La religion en Birmanie: un couteau à double tranchant


Par Julie Perreault-Henry

Les textes sacrés de la plupart des religions à travers le monde se rapportent habituellement à des notions d’amour, de partage, d’altruisme, de tolérance, etc. Les hommes ont toutefois eu tendance à se détacher de leur essence première et de façonner leurs interprétations conformément à leurs intérêts. Des guerres, des massacres, le mépris de la différence, la corruption, le meurtre, l’assujettissement ont été justifiés au nom de grands principes religieux. Les religions sont des couteaux à double tranchant. D’une part, elles favorisent le développement des communautés et des services sociaux. D’un autre côté, elles peuvent servir d’outils à des acteurs désirant parachever leurs propres bénéfices. Ce scénario s’illustre en Birmanie. Le bouddhisme y est conçu comme un dispositif permettant d’atteindre les objectifs visés de certains groupes: certains moines l’utilisent comme levier de résistance à l’oppression du régime alors que la junte militaire s’en sert pour légitimer son pouvoir.

Les moines bouddhistes participent activement aux affaires sociales et politiques depuis longtemps en Birmanie. Que ce soit la construction de cliniques, d’écoles ou de systèmes d’irrigation (Graver, 2013), ils ont appuyé le développement d’innombrables projets. Lorsque le régime a considérablement augmenté les prix des biens courants et de l’essence en 2007, la population, dont un large pan de la communauté étudiante, s’est soulevé contre l’édiction de ces mesures jugées arbitraires. Les moines se sont joints aux protestations et se sont engagés dans la résistance. Leur grande participation aux démonstrations leur a valu la désignation des événements de 2007 de «révolution safran», en référence à la couleur de leurs habits. Ils ont affirmé prendre part au mouvement afin de servir les fondements bouddhistes. Ces derniers consistent à promouvoir l’amour, la gentillesse, la compassion (1), soit des principes pouvant être mis de l’avant par l’établissement d’un système démocratique. Ils dénoncent le régime en place qui favorise le déclin de la société se traduisant par la montée de la corruption, de la tyrannie, la violence, la haine et de l’avidité (2). Plusieurs affirment cependant que leur soudaine volonté contestataire est imputable à un raisonnement plus égoïste référant à leur survie. Les nouvelles mesures engagées par le gouvernement ont pour conséquence d’appauvrir la population qui assurent leur subsistance par ses donations. En demeure néanmoins qu’ils ont manifesté leurs mécontentements des agissements gouvernementaux par plusieurs moyens. Ils ont refusé les dons alimentaires du gouvernement, qui visaient à acheter leur silence politique. Ils ont donc tourné leurs bols de riz à l’envers, symbole de leur opposition. Ils ont par ailleurs affirmé que l’ignorance provoque la déchéance de la société, et que cette dernière pouvait être combattue par l’éducation. Ils ont donc offert des cours portant sur des acquis informatiques et des connaissances linguistiques de l’anglais dans leurs diverses librairies de la paix. La réponse du régime aux actions entreprises par la communauté bouddhiste s’est avérée brutale: des moines ont été sévèrement battus et leurs droits et libertés s’en sont retrouvés diminués.


Manifestation des moines en Birmanie lors de la révolution safran

La religion bouddhiste a par plusieurs occasions constitué un rempart contre la tyrannie. Elle a toutefois été, et demeure, un moyen d’exercer l’oppression. Suite à d’importants soulèvements étudiants perpétrés à l’encontre des abus du régime en 1988, la junte militaire a cherché à trouver de nouvelles bases légitimant son pouvoir politique. Dans les années 90, elle s’est efforcée de construire une identité nationale fondée sur le bouddhisme birman. Pour parvenir à ce but, elle a entrepris plusieurs dispositions visant la consolidation de l’institution religieuse: des monuments bouddhistes ont été construits partout à travers le pays, l’interprétation sainte du bouddhisme a été renforcée, une surveillance stricte des communautés laïques a été mise en place, les rituels religieux sont supervisés par les instances gouvernementales…(3). Ce qui s’écarte du modèle ‘type’ du citoyen bouddhiste birman est systématiquement rejeté et réprimé par la junte. Le régime militaire adopte donc une stratégie visant la désunion des différentes ethnies, entre autre religieuses, afin d’assurer ses assises politiques.

La fameuse tactique « diviser pour mieux» s’illustre parfaitement avec les exactions exercées contre une des minorités musulmanes du pays, les Rohingyas. Une campagne nationale anti-islamique surnommée le mouvement 969 est menée par Ashin Wirathu, un moine s’autoproclamant le « Ben Laden birman». On constate une effusion inquiétante d’adeptes en provenance de la communauté bouddhiste et de la population qui rejoignent le mouvement. Selon Human Rights Watch, les Rohingyas subissent toutes sortes de traitements dégradants tels que la stérilisation forcée, le refus d’accès aux soins, la destruction de leurs villages, des relocalisations dans des camps de rétention, de l’esclavage, des viols et des tortures sexuelles commis par des militaires, des pogroms et des arrestations arbitraires. Les responsables de ces actes affirment agir au nom de la protection du bouddhisme. Fort est de constater que les musulmans, formant 5% de la population (4), ne constituent pas une véritable menace. La junte, de son côté, malgré les réprimandes de son inaction par la communauté internationale, se contente d’observer silencieusement les massacres.


Des membres de la junte, lors d’une parade militaire à Naypyitaw, en mars 2007

La religion constitue un symbole fort auquel des peuples entiers peuvent adhérer. Celui qui la contrôle détient un pouvoir dangereusement puissant. Un peuple éduqué a les outils nécessaires pour détecter une propagande religieuse éloignée des véritables préceptes religieux. En Birmanie, la population n’a malheureusement pas cette chance: elle est nourrie par la désinformation et l’endoctrinement du régime depuis des décennies. Espérons que parmi la communauté monastique s’éveillera de nouveaux leaders véritablement prêts à mener un combat contre l’obscurantisme et le barbarisme.

(1) Gravers, Mikael. 2013. « Spiritual Politics, Political Religion, and Religion Freedom in Burma». The review of faith& International Affairs 11 (2) (06): 46-54

(2) Gravers, Mikael. 2013. « Spiritual Politics, Political Religion, and Religion Freedom in Burma». The review of faith& International Affairs 11 (2) (06): 46-54

(3) Schober, Juliane. 2008. «Communities of Interpretation in the Study of Religion in Burma». Journal of Southeast Asian Studies 392 (2) (06): 255-267

(4) Warda Mohamed. 2014.Des apatrides nommés Rohingyas. Dans monde diplomatique. En ligne. http://www.monde-diplomatique.fr/2014/11/MOHAMED/50923 (page consultée le 26 novembre 2014)


Bibliographie

Ansel, Sophie. 2013. Birmanie: la toute-puissance des moines devant une minorité musulmane désemparée. En ligne. http://www.saphirnews.com/Birmanie-la-toute-puissance-des-moines-devant-une-minorite-musulmane-desemparee_a17571.html (page consultée le 25 novembre 2014)

Desjourdy, Alain. 2007. «La révolution safran » au Myanmar : la crise politique fait ses premières victimes» Dans Perspective Monde. En ligne. http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=584 (page consultée le 24 novembre 2014)

Gravers, Mikael. 2013. « Spiritual Politics, Political Religion, and Religion Freedom in Burma». The review of faith& International Affairs 11 (2) (06): 46-54

Myanmar (Birmanie). 2012. En ligne. https://www.portesouvertes.fr/persecution-des-chretiens/profils-pays/birmanie_myanmar/ (page consultée le 25 novembre 2015)

Navarin, Marie. 2008. Les moines birmans sous la botte. En ligne. http://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/les-moines-birmans-sous-la-botte_569050.html (page consultée le 25 novembre 2014)

Schober, Juliane. 2008. «Communities of Interpretation in the Study of Religion in Burma». Journal of Southeast Asian Studies 392 (2) (06): 255-267

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