Les Philippines: Un pays aux prises avec une corruption endémique

Par François Robert-Durand.
Il y a déjà plus d’un an que le Pork Barrel Scam a été révélé au grand jour aux Philippines. Pour que les politiques publiques se rapprochent davantage des priorités locales, le gouvernement central octroyait des fonds discrétionnaires aux sénateurs et aux élus du congrès. Or, il y eut plusieurs cas où lesdits sénateurs ont conservé une part très importante de ces fonds pour leurs intérêts personnels (Gamala 2014). La nature de ce scandale ressemble étrangement au scandale des commandites qui a été révélé au Canada durant la fin des années 90. En effet

, les deux ont consisté à des détournements massifs de fonds publics à des fins privées/individuelles.
Cependant, en termes de scandale de corruption, c’est là que commence et s’arrête la comparaison entre le Canada et les Philippines. En effet, la vie politique des Philippines est caractérisée par un taux de corruption endémique. À titre de comparaison: l’organisme Transparency international attribue une note de 36% aux Philippines en matière de bonne gouvernance, alors que la note canadienne est de 81% (Transparency International 2014).

Des structures néo-patrimoniales

Cette note si faible de bonne gouvernance s’explique, en premier lieu, par ses structures qualifiées de néo-patrimoniales, i.e. « où le pouvoir politique n’a pas pour objectif le bien commun de la population, mais les intérêts d’une oligarchie terrienne »(Caouette, Lemieux 2009).
Les causes de la présence de cette oligarchie terrienne tire son origine de l’époque précoloniale où des familles se partageaient le contrôle du territoire philippin. Lorsque les Espagnols sont arrivés, ils avaient comme principal souci de ne pas s’aliéner ces familles, car elles avaient la capacité de soulever des armées. Ils ont offert à ces familles terriennes la consolidation du contrôle de leurs terres respectives avec, comme moyen d’échange, une protection militaire accrue (Cheong 1999, 90).
Lorsque les Philippines sont passées sous le joug américain, ceux-ci ont maintenu les structures mises en place par les Espagnols avec le même objectif que les Espagnols, i.e. ne pas aliéner ces familles. Or, suite au départ des Américains et à l’avènement de l’indépendance des Philippines, les familles terriennes ont pu, grâce à leur pouvoir économique, s’approprier la sphère politique laissée vacante par le départ des Américains (Cheong 1999, 90). Cette concentration des pouvoirs à la fois économiques et politiques ont continué suite au départ des Américains des Philippines et perdure jusqu’à aujourd’hui.

Une démocratie non-libérale

Cette combinaison entre pouvoir politique et économique a provoqué plusieurs sources de contestation au sein de la population civile et des intellectuels philippins. Or, ces mouvements ou individus contestataires du système oligarchique ont souvent été réprimés. En effet, de nombreux cas de menaces, voire d’assassinats politiques ont été répertoriés depuis les dernières décennies. Par exemple, il y a eu environ 830 assassinats politiques entre 2001 et 2007, dont 365 étaient connus pour être des activistes ou des sympathisants de la gauche ( Jiminez 2014, 1).
C’est la raison pour laquelle, en plus d’être néo-patrimoniale, nous pouvons également qualifier les Philippines comme étant une démocratie non-libérale (illiberal democracy), i.e. « where elections decide who governs, but fundamental rights and freedoms are either not fully delineated or protected » ( Linantud 2005, 83).
Ainsi, la mauvaise gouvernance des Philippines persiste en réprimant les acteurs de la société civile qui veulent changer ce système.

Des impacts biens réels
Outre les principes éthiques qui impliquent la corruption et les assassinats politiques, les impacts sur la vie économique des populations en sont également affectés. En effet, on estime que, depuis les années 2000, une moyenne annuelle de 15,7 milliards de dollars américains ont été détournés de la fiscalité philippine (Financial Transparency Coalition 2014). Ce qui est considérable lorsque nous le comparons à son produit intérieur brut (PIB) de 2010 qui se situe à 199 milliards de dollars américains (Transparency International 2014).
Ainsi, bien que la mauvaise gouvernance n’explique pas tout, elle contribue néanmoins à la disparité des richesses actuelles au sein des Philippines. Un exemple concret est la mesure du coefficient de Gini, qui donne un résultat de 0,44 aux Philippines en 2010. Ce qui veut dire que la population philippine est aux prises avec un grand écart de richesse si nous comparons, notamment, avec le Canada dont le coefficient de Gini de 2010 était de 33 (Banque Mondiale 2014). La mainmise sur les ressources économiques des acteurs politiques contribue donc à accentuer les inégalités sociales de ce pays.

Une lueur d’espoir vite étouffée
Kung walang corrupt, walang mahirap (sans corruption, moins de pauvreté) était le slogan du président actuel des Philippines, Benigno Aquino Junior, lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle de 2010 (Tiglao 2013). Il s’agissait donc d’un slogan qui affirmait la volonté manifeste de combattre la corruption pour que l’ensemble de la population du pays en bénéficie.
Or, le fameux Pork Barrel Scam dévoilé en 2013 met en lumière le fait que, malgré l’affirmation du président Aquino de combattre cette corruption, elle demeure omniprésente et qu’un slogan n’est pas suffisant pour enrayer une pratique profondément encrée dans les mœurs politiques philippines.
Tags: Philippines, corruption, assassinat, scandale

Bibliographie
Banque Mondiale. 2014. Gini Index. En ligne. http://data.worldbank.org/indicator/SI.POV.GINI# (page consultée le 3 Novembre 2014).
Caouette, Dominique et Jean-Philippe Massicotte. 2009. « Quand les affaires priment sur l’éthique. » À Babord. 31 (Octobre).
Cheong, Yung Mun. 1999. « The political structures of the independant states » dans Cambridge history of Southeast Asia. Cambridge: Cambridge University Press. 59-131.
Gamala, Ruben Magan. 2014. « Evolution of the Pork Barrel in the Philippines» En ligne. http://www.up.edu.ph/evolution-of-the-pork-barrel-system-in-the-philippines/. (page consultée le 27 novembre 2014).
Jiminez. Cher S. 2007. « Deadly dirty work in the Philippines » Asia Times. 13 Février. 1-2.
Linantud, John L. 2005. « The 2004 Philippines elections: a change in an illiberal democracy». dans Institute of Southeast Asian Studies. Vol 27 (no 1) 80-101.
Financial Transparency Coalition. 2011. Philippines Lost $142 Billion in Illicit Financial Flows between 2000 and 2009, Global Financial Integrity Finds. En ligne. http://www.financialtransparency.org/2011/12/12/philippines-lost-142-billion-in-illicit-financial-flows-between-2000-and-2009-global-financial-integrity-finds/# (page consultée le 2 Novembre 2014).

Tiglao Robertigo. 2013. «Kung walang corrupt, walang mahirap » The Manila Times. 21 (Juillet), 3.

Transparency international. 2014. Corruption by Country/Territory: Canada. En ligne. http://www.transparency.org/country#CAN. (page consultée le 2 Novembre 2014).
Transparency international. 2014. Corruption by Country/Territory: Philippines. En ligne. http://www.transparency.org/country#PHL. (page consultée le 2 Novembre 2014).

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