Brunei, une monarchie absolue islamique

Par Salomé Gueidon

Largement méconnu de l’Occident, le Brunei est l’un des Etats les plus petits et les moins peuplés d’Asie du Sud-Est. Ancien protectorat britannique, ce sultanat a obtenu son indépendance en 1984, et est depuis l’un des pays les plus riches de la région et même du monde, grâce à ses importantes réserves de pétrole. Son PIB par habitant est l’un des plus élevés d’Asie, tandis que le gouvernement du Brunei fournit gratuitement l’éducation et les services médicaux à l’ensemble de ses citoyens (CIA 2014). Cependant, malgré ces aspects positifs, le Brunei n’est pas un pays où il fait vraiment bon vivre.

En effet, le micro-Etat asiatique ne fonctionne pas de manière démocratique. Depuis son indépendance, le pays est une monarchie absolue, avec à sa tête, au pouvoir depuis 1967, le sultan Hassanal Bolkiah. Brunei's Sultan Hassanal Bolkiah stands during his 64th birthday celebrations in Bandar Seri Begawan
Celui-ci concentre les pouvoirs et cumule ainsi, entre autres, les fonctions de « chef de l’Etat, Premier ministre, ministre des Finances et de l’Intérieur » (Nadeau 2013). Il est également le chef religieux du pays, dont l’islam est la religion officielle. Il n’y a pas non plus d’élections organisées au Brunei, ce qui confirme l’autoritarisme du régime.

Comment expliquer la stabilité du régime brunéien ? Comme par exemple à Singapour, le développement économique semble justifier l’autoritarisme. Le pays n’a pas de dette extérieure, et ses ressources en hydrocarbures lui assurent une certaine indépendance, même si depuis quelques années, le gouvernement tente de diversifier son économie (Nadeau 2013). Pendant longtemps, le Brunei ne connait ainsi pas de pressions extérieures, car son pétrole assure le désir de la communauté internationale de maintenir de bonnes relations avec lui. Mais cela pourrait être amené à changer…

Photo 2 - mosquée

Relativement discret sur la scène internationale, le micro-Etat fait toutefois parler de lui depuis fin 2013, lorsque le sultan a annoncé l’instauration de la charia, la loi islamique, dans le pays, où environ 80% de la population est musulmane (CIA 2014). Alors même que la famille royale est connue pour vivre dans le luxe et la luxure, le sultan dirigeait depuis plusieurs années selon des règles de l’islam extrêmes, interdisant par exemple la consommation publique d’alcool dans le pays. Avec l’adoption de la charia, les atteintes aux droits de l’Homme sont nombreuses, selon l’ONG Amnesty International, la peine de mort étant désormais appliquée à de nombreux crimes, comme l’adultère ou l’homosexualité. Les libertés fondamentales, comme par exemple la liberté de religion, y sont violées, tandis que la lapidation et l’amputation sont autorisées pour des infractions mineures, comme le vol (Amnesty 2014). Un certain nombre de témoins est requis pour constater les crimes, ce qui limite l’application de la charia, mais il est intéressant de noter que celle-ci peut être appliquée même à la population non-musulmane (Mottet 2014, 169).

En quoi la mise en place de la loi islamique permet-elle de renforcer le pouvoir en place ? Les motivations du sultan sont difficiles à définir, mais certains pensent que la religion est ici instrumentalisée, l’islam politisé afin de servir les intérêts des dirigeants. Ainsi, l’entrée en vigueur de la charia semble être une étape de plus vers l’exclusion des minorités. Dans ce pays multiculturel, l’identité malaise – qui représente 65% de la population – et la religion musulmane sont ainsi promues par l’idéologie nationale, le « Melayu Islam Beraja », l’islam étant même enseigné dans les écoles chrétiennes et chinoises (Brunei 1993, 200). La charia comme loi nationale aurait ainsi pour effet (et pour but ?) de « faire fuir la diaspora chinoise », qui représente 10% de la population, et qui contrôle en majorité le commerce. L’instauration de la charia serait ainsi une façon de limiter les possibilités de contestation du régime, en renforçant la politique de « brunéisation » de la société.
Par ailleurs, cette islamisation radicale du Brunei pourrait éventuellement avoir des conséquences sur les populations musulmanes des pays voisins où cette religion est majoritaire, c’est-à-dire l’Indonésie et la Malaisie, dont les régimes, bien que démocratiques, ne sont pas forcément les plus solides.

Photo 3

Tant que le Brunei aura des ressources importantes en pétrole, il ne devrait pas être trop inquiété (Mottet 2014, 169). Mais celles-ci ne vont pas durer éternellement, et les violations extrêmes des droits de l’Homme récemment promues par le régime ont commencé à entraîner sa remise en question par la communauté internationale – avec notamment le boycott des hôtels du sultan, un peu partout dans le monde. Un changement de régime pourrait également être favorisé par des pressions de la part des minorités, qui représentent environ 35% de la population.

Pour en lire plus sur le sultan et sa famille : ici

Bibliographie

Amnesty International. 2014. Brunei’s revised penal code a dangerous step backwards for Human rights. En ligne. http://www.amnesty.org/en/library/asset/ASA15/002/2014/en/63e5b43c-6a4e-49ed-bcd5-7bcdcfcb750b/asa150022014en.html (page consultée le 29 novembre 2014).

Brunei Darussalam in 1992 : Monarchy, Islam, and Oil. Source: Asian Survey, Vol. 33, No. 2, A Survey of Asia in 1992: Part II (Feb., 1993), pp. 200-203. Published by: University of California Press. URL: http://www.jstor.org/stable/2645330. Accessed: 26/11/2014

CIA. 2014. The World Factbook : Brunei. En ligne. https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/bx.html (page consultée le 2 décembre 2014).

Mottet Éric, « Brunei : de la rente pétro-gazière à la charia », Monde chinois 2/ 2014 (N° 38-39), p. 168-170. URL : www.cairn.info/revue-monde-chinois-2014-2-page-168.htm. DOI : 10.3917/mochi.038.0168

Nadeau Jules et al. , « Sultanat de Brunéi – Bilans annuels de 1984 à 2013 », L’état du monde, La Découverte, 2013. URL : www.cairn.info/l-etat-du-monde-brunei-page-bilan.htm.

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés