement critiqués et peu se disent ouvertement féministes. En effet, le féminisme est considéré comme étant quelque chose d’occidental et ne faisant pas partie de la culture thaïlandaise (Lindberg Falk 2010, 110). Face à cela, un féminisme religieux, considéré comme plus « thaïlandais » a vu le jour. On nomme ce mouvement Bhikkhuni, nom donné aux femmes moines dans le bouddhisme Theravada. La raison pour laquelle il n’y a pas de Bhikkhuni en Thaïlande est que, selon les bouddhistes, ce lignage aurait disparu il y a plusieurs centaines d’années (Seeger 2006, 159).  On ne pourrait ordonner une femme moine sans la présence d’autres femmes moines, et comme il n’en existerait plus, on ne pourrait plus ordonner de femmes  (Seeger 2006, 159). Il s’agit de la justification qui est donnée, elle n’est donc pas d’origine sexiste. Il n’en demeure pas moins que plusieurs considèrent que le bouddhisme renforce une vision hégémonique de l’homme (Lindberg Falk 2010, 112).

C’est pour faire face à cette interdiction que Chatsumarn Kabilsing, maintenant connue sous le nom de Dhammananda Bhikkhuni, est allée se faire ordonner au Sri Lanka en 2001 (Hunter 2014). Elle est par la suite revenue en Thaïlande. Selon elle, la lignée des Bhikkhunis ne se serait pas éteinte complètement, puisque les femmes qui l’ont ordonné en feraient partie (elles seraient venues de Chine où on pratique aussi le bouddhisme Theravada) (Pierreto 2017). Selon Dhammananda, la plus grande contribution des Bhikkhunis est l’éducation des jeunes femmes. En effet, les hommes peuvent recevoir de l’éducation gratuite dans les temples et être « temporairement moine » (Tomalin 2006, 389). Ce n’était pas le cas pour les filles, mais grâce à Dhammananda, les femmes peuvent maintenant recevoir l’éducation dans son centre de méditation (Hunter 2014). Quelques Thaïlandaises ont suivi sa trace et sont allées se faire ordonner au Sri Lanka. Elles seraient maintenant une centaine en Thaïlande (Pierreto 2017). Par contre, ces moines ne sont pas reconnues par le gouvernement thaïlandais ni par le bouddhisme.

De plus, même si le mouvement se répand, cela ne veut pas dire qu’il est bien accueilli par la société thaïlandaise. Le mouvement fait émerger des tensions au sein des bouddhistes et dans la société, puisqu’il ébranle des modèles qui ont toujours existés.  Ainsi, les femmes qui ont mis la « robe-orange » réservée aux moines ont aussi été victime d’harcèlement et on les a même accusées de pervertir le caractère sacré du bouddhisme (Tomalin 2006, 389). Elles se sont aussi fait refuser l’accès réservé aux moines lors des funérailles du roi Bhumibol Adulyadej, le 9 décembre 2016 (Pierreto 2017).

Comme le bouddhisme est la base de l’identité thaïlandaise, sa structure a un impact sur le fonctionnement de la société ; l’infériorité des femmes dans le bouddhisme serait donc grandement liée avec leur vulnérabilité dans la société (Lindberg Falk 2010, 120). On peut donc dire que malgré les difficultés auxquelles les Bhikkhunis font encore face, un grand progrès a été fait vers l’égalité religieuse et l’égalité des genres. Des femmes sont maintenant moines et s’assument dans leur rôle. Les communautés autour apprennent à les accepter et à leur faire une place. On peut se demander quel sera l’impact d’un tel changement dans la société thaïlandaise ? Si les femmes réussissent à gravir de plus hauts échelons dans le bouddhisme, est-ce que cela se transposera dans la société thaïlandaise ?

Bibliographie

Hunter, Murray. 2014. « The emergence of the Bhikkhuni Sangha (monkhood for women) in Thailand ». Dans The Nordic Page. En ligne. http://www.tnp.no/norway/global/4228-the-emergence-of-the-bhikkhuni-sangha-monkhood-for-women-in-thailand (page consultée le 22 mai 2017)

Ito, Tomomi. 1999. « Buddhist Women in Dhamma Practice in Contemporary Thailand: Movements regarding their Status as World Renunciates ». The Journal of Sophia Asian Studies (no. 17).

Kameniar, Barbara. 2009. « Thai Buddhist Women, ‘Bare Life’ and Bravery* ». ARSR 22 (no 3) :282-294

Keyes, Charles F. 1984. « Mother or Mistress but Never a Monk: Buddhist Notions of Female Gender in Rural Thailand ». American Ethnologist 11  (no. 2) : 223-241.

Lindberg Falk, Monica. 2010. « Feminism, Buddhism and transnational women’s movement in Thailand ». Dans Mina Roces et Louise Edwards, Eds., Women’s Movements in Asia, Feminisms and Transnational Activism. Oxfordshire : Routledge, 110-123.

Pichitsakulchai, Tanaporn. 2014. « The Bhikkhuni Revolution: Religious Feminism in Thai Buddhism ».  Alochonaa (Dialogue). En ligne. https://alochonaa.com/2014/06/15/the-bhikkhuni-revolution-religious-feminism-in-thai-buddhism/ (page consultée le 22 mai 2017)

Pierreto. 2017. « Les moines femmes (bhikkhunis) embarrassent le bouddhisme thaïlandais ». Dans Toute la Thaïlande. En ligne. https://toutelathailande.fr/les-moines-femmes-bhikkhunis-bousculent-le-bouddhisme-thailandais/ (page consultée le 21 mai 2017).

Seeger, Martin. 2006. « The Bhikkhunī-ordination controversy in Thailand ». Journal of the International Association of Buddhist Studies 29 (no. 1) : 155-184.

Tomalin, Emma. 2006. « The Thai Bhikkhuni Movement and Women’s Empowerment ». Gender and Development 14 (no. 3): 385-97.

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