L’échec de la transition démocratique en Thaïlande

Par Judith Cavallo

 

L’instauration d’une démocratie en Thaïlande fut extrêmement compliquée et mouvementée, si bien que cette dernière n’est en réalité pas entièrement ancrée dans le système politique actuel.

La Thaïlande a longtemps été une monarchie absolue et est passée subitement à une monarchie constitutionnelle en 1932 largement dominée par l’armée. Cependant, c’est en 1992 que la constitution fut vraiment revue afin d’obtenir une démocratie. C’est en effet suite à un coup d’état militaire en 1991 que de réelles élections sont organisées suite à une révision constitutionnelle.

Il faut savoir que la Thaïlande a connu « 19 coups d’états » depuis 1932, ce qui rend le système politique fragile (Dubus 2014).

Le pays voit alors le chef du parti démocrate devenir Premier ministre et espère de ce fait avoir un système démocratique stable et durable. Suite à ces élections et le retrait de la présence militaire au sein de la politique thaïlandaise, la population croit à une démocratie solide et ancrée. Mais la Thaïlande connaît au cours de ces années-ci de nombreuses instabilités, telles qu’une grosse crise financière qui secoue les affaires politiques avec l’intervention du Fond Monétaire International au sein du gouvernement. L’enchainement de ces crises ne permet pas le maintien d’un régime politique stable.

En 2001, les élections les plus démocratiques de l’histoire du pays sont tenues, c’est le parti Thai Rak Thai (TRT) qui les remporte avec une majorité de sièges. Mais le parti utilise son pouvoir et sa notoriété afin de faire bénéficier de ses avantages et d’instaurer une domination d’un certain groupe de personnes, à savoir les tycoons-politicians, soit des hommes déjà très influents sur la politique thaïlandaise (Hewinson 1997). Ce parti a été érigé par « l’un des hommes d’affaires les plus puissants du pays, le magnat des télécommunications Thaksin Shinawatra, qui a utilisé sa fortune pour construire un parti politique et, en 2001, se présenter comme Premier ministre»[1] (Kurlantzick 2011). Cependant, malgré les protestations contres les actes menés par cet homme d’affaire, la situation ne changera pas puisque en 2005, ce même parti est réélu avec encore une fois, la majorité des voix.

Cependant, les contestions contre ce parti perdurent et d’autres accusations s’ajoutent à celles déjà existantes. Le chef du parti du TRT annonce alors sa démission suite à ces nombreuses affaires. Le parti est dissout et les membres de ce dernier ne peuvent être candidat à aucune élection pour les 5 années à venir.

Jusqu’en 2007, où de nouvelles élections sont organisées et remportées par le parti People’s Power Party (PPP), qui est en réalité le nouveau non du TRT, la Thaïlande est dirigée par un gouvernement et une assemblée législative intérimaire et une nouvelle constitution est promulguée. Cette dernière mettra fin à l’élection des sénateurs par les citoyens. Le PPP sera en fonction un an seulement car ce dernier sera dissout par la Cour constitutionnelle et laissera place à un gouvernement constitué de royalistes, hommes d’affaire et de militaires.

La crise politique continue à s’étendre et le pays connaît des affrontements entre les partisans du PPP, les chemises rouges, et leurs opposants, les chemises jaunes. Ce différend s’étendra sur une période de deux ans, se terminant en 2010 par une répression engendrant 75 morts.

Image 1:  Thailand: Les jaunes contre les rouges

En 2011, de nouvelles élections législatives portent au pouvoir un candidat ex partisan du TRT-PPP. Mais en 2014, un nouveau coup d’état militaire frappe le pays et dissout le parlement entrainant le recours à la loi martiale, qui donne le pouvoir à l’armée de maintenir l’ordre à la place de la police (Dubus 2014). Après cet énième rebondissement, le pays se retrouve dirigé par la même organisation qu’avant ces nombreuses tentatives de réformes qui ont finalement toutes échouées.

Depuis le coup d’état militaire de 2014, c’est une monarchie constitutionnelle sous l’égide des militaires qui gèrent les nominations à l’Assemblée législative nationale et l’assentiment du roi. Le National Council for Peace and Order (NPCO) contrôle les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires du pays. Le gouvernement est alors dirigé par un général de l’armée, Prayuth Chan-ocha et est conseillé et aiguillé par le NPCO afin de remédier à cette éternelle crise politique qu’endure la Thaïlande. Le pays devrait avoir une nouvelle constitution régie par le NPCO et plus aucune élection ne se tient au sein du pays. De plus, les autres partis politiques ne sont pas interdits, mais ne peuvent en aucun cas être actifs en politique.

Ainsi, nous en arrivons au fait que le gouvernement thaïlandais a depuis plus de 90 ans essayé d’instaurer une démocratie stable et durable et que malheureusement avec les nombreux coups d’états et les crises autant politiques que naturelles qu’a connu le pays, l’instauration de la démocratie ne fut pas concluante.

Nous pouvons même voir qu’aucun de tous ces changements n’ont permis au pays et au gouvernement de se moderniser puisque en effet, la liberté d’expression, d’association et de la presse est encore et toujours restreinte ; les penseurs, chercheurs, journalistes, ONG sont les cibles d’harcèlement et de fréquentes arrestations.

Les dirigeants thaïlandais se rapprochent de plus en plus des régimes autoritaires de la Chine et les pressions des pays occidentaux pour une tentative de transition démocratique en Thaïlande sont faibles.

Malgré ces nombreux efforts d’instauration démocratique, la Thaïlande n’a pas su acquérir et maintenir une démocratie solide. Pourtant, de bonnes initiatives avaient été entreprises afin d’instaurer un modèle politique plus moderne et prometteur pour le pays.

[1] « one of the country’s most powerful businessmen, telecommunications tycoon Thaksin Shinawatra, used his fortune to build a political party and, in 2001, to run for prime minister. » Traduit de l’anglais par Judith Cavallo

 

Bibliographie

Hewison, Kévin. 1997. « Political change in Thailand : Democracy and participation ». London and New York.

Dubus, Arnaud. 2014. « Thaïlande : en avant toute, vers le passé ». Dans La Revue géopolitique. Grenoble école de management. En ligne. http://www.diploweb.com/Thailande-en-avant-toute-vers-le.html (page consultée le 6 mai)

Kurlantzick, Joshua. 2011. « Thailand : A democratic failure and its lessons for the Middle East ». En ligne. http://www.cfr.org/thailand/thailand-democratic-failure-its-lessons-middle-east/p24485 (page consultée le 6 mai)

Connors Kelly, Michael. 2003. « Democracy and national identity in Thailand ». Nias Press. London and New York.

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés