Malaisie : la montée de l’opposition

Par Vivien Cottereau

Ni les parodies de procès qui ont conduit à l’emprisonnement à deux reprises de l’un des leaders de l’opposition, Anwar Ibrahim, ni la répression, ne semblent plus à même de faire taire la remise en question du pouvoir en place par la société malaise. Face au renforcement de l’opposition, le premier ministre Najib Razak avait déjà frôlé la défaite lors des dernières élections de 2013. Son implication récente dans un scandale de corruption n’a pas conforté sa position, car il fait aujourd’hui face à la pression de la rue. Dans cet article, nous verrons que l’opposition est de plus en plus présente en Malaisie, remettant ainsi en question la légitimité de l’actuel gouvernement. Plus précisément, nous chercherons à mettre en lumière les facteurs ayant permis la montée de cette opposition.En août 2015, des milliers de malaisiens ont manifesté à l’initiative du mouvement Bersih, qui réclame notamment une réforme complète du système électoral [1]. Face à cette situation inédite, Najib Razak multiplie les signes d’un autoritarisme croissant pour rétablir son contrôle sur la société malaisienne, qui connaît déjà depuis de nombreuses années un pouvoir fort et un régime aux structures maximalistes.

Manifestant du mouvement Bersih

Manifestant du mouvement Bersih

En effet, depuis son indépendance en 1957, la Malaisie est dominée par un seul et même parti politique, la coalition Barisan Nasional (BN). Héritière de la période de décolonisation, cette coalition comporte trois partis principaux, et témoignait à l’origine d’une volonté de rassembler les différentes communautés afin de refléter la composition ethnique de la société malaisienne [2]. Ainsi, l’UMNO (United Malays National Organization) représente les Malais, tandis que le Malayan Chinese Association (MCA) et le Malayan Indian Congress (MIC) visent à représenter respectivement les intérêts des communautés chinoises et indiennes, arrivées en Malaisie pour servir de main d’œuvre à la puissance coloniale britannique.

Pourtant en 1969, quelques années après l’échec de l’inclusion de Singapour à la fédération malaisienne, de fortes tensions se font ressentir entre ces différentes communautés, et conduisent à la mise en place d’un système autoritaire. L’UMNO, alors au pouvoir, met en place l’état d’urgence, ce qui justifie un accroissement de ses pouvoirs. Parallèlement, ce parti cherche à construire l’identité nationale autour de la communauté malaise en adoptant des politiques lui bénéficiant. La mise en œuvre de la Nouvelle politique économique (NEP), dont l’objectif est d’accroître son rôle dans l’économie nationale [3], en est un parfait exemple. En effet, elle permet d’intensifier le processus de développement de la Malaisie, tout en accordant une place prépondérante à la communauté malaise [4]. De plus, l’Acte de Sécurité Intérieure (ISA) est utilisé par le régime en place pour interdire toute remise en cause de ses politiques et pour accroître les pouvoirs des forces de police, afin de faire taire toute dissension [5]. Néanmoins, ce régime, politiquement très stable, permet à la Malaisie d’enregistrer une formidable croissance économique et de faire chuter les tensions ethniques au plus bas [6].

Les premières formes d’opposition apparaissent en 1998, à la suite de la crise économique qui frappe l’Asie du Sud-Est, lorsque le premier ministre en place, Mahathir, limoge son vice-Premier ministre, Anwar Ibrahim. Ce dernier parcourt alors le pays à la recherche de soutien pour s’opposer à la suprématie de l’UMNO, mais est écarté de force de la vie politique, et est emprisonné. Cet événement conduit au déclenchement d’un premier mouvement de résistance, appelé le Reformasi Movement [7], dans le cadre duquel de nombreuses manifestations prennent place. Si celui-ci n’a pas eu d’effet sur le court terme, il marque néanmoins la naissance de l’opposition à l’hégémonie du BN. Depuis 1998, de nombreuses préoccupations transcendant les clivages ethniques sont portées sur le devant de la scène politique, parmi lesquelles l’amélioration de la justice et du système électoral, ou encore la bonne gouvernance [8].

Derrière ces changements, l’influence de différents facteurs peut être décelée. Outre la hausse du niveau d’éducation du peuple malais, on remarque notamment l’impact d’internet et des réseaux sociaux sur la capacité de mobilisation et d’information, car ces technologies donnent accès à des sources d’informations alternatives aux médias traditionnels, contrôlés par le BN, ce qui facilite l’organisation des mouvements militants. L’un des mouvements le plus caractéristique de la montée de l’opposition est Bersih. Crée en 2005 par les partis d’opposition malaisiens, il organise une première manifestation en 2007 qui, malgré la répression des forces de police, est considérée comme un succès. Depuis, d’autres manifestations se sont tenues, regroupant à chaque fois plus de personnes, de toutes ethnies et de tout âge différent [9]. La plus récente a eu lieu en 2015, et est venue rappeler au gouvernement de Najib Razak qu’une grande partie du peuple malaisien aspire à un gouvernement transparent, désigné de manière démocratique et revendique le droit de pouvoir s’exprimer librement

Si son système actuel a permis à la Malaisie de se moderniser et de bénéficier d’une importante croissance économique, la montée actuelle de l’opposition nous dévoile ses limites. Cette dernière témoigne d’un besoin de changement croissant au sein du peuple malaisien, qui pourrait se traduire par une première alternance politique dans le pays à l’issue des prochaines élections.

 

Bibliographie

[1] Boniface, Pascal. 2016. « La lutte contre la corruption, nouveau paradigme des relations internationales. », Revue internationale et stratégique n° 101, p. 75-81

[ 2; 3; 4] Lafaye de Micheaux, Elsa. 2014.« Aux origines de l’émergence malaisienne : la Nouvelle politique économique, 1971-1990 », Revue Tiers Monde n° 219, p. 97-117.

[5] Bouchaud, Jérôme. 2010. La Malaisie. Genève : Editions Olizane

[6 ; 7 ; 8 ; 9] Kee Beng, Ooi. 2012. « Malaisie: la renaissance de l’activisme social » dans Alternatives Sud. vol.19, p.57-64

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