Déplacement de population au Cambodge : quelles conséquences pour les femmes ?

Par Clara Leroy

En 1975, 30 % de la population cambodgienne vivait en ville. Mais entre 1975 et 1979, l’arrivée des Khmers Rouges  au pouvoir force près de 2 millions de citadins à se déplacer vers la campagne. Des politiques de collectivisation de l’agriculture vont alors détruire les forêts pour les remplacer par des champs, et 10 000 personnes vont périr dans cette évacuation1. Aujourd’hui, le Cambodge demeure majoritairement rural avec 80% de foyers vivant en campagne. Le pays fait face depuis les 20 dernières années à une politique d’accaparement des terres, qui entraîne à nouveau une vague massive de déplacement : plus de 85 000 personnes ont dû migrer. À ce phénomène s’ajoute celui, récent, des déplacements liés au changement climatique. En quoi ces deux problèmes ont des conséquences plus particulièrement pour les femmes ?

Déplacement de population au Cambodge

L’accaparement des terres au Cambodge

On parle d’’accaparement des terres lorsqu’un État ou une entreprise privée s’approprie un terrain pour des fins écologiques (on parle alors d’accaparement vert) ou des fins économiques. Dans le cas du Cambodge, ce phénomène est encouragé par l’état qui veut augmenter les exportations et exploiter les ressources naturelles, et ce dans un but de développement économique2. Mais cela a a entraîne des effets désastreux sur la sécurité, la santé et les conditions de vie des cambodgien-nes. Depuis 2000, on estime à environs 700 000 le nombre de personnes affectées négativement par ces « concessions foncières économiques », et 45 % des terres au Cambodge sont actuellement vendues ou louées à des entreprises3.

Le droit de propriété est pourtant essentiel dans un pays où l’agriculture est la principale source de revenus. Mais malgré les lois internationales et nationales qui protègent ce droit (il est inscrit dans la constitution du Cambodge), celui-ci est constamment violé en raison du manque de volonté politique, de la corruption et des intérêts que l’État retire du statu quo.

Des conséquences écologiques et humaines importantes

Cet accaparement des terres a un coût écologique important : la privatisation des terrains rend hors de contrôle la destruction de l’écosystème et la surexploitation des ressources naturelles4. De plus, l’utilisation massive de produits toxiques et leur déversement dans les rivières alentours provoquent des empoisonnements réguliers. Plusieurs régions souffrent ainsi de difficultés d’accès à l’eau potable.

De surcroît, le coût pour les femmes est également très élevé. D’abord, même si la constitution leur assure des droits égaux à ceux des hommes concernant la loi foncière, elles font face en réalité à un traitement différent : peu d’entre elles parviennent à faire reconnaître leurs titres de propriété5. Cela tient du fait que beaucoup sont illettrées (elles n’ont pas eu d’accès à l’éducation) et ne connaissent pas leurs droits.

Par ailleurs, une fois déplacées de force dans un nouveau lieu, elles se retrouvent sans terre pour cultiver et nourrir leur famille, responsabilité qui traditionnellement leur revient. Elles sont également en charge de chercher de l’eau, ce qui est devenu difficile comme on l’a vu. Elles finissent alors parfois par s’endetter et par ne plus pouvoir payer des services de base.

Le déplacement lié au changement climatique

Le Cambodge, selon une étude menée par l’Union européenne en 2012, fait face à de nombreux changements climatiques qui mettent en danger son écosystème et sa population.

62 % des cambodgiens auraient expérimentés un désastre écologique entre 2001 et 2005, et 34 % des personnes interrogées reportaient une augmentation de la sécheresse. De plus, selon une étude de la BBC, 74 % des fermiers interrogés disent avoir été affecté négativement par des inondations répétées, de la sécheresse, des pluies et des crues violentes, et des changements brutaux de température6.

Avec la multiplication de ces changements climatiques, de plus en plus de foyers perçoivent le mode de vie agricole comme étant risqué et imprévisible. La majorité des agriculteurs-trices ont du se mettre à cumuler plusieurs petits emplois pour réduire leurs chances de tout perdre7.

De plus en plus de foyers prennent la décision de partir, soit vers la ville la plus proche, soit vers la Thaïlande. Selon un rapport norvégien de 2015, on estime à 154 900 le nombre de personnes déplacées en raison du changement climatique au Cambodge8, ce qui le place parmi les 14 pays les plus touchés par ce phénomène dans le monde.

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Inondations dans les champs au Nord-Est du Cambodge

Quels répercutions pour les femmes ?

La plupart du temps, lors de ces déplacements liés au changement climatique, ce sont les hommes qui partent en ville ou dans un autre pays, laissant les femmes se charger de la ferme et des enfants. Or, leur condition auparavant était déjà difficile : elles assument traditionnellement le travail dans les champs, s’occupent de l’élevage des bêtes, vont chercher l’eau et les produits non-ligneux dans la forêt. Et à cela s’ajoute le travail domestique, et parfois celui de « médecin »9. Une fois leur mari parti, elles doivent alors ajouter à cela la gestion de la pêche et de la découpe du bois. Cela créé alors des situations quasi-intenables qui mettent leur santé physique et mentale en danger. Ainsi, dans les 20 % de foyers ou les femmes s’occupent seules de tout le travail, il fut observé une augmentation significative de la malnutrition, des fausses couches, de la mortalité infantile et des dépressions graves10.

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Agricultrices cambodgiennes dans les rizières

Le déplacement de population lié à l’accaparement des terres ou au changement climatique place donc les femmes dans une position plus vulnérable encore qu’à l’habitude. Leur santé et leur sécurité est menacée, car elles doivent assurer le travail de leur mari en plus du leurs.

 

1 Mc Ginn Colleen, 2013. « Every day is difficult for my body and my heart. » Forced evictions in Phnom Penh, Cambodia: Women’s narratives of risk and resilience, thèse de doctorat accessible par ProQuest Dissertations & Thèses, Colombia University, New york, page 26

2 Cambodia: Land in Conflict An Overview of the Land Situation, Cambodian Center for Human Rights report, 2013, page 3

3 Cambodia: Land in Conflict An Overview of the Land Situation, Cambodian Center for Human Rights report, 2013, page 4

4 Cambodia: Land in Conflict An Overview of the Land Situation, Cambodian Center for Human Rights report, 2013, page 37

5 Cambodia: Land in Conflict An Overview of the Land Situation, Cambodian Center for Human Rights report, 2013, page 34

6 Bylander, Maryann, 2015. Dépending on the sky : environmental distress, migration and coping in rural Cambodia, international organisation for migration, volume 53 (5) édition john wiley and son LTD, page 137

7 Bylander, Maryann, 2015. Dépending on the sky : environmental distress, migration and coping in rural Cambodia, international organisation for migration, volume 53 (5) édition john wiley and son LTD, page 126

8 Global estimates 2015, people displaced by disasters, international displacement monitoring centre, Norvegian refugee concil, page 2. http://www.internal-displacement.org/assets/library/Media/201507-globalEstimates-2015/20150713-global-estimates-2015-en-v1.pdf

9 Bourdier, F, 1998. Health, women and environment in a marginal region of north-eastern Cambodia. Geojournal, Volume 44, issue 2, page 142

10 Bourdier, F, 1998. Health, women and environment in a marginal region of north-eastern Cambodia. Geojournal, Volume 44, issue 2, page 143

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