Le Laos: la nouvelle cible

Par Maxime Marcotte-Bouthillier

En mai et juin 2013, une crise éclate dans la partie Sud du Laos alors que plusieurs villageois empoisonnés ont été hospitalisés après avoir consommé une des plus importantes sources alimentaire des régions rurales : les het pho, des champignons sauvages. Ceux-ci ont été affectés par des herbicides utilisés par une compagnie Vietnamienne dans le but d’éliminer l’herbe dans une nouvelle plantation de caoutchouc à proximité (G. Baird, 2014). Ces champignons font partie de ce que le gouvernement Laotien définit comme étant les « forêts dégradées » (« degraded forets »), terme volontairement ambigüe utilisé dans le jargon politique laotien qui a grandement aidé a facilité l’implantation de plantations de monoculture dans le pays, menant à plusieurs cas de de « contrôle des terres »[1] (land grabbing) au sein du pays par des multinationales étrangères (G. Baird, 2014). D’ailleurs, même si aucun gouvernement de la région de l’Asie du Sud-Est, ne permet le développement de plantation dans les terres recouvertes d’une abondante forêt naturelle, dans plusieurs pays (dont le Laos), celles-ci peuvent s’établir dans les terres ou forêts étiquetés comme étant« dégradées » (G. Baird, 2014).

Cette loi implantée est devenue un atout très lucratif et stratégique pour l’État laotien. En effet, déclarer une forêt comme étant « dégradée », ouvre les opportunités pour les agents gouvernementaux de mettre la main sur des loyers fonciers en orientant le développement des plantations en plus d’en faire la promotion. En effet, les secteurs publics et privés du pays n’ont pas encore assez de capitaux pour développer les ressources et deviennent donc dépendant des capitaux étrangers (Kenney-Lazar, 2012). Toutefois, comme nous l’avons vu avec l’exemple ci-haut, le développement et l’exploitation peut se faire au détriment de populations locales. En outre, si l’on prend le cas de la crise de 2013 expliqué plus haut, même si les dry dipterocarp forests sont devenues moins importantes économiquement que les semi-evergreen forests, la valeur des premières pour les villageois locaux est très haute étant donné que la production de champignon est beaucoup plus élevé dans les dry dipterocarpforests que dans les semi-evergreenforests (G. Baird, 2014). Ainsi, ces villageois qui ne payent pas beaucoup de taxes et qui ont peu d’influence politique (les villageois ruraux) ont tendance a bénéficié d’une façon spécifique de ces habitats, façon dont les investisseurs à grande-échelle avec un accès aux marchés mondiaux et un pouvoir politique ont très peu d’intérêt.

Il est aussi possible d’observer une forte tendance des investissements étrangers à se diriger vers le secteur agricole. En effet, si l’on regarde la Chine, près du tiers des investissements de celle-ci vers le Laos s’implante dans ce secteur dont le plus grand intérêt se trouve majoritairement autour de la production de plantations dommageables pour l’environnement (Onphandhdala et Suruga, 2013). On peut également y observer que la majorité des investisseurs chinois forment des contrats basés sur un modèle « 2+3 », c’est-à-dire que les villageois locaux fournissent terres et main-d’œuvre, alors que les investisseurs contribuent sur le capital, la technologie/technique et le marché (Onphandhdala et Suruga, 2013). Toutefois, quelques plantations telles les bananes et le tabac suivent un modèle « 1+4 », c’est-à-dire que les fermiers locaux ne fournissent seulement que la terre et les investisseurs s’approprient des permis de concession de la terre à partir des autorités provinciales ou du gouvernement central (Onphandhdala et Suruga, 2013). Ce qui fait perdre la possession de la terre aux autochtones au profit des intérêts économiques d’une certaine élite, allié avec les intérêts des firmes multinationales et guidé par les politiques d’État. De plus, même s’il est possible d’observer que les investissements chinois en région ont provoqué une baisse de la pauvreté (Onphandhdala et Suruga, 2013), cet enrichissement n’est pas équitablement réparti (Menon et Warr, 2013). Évidemment, le processus utilisé par le gouvernement invite beaucoup de corruption à s’installer augmentant ainsi les inégalités de revenus au sein de la population en région (Menon et Warr, 2013).

De plus, malgré les conséquences observés, le gouvernement Lao continue d’utiliser les terres du pays afin d’attirer l’assistance et les investissements étrangers. Plus précisément, les terres ont même été utilisées en tant qu’incitatif « additionnels » pour permettre d’acquérir des investissements dans un cadre purement politique. En effet, les Jeux Sud-Est Asiatiques de 2009 qui se tenaient au Laos, ont soulevés des questionnements quant à l’habilité du pays à fournir des logements et des installations efficaces vu la pauvreté du pays (High, 2010). Ainsi, un débat fût lancé autour de l’idée que la construction du stade pourrait être effectuée par un consortium Chinois en retour d’une concession de 50 ans pour développer des terres dans le That Luangà Vientiane (High, 2010). Le grand mécontentement populaire força toutefois les autorités laotiennes à se retirer. Néanmoins, il est possible d’observer que la proposition s’effectua quand même, toutefois les acteurs ont été différents. En effet, la construction des dortoirs des athlètes a été possible grâce aux fonds Vietnamiens, qui eux, ont reçus en échange 10 000 hectares de terres dans le sud du pays afin de développer des plantations pour le caoutchouc (High, 2010). Cet événement fait ressortir une logique plus large permettant de voir comment et de quelle façon les ressources sont offertes en échange de l’idée de développement du pays.

Il est donc possible de voir que l’exploitation des ressources naturelles du Laos par les firmes étrangères passe donc par un procédé politique, car les réponses à savoir qui obtiennent le droit sur les ressources et la responsabilité des coûts et des bénéfices de l’exploitation dépend de l’autorité politique. Aussi, cette exploitation, mais également la possibilité du profit qu’elle génère n’a pas seulement amené une hausse de la richesse dans certains endroits, mais plutôt des questionnements à savoir comment celle-ci sera distribuée. Mais surtout, d’autres interrogations peuvent être soulevées quant à la légitimité du processus de décision à savoir qui profite réellement de cette distribution et qui en sont les grands perdants.

[1] Voir le blogue : Contrôle des terres dans la sphère Sud-Est Asiatique

 

Bibliographie

BAIRD, Ian 2014 « Degraded forest, degraded land and the development of industrial tree plantations in Laos » Singapore Journal of Tropical Geography, 35: p. 328-344

HIGH, Holly 2010 « Laos: Crisis and Resource Contestation » Southeast Asian Affairs, Vol. 2010: p. 153-161

KENNEY-LAZAR, Miles 2012 « Plantation rubber, land grabbing and social-property transformation in Southern Laos »The Journal of Peasant Studies, 39: 3-4: p. 1017-1037

MENON, Jayantet WARR, Peter 2013 « The Lao Economy: Capitalizing on Natural Resource Exports » Asian Economic Policy Review, 8: p. 70-89

ONPHANHDALA, Phanhpakit et SURUGA, Terukazu 2013 « Chinese Outward FDI in Agriculture and Rural Development : Evidence from Northern Laos » GSICS Working Paper Series, 25: p. 1-23

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