Guerre de religion dans le Sud de la Thaïlande

Par Eugénie Charreton-Sanford

thailande4

En 1726, la région du Pattani* fut conquit par le Royaume bouddhiste du Siam de la Malaisie Britannique[1]. La région est alors séparée en plusieurs provinces et un contrôle direct est instauré par le gouvernement pour que le bouddhisme y soit appliqué, et non l’Islam, pour ainsi y assurer une unité sociale et politique. Malgré des rebellions incessantes, le Siam annexe finalement le Pattani, en 1902[2]. Suite à son annexion, approuvée par les Britanniques[3], la province du Pattani fut divisée en cinq provinces : le Satun, le Songkhla, le Yala, le Pattani et le Narathiwat. En 1909, le Traité anglo-siamois reconnaîtra l’autorité siamoise sur les provinces du nord du pays (Leroux, 1994, p.438). Cette date va permettre de donner naissance à un phénomène identitaire : les gens de l’ancienne grande province du Pattani vont se voir comme des Jawi (Leroux, 1994, p.438).

Suite à la révolution, où le Siam devint la Thaïlande en 1932, les choses commencèrent à se corser. En 1941, un décret royal est instauré pour essayer de renforcer l’identité nationale Thaïe que le gouvernement incite à mettre en place[4]. Ce décret a pour but d’éliminer les influences islamiques dans le sud du pays . En 1947, Haiji Sulong (dirigeant du Patani People’s Movement) fait une pétition pour faire une identité musulmane au même statut que celle thaïlandaise [5]. La pétition sera refusée, car selon le gouvernement, elle pourrait diviser le pays[6] et créer des conflits. Il fut arrêté et accusé de haute trahison (Leroux, 1994, p.438). Le 28 avril 1948, une confrontation de 36 heures entre la population pattanaise et la police thaïlandaise, qui est appelée maintenant «l’incident du Dusun Nyior», fit 400 morts musulmans et 30 morts policiers (Montesano & Jory, 2008, p.86). Cet évènement fut vu comme une entrave à l’auto-détermination pour le peuple musulman de Pattani, qui avait réussi à obtenir 250 000 signatures pour une nouvelle pétition pour l’ONU (Montesano & Jory, 2008, p.86). En 1975, un autre évènement se déroula à Narathiwat, où les forces thaïlandaises assassinèrent bon nombre de villageois sur le pont Koto (Montesano & Jory, 2008, p.86).

Comme nous pouvons le constater, les relations entre la classe dirigeante thaïe et les musulmans du sud ont toujours été teintées de frictions et menaient souvent à des conflits qui se résorbaient et qui revenaient, à travers le temps (Gallant, 1998, p.11). Plusieurs groupes de résistances armées ont pu voir le jour, dans ces années-là, comme le Gabungan Melayu Patani Raya (Gampar) en 1948, le Barison Revolusi Nasional (BRN) en 1960, le Barisan Nasional Pembebasan Patani (BNPP), en 1971, et plusieurs autres.

Cependant, les troubles séparatistes qui étaient dans le sud du pays sont devenus, de plus en plus, «le théâtre de violences sporadiques» (Bourrier, 2004, en ligne) contre les forces armées. Au fur et à mesure des années, ces problèmes se sont transformés en actions organisées et financées (Bourrier, 2004, en ligne).

Voilà pourquoi l’insurrection musulmane commença «réellement» en 2004, car une loi martiale fut adoptée pour lutter contre les insurgés dans le cadre de la guerre contre le terrorisme. Puisque la frontière entre la Malaisie et la Thaïlande est un point de passage quotidien et quasiment sans contrôle, ce qui fait que «certaines personnes» ont su profité de «cette frontière passoire et de la complicité de la communauté musulmane locale» (Bourrier, 2004, en ligne).

Depuis 2004, les 5 provinces sud thaïlandaise (le Satun, le Songkhla, le Yala, le Pattani et le Narathiwat) qui regroupent 4,6% des musulmans que compte le pays [7], provoquent des violences pour semer la bagarre entre les communautés musulmanes et bouddhistes (Bourrier, 2004, en ligne).

Ainsi depuis l’insurrection, près de 6 100 personnes, en majorité des civils, ont été tuées[8] et nous pouvons remarquer que «les insurgés musulmans, s’en prennent aussi bien aux bouddhistes qu’aux musulmans[9]» et «se rebellent contre se qu’ils vivent comme une discrimination à l’encontre de la population d’ethnie malaise et de religion musulmane dans un pays essentiellement bouddhiste[10]».

thailande2

Pour le gouvernement thaïlandais, la crise actuelle est très préoccupante, puisqu’il y a un renforcement des séparatistes grâce aux soutiens financiers de quelques réseaux terroristes implantés dans le sud-est asiatique, dont certains ont des racines en Malaisie (Bourrier, 2004, en ligne). Pour le gouvernement, ceci pourrait mettre en péril cette «unité thaïe» tant prisée.

Il ne faut pas oublier que le gouvernement thaïlandais a essayé d’avoir des négociations de paix. Il y en a qui furent entamées en 2013, mais elles ont été entravées par la crise politique qui secouait le royaume[11]. Plusieurs ont vu ces négociations comme une ouverture, un respect de la part du gouvernement pour la religion musulmane (Malovic, 2013, en ligne).

Finalement, c’est à se demander à qui est la faute dans toute cette affaire. Y a-t-il une réelle responsabilité de la Thaïlande, qui a refusé de céder une partie de son territoire pour l’auto-détermination du peuple de Pattani, ou plutôt du peuple musulman du sud de la Thaïlande, qui aurait du tout faire sauf s’associer à des groupes terroristes et ainsi tuer des gens sans aucune discrimination ?

*«L’orthographe de Patani constitue à elle seule un choix politique : le nom est d’origine malaise et s’écrit donc avec un seul «t». Mais en thaïlandais une consonne suivie et précédée de voyelles est doublée. Écrire Pattani au lieu de Patani revient en fait à se placer pour ou contre l’hégémonie siamoise» (Leroux, 1994, p.435). Cependant, j’ai choisi d’écrire avec deux «tt» pour faire la différence entre la province et entre les groupes de libération.

[1] Thailand : conflict profile, #0, en ligne.
[2] Thailand : conflict profile, #1, en ligne.
[3] Thailand : conflict profile, #3, en ligne.
[4] Thailand : conflict profile, #9, en ligne.
[5] idem
[6] Thailand : conflict profile, #16, en ligne.
[7] Les religions en Thaïlande et l’importance du bouddhisme, en ligne.
[8] La Thaïlande: une bombe fait trois morts dans le sud du pays, en ligne.
[9] idem
[10] idem
[11] idem

Bibliographie

[S.A.]. La Thaïlande: une bombe fait trois morts dans le sud du pays, 2014, [En ligne], <http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2014/07/25/thailande-une-bombe-fait-trois-morts-dans-le-sud-du-pays_4462948_3216.html>, (page consultée le 17 novembre 2014)

[S.A.]. Les religions en Thaïlande et l’importance du bouddhisme, [En ligne], <http://www.comprendrebouddhisme.com/pays-bouddhistes/thailande/religions-thailande.html>, (page consultée le 17 novembre 2014)

[S.A.]. Thailand : conflict profile, [En ligne], <http://www.insightonconflict.org/conflicts/thailand/conflict-profile/#0>, (page consultée le 17 novembre 2014)

[S.A.]. Thailand : conflict profile, [En ligne], <http://www.insightonconflict.org/conflicts/thailand/conflict-profile/#1>, (page consultée le 17 novembre 2014)

[S.A.]. Thailand : conflict profile, [En ligne], <http://www.insightonconflict.org/conflicts/thailand/conflict-profile/#3>, (page consultée le 17 novembre 2014)

[S.A.]. Thailand : conflict profile, [En ligne], <http://www.insightonconflict.org/conflicts/thailand/conflict-profile/#9>, (page consultée le 17 novembre 2014)

[S.A.]. Thailand : conflict profile, [En ligne], <http://www.insightonconflict.org/conflicts/thailand/conflict-profile/#16>, (page consultée le 17 novembre 2014)
BOURRIER, Any. Thaïlande : le sud musulman sous le choc, 2004,[En ligne], <http://www1.rfi.fr/actufr/articles/050/article_26444.asp>, (page consultée le 17 novembre 2014)

GALLANT, Xavier. Histoire de la Thaïlande, Que sais-je?, Paris, 1998, p.11

LEEROUX, Pierre. Le paradoxe identitaire des Jawi de Thaïlande ou l’ethnonyme d’une transition, Cahier des Sciences Humaines, Volume 30 (3), 1994, p.435, 438

MALOVIC, Dorian. En Thaïlande, le conflit du sud musulman tend à s’apaiser, 2013, [En ligne], <http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/En-Thailande-le-conflit-du-sud-musulman-tend-a-s-apaiser-2013-07-16-987014>, (page consultée le 17 novembre 2014)

MONTESANO, Michael J. & JORY, Patrick. Thai South and Malay North: Ethnic Interactions on the Plurial Peninsula, NUS Press, 2008, p.86

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés