L’intégration difficile des Chinois d’Indonésie.

Par Johanna Durget.

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« Je me sentais étrangère dans mon propre pays. Je me disais que je n’étais plus en Indonésie, encore moins à Jakarta. »

Ce sont les paroles d’Herlina, jeune fille d’origine chinoise qui s’est installée à ses 10 ans avec sa famille à Pontianak, ville située dans l’ouest de Bornéo et où la communauté chinoise est nombreuse . Elle décrit les évènements de 1998 en Indonésie où la haine envers le groupe minoritaire chinois connu des proportions presque irréelles.
Archipel composé de plus de 100 000 îles, l’Indonésie est le quinzième plus grand pays au monde avec des îles principales telles que Java, Sumatra, Bornéo, Célèbes, Moluques et Timor. Le pays est divisé administrativement en 30 provinces, « propinsi » en Indonésien et ne comprend pas de groupe majoritaire, ce qui explique la grande richesse de groupes minoritaires dans le pays. On peut regrouper cette diversité ethnique en trois grandes familles inégales : les Austronésiens, les Papous et les Chinois.
Les Chinois forment une ancienne et importante minorité en Indonésie, mais elle a été la cible de violentes attaques et discriminations depuis l’arrivée des Hollandais. D’un mouvement panchinois jusqu’aux émeutes de 1998, la minorité a connu une escalade de haine de la part des Indonésiens. Mais quelles en sont les raisons ?

Les ressentiments indonésiens se déclenchèrent avec l’arrivée des colons hollandais à Java à la fin du XVIème siècle, où des commerçants chinois étaient déjà installés et reconnus pour leurs qualités de travailleurs et d’entrepreneurs . On reprocha alors très vite à ceux-ci de s’être emparé du domaine commercial. La colonisation hollandaise accorda en quelque sorte une place privilégiée aux marchands chinois puisqu’ils assurèrent des activités que les colons même ne purent assurer, ce qui leur permit de prendre la place d’intermédiaires entre les occupants européens et la population indigène.
On les accusera ainsi de s’être enrichis sur le dos des « pauvres » et des « vrais » Indonésiens. Selon les Indonésiens, les Chinois représentent richesse, corruption et sentiment antinational . En effet, on ne leur pardonnera pas la coopération qu’une partie du groupe minoritaire chinois fera avec les Hollandais sous la colonisation, même si une minorité aura tout de même soutenu la jeune République.
Le ressentiment est tel que les Chinois seront détestés et non pas craints comme l’auront été les Hollandais. De la période coloniale à 1998, la diaspora chinoise sera touchée par des violences qui induiront la Chine à lancer un appel de protection aux Pays-Bas et en République d’Indonésie, mais sans guère de succès.

Sous la pression de tous ces évènements, une opposition se forme entre le mouvement nationaliste chinois et le mouvement nationaliste indonésien. Le « Sarekat Islam », premier mouvement nationaliste anti-néerlandais se créé en 1912 dans le but aussi de défendre les intérêts des Javanais contre la domination croissante des Chinois dans l’industrie du batik .
Néanmoins, il s’avère que des facteurs sociologiques et religieux séparent également ces deux identités. D’après les Indonésiens, les Chinois ne respectent pas les traditions « locales » et ne partagent pas la même religion puisqu’ils s’accordent à manger du porc contrairement aux Indonésiens musulmans. Quant aux Chinois, ils ne s’intègrent pas aux Indonésiens, ils conservent une identité bien spécifique, s’attachent à leur langue, culture et tradition. De surplus, les Indonésiens et en particulier les hommes d’affaires indonésiens forment des groupes anticommunistes, ce qui alimente d’avantage leur rejet envers les Chinois .

Indonésie Suharto
Photo : Suharto.

En 1965, l’armée déclenche une effroyable répression contre les membres et sympathisants du Parti Communiste Indonésien, le PKI, accusés d’avoir préparé une tentative de putsch. Le bilan en est effroyable, on estime entre 500 000 et 1 millions de morts. Un an après le massacre, Suharto prenait le pouvoir . Sa politique du « Nouvel Ordre » apparaît sciemment antichinoise, entre autre elle interdit toute expression de leur culture et les exclus de la vie politique.
Mais lorsque l’Indonésie fut touchée de plein fouet par la crise économique et qu’une « pression d’une effervescence populaire et étudiante commencée 6 mois plus tôt et d’injonctions de plus en plus menaçantes du Fonds Monétaire internationale ainsi que de l’exécutif américain » s’accumulent, le gouvernement s’empresse de mettre la faute sur les Chinois qui contrôlent la majorité du commerce en Indonésie.
Par conséquent, en période de crise, la réussite matérielle des Chinois exacerbe les jalousies et entraîne de violentes émeutes conduisant à la destruction de magasins et de commerces chinois.
En 2000, la diaspora retrouvera un semblant de normalité avec la présidence d’Abdurraham Wahid qui vient apaiser les politiques en réhabilitant tout élément auparavant interdit de la culture chinoise et nomme même un chinois ministre des finances.

À l’heure actuelle, « la situation chinoise n’a jamais été aussi positive que maintenant », déclare Benny Setiono, Président de l’Association des Chinois indonésiens, une ONG représentant cette communauté estimée à environ sept millions de personnes . Cette nouvelle génération d’Indonésiens d’origine chinoise domine toujours le monde du commerce et ne se sent dorénavant plus étrangère comme elle l’a été.
Pour preuve, le nouveau gouverneur de la capitale Jakarta est issu de la minorité chrétienne chinoise. Un tel événement est une première depuis 50 ans et ouvre alors peut-être la voix à une plus grande tolérance envers les minorités chinoises en Indonésie .

Indonésie gouverneur
Photo : Le nouveau gouverneur Basuki Tjahaja Purnamaa aux côtés du président Joko Widodo.

Références.

[1] La Gazette de Bali. 2008. L’âge d’or des Chinois d’Indonésie.
[2] Cayrac, Françoise. 1967. Les Chinois en Indonésie. Revue française de science politique. 17ème année, numéro 4, page 738.
[3] Bali Autrement. La longue marche des chinois d’Indonésie.
[4] Nguyen, Éric. 2006. L’Asie géopolitique : de la colonisation à la conquête du monde. Studyrama, page 25.
[5] Idem
[6] Le Monde. L’Indonésie en passe de reconnaître les massacres de 1965.
[7] Franklin, Romain. 1998. La peur des Chinois d’Indonésie: ils redoutent de servir de boucs émissaires à la crise qui secoue le pays. Dans Libération.
[8] La Gazette de Bali. 2008. L’âge d’or des Chinois d’Indonésie.
[9] RFI. Indonésie : le gouverneur de Jakarta issu de la minorité chrétienne.

Bibliographie.

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Chauvin, Jean-Baptiste. 2008. « L’âge d’or des Chinois d’Indonésie », dans La Gazette de Bali. En ligne.
http://www.lagazettedebali.info/journal/articles/societe/l-age-d-or-des-chinois-d-indonesie.html (Page consultée le 7 décembre 2014).

Franklin, Romain. 1998. « La peur des Chinois d’Indonésie : ils redoutent de servir de boucs émissaires à la crise qui secoue le pays », dans Libération. En ligne http://www.liberation.fr/monde/1998/01/21/la-peur-des-chinois-d-indonesie-ils-redoutent-de-servir-de-boucs-emissaires-a-la-crise-qui-secoue-le_225616 (Page consultée le 6 décembre 2014).

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Raillon, François. 2001. Indonésie : de la tolérance religieuse à la guerre de religions ? Revue d’Études comparatives Est-Ouest. 32-32.1, p. 227-228. En ligne. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_2001_num_32_1_3080 (Page consultée le 8 décembre 2014).

Widodo, Joko. 2014. « Indonésie : le gouverneur de Jakarta issu de la minorité chrétienne », dans RFI. http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20141120-indonesie-minorite-chretienne-gouverneur-jakarta-basuki-tjahaja-purnama-ahok/ (Page consultée le 6 décembre 2014).

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