Philippines : le mouvement Moros, un échec politique pour l’État

Par Antoine Congost

Les Philippines, comme la plupart des pays de la région, abritent une population ethniquement variée. Mais vis-à-vis de l’inclusion politique et sociale, ce sont, en plus des minorités ethniques, les minorités religieuses, et tout particulièrement les 5% de musulmans1, qu’il faut observer. En effet, face à l’immense majorité (80,9%) de catholiques, les musulmans peinent à se faire entendre et certaines communautés ont tendance à céder au repli communautaire, comme le montre l’exemple des indépendantistes Moros dans le sud du pays.


Les Moros sont un groupe ethnique originaire du sud du pays, dans la région du Bangsamoro. Ils ne sont pas chrétiens comme la plupart des Philippins, mais musulmans. Les spécificités culturelles Moros, surtout l’Islam, et leur position minoritaire font qu’ils se sentent marginalisés et pas assez pris en compte dans la vie politique. Ajoutons que malgré d’importantes ressources naturelles, ces territoires peuplés majoritairement de musulmans sont les plus pauvres du pays et manquent d’infrastructures sanitaires et électriques. D’où la formation et la politisation de plusieurs groupes d’opposition à partir des années 1960 : le Front national de libération moro (FNLM), le Front Islamique de Libération Nationale (FILN), et de nombreuses factions revendiquent tour à tour l’autonomie ou l’indépendance de la province musulmane du Mindanao. Le mouvement, sévèrement réprimé dans les années 1970, a depuis recours aux actions terroristes comme des attentats, des prises d’otage et une lutte armée de type guérilla pour se faire entendre. Les timides négociations initiées par le gouvernement sont souvent bloquées par le mouvement, preuve de l’échec d’une coo
ptation. Le phénomène est grave puisque depuis son origine, il a fait plus de 160 000 victimes2.

 

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Marche pacifique de la communauté musulmane dans le sud de Manille pour l’apaisement de la situation dans la province du Mindanao , en 2003

 Une des sources du problèmes serait les structures politiques et les réseaux de patronage sur lesquels repose le système électoral3 : ce patronage a souvent favorisé les régions majoritairement chrétiennes parlant le filipino, au détriment des autres. La constitution de 1987 a tenté d’enrayer cela avec une plus grande proportionnalité à la Chambre des députés. Pourtant, l’effet produit n’a pas servi la cause des minorités, puisque la Chambre a accueilli, notamment en 2001, une nouvelle génération d’élus réformistes et nationalistes, avec une préférence pour la culture et la langue philippine, peu intéressés par les questions de politique locale, comme le cas des Moros4. Avec le poids du danger insurrectionnel voire terroriste sur l’opinion publique, et le fait que les Moros sont minoritaires, la conjoncture électorale joue un rôle important. Mais c’est surtout la culture politique de ces jeunes loups qui tend à centraliser et moderniser le pays par le haut avec une uniformisation culturelle d’une part, surtout vis-à-vis de la langue et de la religion. Et administrative d’autre part, en laissant moins de place aux spécificités locales et en bloquant l’autonomisation politique des régions, comme le Mindanao5. Le pouvoir philippin est très centralisé, et peu de marge de manoeuvre est laissé aux localités. Ceci explique la pauvreté du Bangsamoro, relayée au rang de périphérie de Manille, et à la frustration des Moros dont la visibilité politique est faible. Le manque de dialogue et de main tendue par le pouvoir central en direction des groupes terroristes est également symptomatique de l’influence qu’ont les Etats-Unis dans le pays6, surtout depuis le 11 septembre 2001. En effet, même s’ils ne sont plus présents de façon permanente sur le territoire philippin, leurs bases aéro-navales étant aujourd’hui fermées, les Américains renforcent leur présence et leur coopération avec les autorités philippines. De nouveaux accords de défense ont d’ailleurs été conclus cette année7. Or, la doctrine américaine vis-à-vis du terrorisme est un ferme refus de toute négociation. Une positionnement dont s’inspire donc le gouvernement philippin. Le gouvernement philippin a aussi maladroitement tenté d’unifier le pays et d’inclure les multiples minorités ethniques et linguistiques autour d’une langue commune imposée, dans l’éducation notamment. Le filipino et surtout l’anglais sont mis en avant pour n’avantager aucun groupe et donner un tremplin vers les insitutions politiques. Mais les Moros sont une ethnie multilingue, et l’effacement de ces spécificités linguistiques a mené à un repli identitaire renforcé, et n’a pas participé à améliorer l’écoute de leurs revendications par le gouvernement.


On observe quand même des avancées. Par exemple, même s’ils sont à chaque fois brisés, des cessez-le-feu ont déjà été négociés, le dernier datant du début des années 1990. D’autre part, la rencontre du président philippin, Benigno Aquino, et du chef du FMIL, Mourad Ebrahim, en 2012 a débouché sur de nouvelles concessions de l’État philippin en faveur des indépendantistes, tout en fixant des limites : le code civil de la nouvelle entité autonome Bangsamoro fonctionnera en adéquation avec la charia, alors que le code pénal demeurera identique. De plus, certes en s’assurant de l’intégrité territoriale, politique et sociale du pays, la constitution de 1987 prévoit une autonomisation progressive de la province de Mindanao. Pourtant, la bataille de Zamboanga en 2013, au cours de laquelle les forces du FMLN, opposés à ces négociations de paix, ont enlevé plus de 200 otages, montre que dans le conflit comme la négociation, la force politique des rebelles moros est réelle et problématique pour la paix. On voit bien là l’échec de l’approche du gouvernement central : l’autonomie complète de la région se précise de plus en plus, mais au détriment de l’unité nationale et d’une réelle implication politique des Moros dans la vie politique philippine.

Références

3 Wurfel, David, 2004. “Democracy, Nationalism, and Ethnic Identity : the Philippines and East Timor Compared”, dans Democratization and Identity, Lexington Books.

4 Ibid.

5 S. Tuminez, Astrid. « Neither Sovereignty Nor Autonomy : Continuing Conflict in the Southern Philippines ». Proceedings of the Annual Meeting (American Society of International Law), 2008 (Avril) : 122-125.

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