Birmanie : l’impossible transition démocratique ?

Par Vivien Cottereau

Les récentes évolutions qu’a connues la scène politique birmane ouvrent de nouvelles perspectives pour ce pays et sa population, composée d’une multitude d’ethnies différentes. Carrefour entre l’Inde et l’Asie du Sud-Est, la Birmanie se trouvait depuis 1962 sous un régime de junte militaire qui, sous les effets combinés de la montée de l’opposition et des nombreuses sanctions internationales, n’a eu d’autre choix que de mettre en place un processus de démocratisation. Après avoir permis dans un premier temps la mise en place d’un gouvernement civil en 2011, strictement encadrée par l’armée [1], ce dernier a abouti lors des élections législatives de 2015, qui ont été remportées par la Ligue national pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la paix en 1991. Pour la première fois depuis l’instauration du régime militaire par le général Ne Win, un gouvernement civil et démocratiquement élu accédait au pouvoir. Révélatrice d’un désir d’ouverture de la société birmane, cette victoire est une avancée majeure, mais de nombreux défis, sur lesquels nous nous attarderons, se dressent encore sur la route de la démocratisation birmane.

Fille du général Aung San, acteur majeur de l’indépendance birmane, qui fut assassiné en 1947, et égérie de l’opposition pro-démocratique depuis le soulèvement populaire de 1988 [2], Aung San Suu Kyi est aujourd’hui à la tête de la Birmanie, après avoir été longtemps assignée à résidence par les militaires et écartée du pouvoir. S’il s’agit d’une revanche exceptionnelle pour elle, qui avait été spoliée de sa victoire par les militaires lors des élections de 1990 [3], cette récente évolution de la scène politique du pays, bien qu’encourageante, doit toutefois être envisagée comme le résultat d’une transition accordée par le haut, l’institution militaire [4], dans le but de légitimer le maintien de leur rôle politique. En effet, les termes de la transition démocratique ont été dictés par l’armée [5], lors de l’annonce d’une feuille de route vers une « démocratie florissante et disciplinée » en 2003.

                                Aung San Suu Kyi après sa victoire

Le rôle central dont dispose encore aujourd’hui l’armée dans le système politique birman témoigne de la dynamique particulière qu’a connue cette transition. En adoptant une nouvelle Constitution en 2008, conformément à leur feuille de route, les militaires se sont offerts certaines garanties, et se sont assurés de pouvoir bloquer toute tentative de changement majeur du système politique. Ainsi, un quart des sièges au Parlement leurs sont réservés. Cette Constitution leur permet également de conserver la mainmise sur certains secteurs cruciaux de la gestion économique et administrative du pays, en leur attribuant la gestion exclusive des ministères de la défense, de la sécurité intérieure et des affaires transfrontalières. Afin de dégager le pays de l’emprise des militaires, qui se considèrent comme étant les garants de l’unité nationale birmane [6], le nouveau gouvernement civil devra entreprendre des réformes de l’armée, afin de la professionnaliser, de la moderniser et de la tenir à l’écart du domaine politique. Néanmoins, cette tâche risque de s’avérer délicate et de prendre du temps. Au fil des ans, l’armée a en effet acquis différents intérêts, notamment économiques, tout en mettant en place ses propres réseaux de loyauté [7]. Elle est ainsi devenue « un vivier de corruption et de clientélisme dont la dissolution va se révéler infiniment ardue » [8].

La Birmanie fait face à d’autres problèmes qui ne pourront être résolus par la seule démocratisation du pays. L’un des plus importants d’entre eux est probablement la gestion des rivalités existant entre les différentes ethnies. En effet, depuis son indépendance en 1948, la Birmanie est le théâtre de nombreux conflits ethniques qui auraient fait entre cent mille et trois cent mille victimes en six décennies [9] dans les régions frontalières du pays. La situation des Rohingya, qualifiée de « minorité la plus persécutée du monde » par les Nations-Unies, est particulièrement préoccupante. Pourtant, le gouvernement civil a une perspective d’action assez réduite sur cette question, qui relève de la compétence de l’armée selon la Constitution de 2008. Afin de voir se profiler une résolution de ces conflits, une des solutions possibles serait que les militaires consentent à réviser leur Constitution pour accorder de réelles garanties aux différentes minorités ethniques. Un autre défi majeur auquel est confronté la LND est la faiblesse de l’État de droit birman. Malgré des réformes débutées sous le gouvernement de transition, de nombreuses lois discrétionnaires mises en place par la junte militaire sont encore en vigueur. Disposant de la majorité, la LND pourra normalement faire annuler ces lois, à moins que l’armée ne les considère comme relevant de sa seule compétence.

Les changements majeurs que connaît la Birmanie ont également eu des conséquences sur ses relations avec la communauté internationale. Alors que la junte maintenait des liens forts avec Pékin, le processus d’ouverture du régime s’est accompagné de la levée des sanctions internationales à son égard, et a permis au pays de se voir confier la présidence tournante de l’ASEAN en 2014. L’ouverture à l’internationale de ce pays, malgré les difficultés auxquelles il est confronté, devrait lui permettre de saisir de nouvelles opportunités de développement dans les années à venir.

 

Bibliographie

[1] Mottet, Eric. 2015. « Birmanie : Des contestations violentes contre la politique minière sino-birmane » Monde Chinois, n°41, p.133-135

[2 ; 4 ; 5 ; 7] Egreteau, Renaud. 2012. « Birmanie : la transition octroyée » dans Etudes, vol. 416, p. 295-305

[3] Astié, Pierre. 2016. « Repères étrangers », Pouvoirs, n°57, p. 127-145

[6 ; 8] Egreteau, Renaud, 2015. « Birmanie : la démocratisation reste sous tutelle », Le Monde, 10 novembre

[9] Egreteau, Renaud. 2008. « Les milices de Birmanie, entre insurrections et maintien de l’ordre », dans Laurent Gayer et al. Milices armées d’Asie du Sud, Paris : Presses de Sciences Po

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