L’étatisation de la société civile vietnamienne

                                                                                                              Representing transitioning urban space in Vietnam-3                    

                                                                                                                                   Par James Boyard

La société civile est définie par J-L. Quermonne[1] comme l’ensemble des rapports interindividuels, des structures familiales, sociales, économiques (…) qui se déploient dans une société donnée, en dehors du cadre et de l’intervention de l’Etat. Hadenius et Uggla[2] ne sont pas loin de cette définition, lorsqu’ils soutiennent que les organisations civiles devraient présenter, comme qualités : être autonomes et indépendantes du secteur public ; participer au renforcement du tissu associatif ; contribuer à l’intégration des personnes ; et rechercher l’affiliation horizontale (…). Ces critères de définition ont le mérite non seulement de mettre en relief la diversité des champs d’action de la société civile, mais aussi de consacrer l’autonomie qu’elle se doit de prévaloir face aux pouvoirs publics. Cependant, parlant de la société civile vietnamienne, l’autoritarisme de l’Etat et les obstacles juridico-administratifs auxquels elle fait fait face semblent l’exposer à une dynamique d’assimilation étatique qui dénature son idéologie et réduise son autonomie.

Même si l’histoire de la société civile au Vietnam trouve ses racines dans la période féodale, qui voyait émerger, sur la base d’actions individuelles, des modèles d’auto-organisation des villages, appelés « phuong » ou « hoi [3]», les mouvances contestataires ne commencèrent à s’affirmer que sous la domination coloniale française. En effet, à partir des mouvements de protestation sociale entre 1936 et 1939, la population vietnamienne porta les débats sur les droits à l’autodétermination sur la place publique. Ainsi, même en étant encore embryonnaire, la société civile vietnamienne (composée à l’époque d’intellectuels, de paysans, de travailleurs et des membres des sociétés secrètes), apporta les bases sociales et le soutien logistique nécessaires au succès de la rébellion menée par les patriotes vietnamiens et les membres du Parti communiste indochinois. A partir de cette expérience militante triomphante, on pouvait légitimement penser que la société civile du Vietnam dispose d’atouts solides pour affronter les obstacles liés à la construction de l’Etat-nation. Pourtant, il n’en était rien. Pour cause, conformément à la doctrine orthodoxe du socialisme, consacrée plus tard dans la Constitution[4], « l’Etat demeure le seul représentant légitime du peuple ». Sur cette base idéologique, que nous qualifierons de « stato-centriste », les organisations de la société civile vietnamienne héritées de la tradition d’auto-organisation des communautés locales et plus particulièrement de la mouvance nationaliste de l’époque coloniale française ont été détruites ou assimilées par le Parti communiste[5].

En effet, dans le cadre d’une stratégie de contrôle et d’encadrement juridico-idéologique mis en place par le gouvernement, les mouvements associatifs vietnamiens ont fini avec le temps par perdre le monopole de l’action collective et la maitrise même de leur but. Même si au début de l’instauration du pouvoir communiste, certaines organisations, dont le mouvement « Nhan van-Giai pham[6] » avaient tenté d’offrir une certaine résistance face aux velléités antidémocratiques du pouvoir, aucune des associations contestataires n’a pu réussir à survivre face à la persécution politique. Ainsi, vu que le Parti communiste continu depuis cette période à considérer les mouvements associatifs avec suspicion[7], la société civile vietnamienne fera l’objet d’une triple stratégie minutieusement mise en place par l’Etat afin d’assurer son contrôle. Nous qualifierons ici la première de « dédoublement fonctionnel », la deuxième de « manipulation législative » et la troisième de « partenariat mixte orienté ».

Dans le cadre de la stratégie de « dédoublement fonctionnel », le gouvernement vietnamien va prendre lui-même l’initiative de la création d’un ensemble d’organisations de base, destinées à mettre en place l’action de l’Etat au niveau local et dans certains domaines, relatifs à l’environnement ou à la jeunesse. C’est le cas des Conseils populaires qui sont des assemblées politiques locales, souvent dirigées et encadrées par le Parti ou des organisations de quartier dirigés par les Cellules locales du Parti. L’ensemble de ces associations que nous sommes forcés (personnellement) d’appeler, « Organisations Civiles Gouvernementales (OCG) » permet justement à l’Etat d’associer des groupes sociaux à la gouvernance locale, tout en inscrivant leur action dans un cadre étatique. Toutefois, l’objectif premier ayant motivé la multiplication de ces formes d’associations est moins l’altruisme gouvernemental, que le souci de plaire aux agences de coopération internationale, favorables à la participation du public dans la gouvernance urbaine[8] et l’intérêt pour le gouvernement de bénéficier, (via ces associations), de l’aide occidentale destinée à la coopération avec les ONG locales[9].

En outre, pour ce qui est de la stratégie de « manipulation législative orientée », l’appareil politico-législatif du Vietnam va conjuguer leurs efforts pour instituer un ensemble de procédures juridico-règlementaires, visant à freiner la capacité de mobilisation des mouvements associatifs sur le terrain. Parmi ces textes normatifs manipulatoires, on distingue, l’article 4 de la Constitution qui stipule que le Parti communiste est la seule force ayant la competence de diriger la société, le Décret No. 93/2009/ND-CO du Premier Ministre, visant à restreindre les possibilités pour les ONG de bénéficier du financement international et le Décret 97/2009, relatif à l’interdiction faite aux associations privées de prendre part à des recherches dans les domaines publics jugés sensibles.

Par ailleurs, le «partenariat mixte orienté » permet au gouvernement vietnamien de chercher à « étatiser » certains mouvements associatifs, en les infiltrant, par le biais d’imposition de liens structurels avec le Parti-Etat et d’octroi de financement ou d’avantages opérationnels. C’est justement ces mécanismes gouvernementaux mis en place pour contrôler l’idéologie et la culture de la société civile qui sont présentés par Thiem comme des « stratégies de cooptation[10] ». L’objectif ici pour le gouvernement vietnamien dans l’aménagement de ce cadre de partenariat est d’accepter de conduire l’économie de marché et de partager les défis du développement avec la société civile, tout en garantissant la primauté de l’idéologie du Parti-Etat au sein de ces associations et le contrôle de l’Etat sur les agendas des actions collectives.

Evidemment, la mise en place de ces trois stratégies de contrôle n’a pas empêché la création d’une multitude d’associations privées, conduisant des actions, allant souvent à l’encontre de la volonté du Parti. La multiplication de ces mouvements associatifs indépendants a été surtout favorisée à partir de 1997 par l’arrivée de l’Internet, provoquant ainsi, l’émergence d’un nouveau type de militantisme, alimenté par les forums sociaux[11]. Aussi, malgré que le gouvernement associe les activités de certains blogueurs à des intérêts étrangers hostiles et tente plusieurs fois d’adopter des mesures préventives et répressives contre les activités cybernétiques dissidentes, l’Internet a continué de dynamiser le rôle de la société civile, notamment dans le domaine de la gouvernance environnementale. Le scandale environnemental de « Vedan » rendu public en 2009 grâce aux forums sociaux[12] a permis à la société civile d’influer sur la politique environnementale du gouvernement. Ceci atteste justement du poids de l’Internet dans la stratégie d’autonomisation de la société civile vietnamienne.    

Au final, il ne serait certainement pas exagéré de conclure, à l’instar de Phuong[13] et Gillepsie[14] que l’environnement politique au Vietnam est le moins favorable au développement d’une société civile autonome en Asie du Sud-Est. L’institutionnalisation par le Parti communiste, des trois stratégies de contrôle de la société civile, n’affecte pas seulement leur dimension « quantitative », mais aussi leur nature « qualitative », en les détournant de leurs véritables objectifs sociaux. Pourtant, sans vouloir cultiver un optimisme aveugle, nous devons aussi admettre que les opportunités de mobilisation offertes par l’internet, la démocratisation en 2001du Code civil, consacrant la protection du citoyen contre la persécution de l’Etat et l’émergence de journaux non gouvernementaux, sont autant de facteurs qui doivent permettre d’espérer dans l’avenir de la société civile vietnamienne.

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Références bibliographiques

[1] Encyclopédie de l’AGORA, «  « Société civile » définition. http://agora.qc.ca/dossiers/Societe_civile. p. 141, le 14 juin 2016.

[2] Axel Hadenius et Frederick Uggla. 1998. « Modeler la société civile », in Bernard Amanda, Helmich Henry et Lehning Percy B. dir. La société civile et le développement international, Paris : Centre Nord-Sud et OCDE. pp. 79-98.

[3] Hai Bui Thiem. 2012. « Vietnam : rapports entre société civile et parti-Etat dans le post-Doi Moi », Alternatives Sud, 19 (no 73) : p. 74.

[4] Vietnamese Constitution 1992, arts. 4, 9, 11, 10, 12, 119 à 125 (amended 2002).

[5] Ibidem. p. 74.

[6] Idem

[7] Duy Luan Trinh. 1998. Conférence publique. Université de Montréal.

[8] René Parenteau et Nguyen Quoc Thong. 2004. Le rôle de la société civile dans la gestion environnementale urbaine (Viêt-Nam). Hanoi : Université d’Architecture d’Hanoi. pp.3-7.

[9] Steven Sampson. 1996. « The Social Life of Projetcs : Importing Civil Society to Albania », in Hann Chris and Dunn Elizabeth. dir. Civil Society : Challenging Western Models, London and New York : Routledge. pp. 121-142.

[10] Hai Bui Thiem. 2012. « Vietnam : rapports entre société civile et parti-Etat dans le post-Doi Moi », Alternatives Sud, 19 (no 73) : pp. 74-75.

[11] John Kleinen. 2015. Vietnam : One-Party State and the mimicry of Civil Society. Bangkok: Research Institute on Contemporary Southeast Asia (IRASEC). pp. 89-92.

[12] Idem. p. 77.

[13] Phuong L. 1994. Societe civile : de la suppression à la restauration. Canbera : Australian National University. pp. 73-79.

[14] John Gillespie. 2008. Localizing Global Rules : Public Participation in Lawmaking in Vietnam. Law &Social Inquiry. 33 (no. 3). pp. 673-707.

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