L’Indonésie: pour le meilleur et pour le pire

Par Claire Bigand

Le plus grand archipel du monde, comprenant 17 508 îles, s’étouffe sous la pollution. Vous avez bien deviné, on reconnait ici l’Indonésie, dont les mers représentent «l’épicentre d’une biodiversité unique» (Honorine 2013) et qui a participé en 2009 à la création d’une organisation internationale visant à protéger les ressources du Triangle corallien : CTI Coral Triangle Initiative . «Initiative très applaudie par les ONG écologistes» (Honorine 2013), le pays devra quand même redoubler d’efforts pour contrôler sa nature tout en gérant son libéralisme économique.

Pour commencer, «même s’il y a eu une libéralisation économique qui a augmenté la prospérité dans des endroits comme Bali, Batam et Jakarta, cela n’a pas aidé à réduire l’écart entre les riches et les pauvres» (Vickers 2013). L’indice de Gini se maintient toujours à 36, selon les données les plus récentes Voilà un premier fait qui vient illustrer la situation de précarité indonésienne et vise implicitement le problème de la corruption. Cette corruption fait en sorte qu’il est difficile de mettre en application les lois sur divers domaines en Indonésie, tel l’environnement, alors que plusieurs niveaux d’autorité se chevauchent. Les lois sont bonnes, voire justes (interdiction de toucher aux tourbières ou à des zones agricoles déjà faibles) mais il y a une désorganisation flagrante. Par exemple, une initiative a été menée en 2008 dans la ville de Jakartapour draguer tous ses canaux et régler les problèmes d’inondations, mais en contrepartie, rien n’interdit les citoyens de lancer allégrement leurs déchets dans les rivières avoisinantes. Les lois ne sont pas assez contraignantes et n’encadrent pas efficacement des situations complexes, comme le problème majeur de la déforestation. Des études «ont déjà estimé que sur les 53 millions de mètres cubes consommés par les usines indonésiennes, 40 millions provenaient de sources inconnues ou illégales» (Honorine 2013). Le déboisement illégal règne en maître depuis les problèmes de corruption après la chute du président Suarto et comment peut-on maintenir pression sur des kilomètres d’hectares avec une petite poignée d’hommes? «Le manque de moyens et de personnels» (Lepetit 2014) rend la tâche assurément très compliquée.

L’Indonésie fait face, grosso modo, à un choix entre sa prospérité économique et la protection de son environnement. Après un important virage, le pays est le plus gros exportateur d’huile de palme avec la Malaisie et cet or liquide ne laisse personne indifférent : les fournisseurs, les compagnies privées et les compagnies étrangères se frottent les mains, tout comme les paysans qui peuvent «gagner jusqu’à sept fois plus qu’avec l’agriculture traditionnelle» (Honorine 2013). En éradiquant les forêts pour maintenir la cadence de la demande extérieure, l’Indonésie sacrifie les habitats naturels d’animaux qui sont pourtant la fierté de l’Asie : les éléphants nains de Bornéo, les tigres de Sumatra, et plusieurs autres. La triste réalité les confine à vivre dans des territoires restreints et pollués, sans compter que «78% des tigres sont tués par les braconniers»(TV5Monde 2010). Malgré ces bavures, l’Indonésie tient le coup en faisant preuve de beaucoup d’efforts.

D’abord, l’aide financière extérieure est un maillon important de la chaîne, ne serait-ce que la Norvège qui est prête à donner «un milliard de dollars pour aider l’Indonésie à protéger ses forêts» (Honorine 2013) suite à des négociations internationales. Ensuite, le mouvement écologiste qui a pris forme dans les années 80 est une grosse bouffée d’espoir. Les organisations non-gouvernementales comme Greenpeace, World Wildlife Found et le Forum indonésien sur l’environnements’entourent de la population locale activiste (universitaires, chercheurs, journalistes) pour contrecarrer les effets de la mondialisation, sur le plan de la pollution et de la déforestation bien sûr, mais aussi en ce qui concerne le réchauffement climatique.
D’ailleurs, «le président Yudhoyono est devenue une référence pour son volontarisme en la matière» (Konick 2012) avec son intention d’instaurer des énergies propres et renouvelables à long terme. Les solutions comme l’utilisation du procédé REDD+ de l’ONU afin de réduire les gaz à effet de serre (l’Indonésie est le 4ème pays le plus émetteur au monde) et le financement des agriculteurs qui utilisent les méthodes ancestrales plutôt que le déboisement sont à applaudir. Bien que l’État doive clairement moderniser son cheminement administratif, des victoires importantes et juridiques commencent doucement à émerger. On peut penser au gain du Forum indonésien sur l’environnement lorsque la Haute Cour administrative de Medan a décidé d’annuler «les décisions administratives qui avaient abouti à délivrer à la PT Kalista Alam le permis de faire une plantation de palmiers à huile d’une superficie de 1 605 hectares dans la forêt de tourbière de Rawa Tripa» (World Rainforest Movement 2012).

L’Indonésie s’est remarquablement rebâtie suite à la crise asiatique et comme plusieurs hommes d’affaires le disent, «notre succès date du début des années 2000, mais il s’est confirmé grâce à ces huit dernières années durant lesquelles nous avons bénéficié d’une stabilité politique inédite» (Perspective Monde 2013). D’un autre côté, «l’Indonésie a abattu en 2012 près de deux fois plus de forêt vierge que le Brésil considéré comme le plus grand destructeur au monde de cette forêt primaire» (La Presse 2014). Visiblement, le pays est doté d’un système normatif avec «une hiérarchie dynamique et statique à la fois» (Troper 1994) au sens que oui l’État est lié au droit, mais «qu’il ne s’identifie pas avec lui» (Troper 1994). Ainsi, il faudrait que l’Indonésie puisse définir par elle-même son droit et faire de l’environnement sa priorité, tout en s’attendant au meilleur…comme au pire.

Bibliographie

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Michel Troper, Pour une théorie juridique de l’État (Paris : Presse Universitaire de France, 1994).

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