Alliance régionale, développement et stabilité: le cas de la Malaisie

Par Jonathan Deschamps

Les années 1960 marquent un tournant décisif en matière de multilatéralisme et d’intégration en Asie du Sud-Est. L’ASEAN, officiellement mise en place en 1967, devient ainsi le porte-étendard de cette alliance régionale qui permet d’aborder pour la première fois les conflits interétatiques de manière non-belliciste en plus de s’imposer en tant que vecteur institutionnel du développement et de la stabilité en Asie du Sud-Est. Mais quelle est donc la place de la Malaysia dans cette vaste entreprise d’intégration ? Comment le pays a-t-il su tirer profit du phénomène afin de s’imposer en tant que puissance régionale (et surtout le demeurer) ?

Pour répondre à une telle question, il faut d’abord s’intéresser à la fin des années 1980, où sous l’impulsion de la Nouvelle politique économique (NEP), la pauvreté en Malaysia a reculé de plus de 50%, « the identification of race or ethnicity with economic function or occupation and sectoral activity had been generally reduced »[1] et les inégalités entre la péninsule métropolitaine et les autres États ont été grandement atténuées. Cette volonté d’améliorer le niveau de vie de la population a tôt fait d’être confortée par l’institution multilatérale qu’est l’ASEAN, son chapitre 1 mettant en lumière l’objectif clairement établi de hisser l’ensemble des pays membres à un certain standard eu égard à la qualité de vie : « [t]he Member States are commited to alleviate poverty and narrow the development gap within ASEAN through mutual assistance and cooperation »[2] (pour en savoir plus sur la Charte de l’organisation : http://www1.umn.edu/humanrts/research/Philippines/ASEAN%20Charter.pdf).

La création du Forum de coopération économique Asie-Pacifique (APEC) en 1989 ainsi que la mise en place de la zone de libre-échange entre les pays de l’ASEAN en 1992, constituent la seconde phase du mouvement de régionalisation ayant marqué le pays et l’Asie du Sud-Est en général[3]. La Malaysia, alors en pleine industrialisation, intensifie ses rapports avec les pays limitrophes, notamment avec le sultanat de Brunei, avec lequel elle partage une certaine « convergence islamique »[4], et son partenaire et rival de tout instant : Singapour. Les deux États entretiennent ainsi un rapport étroit, tant sur le plan des « échanges commerciaux, des investissements, du tourisme [que] des migrations pendulaires »[5].

La crise monétaire et financière de 1997 transforme en profondeur le paysage régional. Même si elle n’est pas ressentie avec autant d’ardeur en Malaysia que dans le reste de l’Asie, le pays n’en demeure pas moins affecté de par l’accroissement de la dépendance des économies des six pays alors membres de l’ASEAN. Profitant d’importantes rentes découlant d’activités liées à l’exportation et d’un État fort capable d’imposer des mesures visant à redresser l’économie nationale, que celles-ci soient de nature autoritaires ou non, la Malaysia se sort néanmoins assez rapidement du raz-de-marée économique qui ravage alors l’Asie en entier.

En plus de contrecarrer « l’hégémonie exclusive de la Chine » (chose particulièrement importante en Malaysia du au contrôle de l’économie nationale par l’ethnie chinoise) en évitant de « renforcer précipitamment les liens économiques avec [elle] »[6], l’ASEAN permet aux économies des pays membres une « expansion spectaculaire dans les années 1970, ce qui est un facteur de relative stabilité pour la région »[7].

L’APEC endosse quant à lui le rôle de tribune où « les dirigeants y discutent [entre autres choses] de la lutte contre le terrorisme international »[8]. La Malaysia occupe ainsi une place centrale au sein des discussions, puisque le pays contient un nombre important de « cellules dormantes » affiliées à des groupes terroristes. De fait, la Malaysia constitue « un terrain facile pour [l]es militants [membres d’Al-Qaïda] car aucun visa n’est demandé aux citoyens de pays musulmans ; c’est donc une zone où le transit est aisé et fluide »[9], encourageant de la sorte l’activité des réseaux islamistes et d’organisations terroristes telle que la Kumpulan Militan Malaysia, dont les ramifications s’étendent jusqu’en Indonésie[10]. Les négociations ont notamment débouchées sur l’adoption de l’Internal Security Act, octroyant au gouvernement malaysien l’assise légale lui permettant d’emprisonner quiconque est susceptible de perturber la paix et la sécurité (y compris, cela va de soi (sic), les opposants au régime actuel).

La Malaysia a ainsi su profiter de l’intégration régionale afin de mettre de l’avant ses intérêts à la fois économiques et politiques, prenant part de manière active aux discussions au sein d’organes multilatéraux tel que l’ASEAN et l’APEC. Reste à savoir si le pays saura maintenir son rôle de force régionale, face à la montée des autres tigres asiatiques.

[1] Gomez, Edmund Terence and K.S., Jomo. 1997. Malaysia’s Political Economy : Politics, Patronage and Profits, Cambridge University Press, p. 166.
[2] ASEAN, Charter of the Association of Southeast Asian Nations, [En ligne], http://www1.umn.edu/humanrts/research/Philippines/ASEAN%20Charter.pdf, consulté le 16 novembre 2014.
[3] Yamada, Fumihiko. 2004. « Les régionalismes en Asie orientale : spectres du passé ou facteurs d’avenir ». Asie : Chine, Indonésie, Japon, Malaisie, Pakistan, Viêt-nam…, Paris, Les études de la documentation Française, Édition 2004-2005, p. 103.
[4] De Koninck, Rodolphe. 2007. Malaysia : La dualité territoriale, Paris, Éditions Belin : La documentation Française, Asie plurielle, p. 144.
[5] Ibid., p. 153.
[6] Yamada, Fumihiko, op. cit., p. 119.
[7] Ibid., p. 121.
[8] Ibid., p, 116.
[9] Boisseau Du Rocher, Sophie. 2004. « Les enjeux des élections de 2004 en Asie du Sud-Est ». Asie : Chine, Indonésie, Japon, Malaisie, Pakistan, Viêt-nam…, Paris, Les études de la documentation Française, Édition 2004-2005, p. 92.
[10] Ibid., p. 93.

BIBLIOGRAPHIE

ASEAN, Charter of the Association of Southeast Asian Nations, [En ligne], http://www1.umn.edu/humanrts/research/Philippines/ASEAN%20Charter.pdf, consulté le 16 novembre 2014.
Boisseau Du Rocher, Sophie. 2004. « Les enjeux des élections de 2004 en Asie du Sud-Est ». Asie : Chine, Indonésie, Japon, Malaisie, Pakistan, Viêt-nam…, Paris, Les études de la documentation Française, Édition 2004-2005.
De Koninck, Rodolphe. 2007. Malaysia : La dualité territoriale, Paris, Éditions Belin : La documentation Française, Asie plurielle.
Gomez, Edmund Terence and K.S., Jomo. 1997. Malaysia’s Political Economy : Politics, Patronage and Profits, Cambridge University Press.
Yamada, Fumihiko. 2004. « Les régionalismes en Asie orientale : spectres du passé ou facteurs d’avenir ». Asie : Chine, Indonésie, Japon, Malaisie, Pakistan, Viêt-nam…, Paris, Les études de la documentation Française, Édition 2004-2005.

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