Bangkok : Un futur à «eaux» risqués

Par Tariq Rami

Le Royaume de Thaïlande, situé au cœur de la péninsule indochinoise, s’étend des océans Indien à Pacifique. Sa région centrale, qui accueille la capitale, se trouve dans le golfe de Thaïlande et sur le delta du fleuve Chao Phraya. Bâtie il y a presque trois siècles sur des terres marécageuses et argileuses [1], Bangkok est aujourd’hui une mégapole côtière tentaculaire de plus de 14 millions d’habitants, une plaque tournante commerciale pour l’Asie du Sud-est, et le centre économique et politique de son pays.

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Pourtant, sur 136 villes les plus vulnérables au réchauffement climatique, le rapport publié en 2013 par la Banque mondiale l’a classée dans le peloton de tête [2]. D’autres métropoles, comme Londres, New York ou Amsterdam font face au même risque de submersion, à la différence que la capitale thaïlandaise, construite à seulement 1,5 m en moyenne au-dessus du niveau de la mer, subit en prime un climat tropical qui l’expose à des phénomènes de mousson très puissants [3] pouvant, dans les prochaines décennies et sans réponse efficace des autorités, augmenter le risque de graves inondations – comme celles de 2011 – sur la métropole thaïlandaise.

Paradoxalement, alors que les politiques affichées par le 11ème plan national économique et social (2012-2016) prennent en compte les changements climatiques à venir [4], les autorités ont semblé n’accorder jusqu’ici que très peu de crédits aux théories annonçant une submersion partielle de Bangkok dès 2030 [5]. Dans le but de mieux appréhender ces risques liés au réchauffement climatique, il paraît judicieux d’étudier les politiques appliquées par les autorités thaïlandaises en réponse à ces problèmes d’affaissement des sols et d’inondations récurrentes.

Tout d’abord, Bangkok est effectivement menacée en raison de l’affaissement de ses sols. Depuis le milieu des années 1950, amplifié par un développement urbain anarchique mais très soutenu, la ville tend à s’enfoncer au rythme de plusieurs centimètres par année [6]. Ce processus d’affaissement résulte d’une combinaison de plusieurs facteurs : on peut citer le pompage excessif des nappes phréatiques souterraines, le poids des constructions modernes ou encore l’érosion et les glissements de terrain [7]. Les politiques urbaines mises en application pour répondre à ces problèmes intègrent principalement les deux premiers facteurs, les autres étant des facteurs naturels, ils sont moins prévisibles et donc difficilement applicables par des politiques publiques.

Les pompages excessifs des nappes phréatiques situées sous la ville ne datent pas d’hier : de par son cout très attractif, cette méthode d’approvisionnement publique en eaux a longtemps été préférée à la construction de réseaux de distribution et stations d’épurations dans la ville. Lorsque les autorités ont estimé pour la première fois les dommages collatéraux liés aux pompages (1970), une loi – le Groundwater Act – visant à limiter les pompages a été votée (1977), et la régie locale de distribution de l’eau – la MWA (Metropolitan Waterworks Authority) – a entrepris la construction de son réseau (1988) et graduellement réduit sa part dans l’extraction des réserves phréatiques souterraines [8].

Parallèlement, plusieurs taxes se sont progressivement cumulées sur les factures des résidents qui continuaient à se fournir en eaux pompées dans les réserves souterraines, augmentant tous les 5 ans afin de les influencer à utiliser le réseau public de la MWA dont le cout était alors plus élevé du fait des nombreuses infrastructures requises pour sa mise en place. Enfin, la construction de nouveaux puits a été, selon l’emplacement, ou limité ou interdit [9]. Ainsi, on constate que le changement progressif de source d’approvisionnement en eau a été impulsé par l’intervention des autorités et a permis de réduire la part de ce facteur dans l’affaissement des sols.

Le développement urbain contribue également depuis longtemps à ce phénomène d’affaissement des sols, notamment par le poids des bâtiments modernes (buildings, condominiums, centre commerciaux), disposés aléatoirement dans la ville par manque de planification dans l’usage des terres de la ville au moment des constructions [10]. Toutefois en 2002, des politiques de planifications pour l’utilisation des terres développées par le Department of Public Works and Town and Country Planning, ont permis entre autres, de réhabiliter de nombreuses zones côtières en réserves pour l’environnement et le tourisme, de réorganiser la disposition spatiale des différents éléments urbains (industries, résidences, tourisme) afin de permettre à Bangkok de devenir une ville organisée.

Ce bureau a également développé plusieurs résolutions urgentes concernant les inondations, préparant la protection et la mitigation des zones à risques en cas de catastrophes naturelles, la prévention des catastrophes par la mise en place de systèmes d’alerte anti-inondations, la réhabilitation de certaines zones en réserves naturelles (forêts, mangrove), qui protègent l’écosystème environnant la ville en jouant le rôle de tampon aux intempéries, ou encore par le développement et l’aménagement de zones urbaines saines et durables, respectant les normes environnementales pour améliorer la sécurité face aux aléas climatiques [11].

Il semble finalement difficile pour les autorités de faire davantage, et pourtant, face aux changements climatiques de plus en plus visibles dans cette région, la réponse apportée pourrait ne pas suffire lorsqu’on voit l’étendue des dégâts des inondations de 2011…

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Références

[1] Kermel Torrès Doryane p.
[2] World Bank (en ligne)
[3] Endo, T p.278
[4] National Economic and Social Development Board, p.18
[5] Article du Time (en ligne)
[6] Endo, T p.279
[7] World Bank (en ligne)
[8] Endo, T pp.280-284
[9] Ibid p.285
[10]Sakkayarojkul. O. (en ligne)
[11]Department of Public Works and Town and Country Planning

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Bibliographie

Department of Public Works and Town and Country Planning (en ligne page consultée le 12 novembre 2014)
http://www.ghbhomecenter.com/journal/download.php?file=2002Apr10jC12jov.pdf

Endo, T. (2011). Sinking Cities and Governmental Action: Institutional Responses to Land Subsidence in Osaka and Bangkok. In Groundwater and Subsurface Environments (pp. 271-288). Springer Japan.

Kermel Torrès Doryane (dir.). Atlas de Thaïlande : structures spatiales et développement. Montpellier (FRA) ; Paris (FRA) ; Paris : CNRS-GDR Libergéo ; La Documentation Française ; IRD, 2006, 208 p. (Dynamiques du Territoire). ISBN 2-11-006095-6

Marks, D. (2011). Climate change and Thailand: impact and response. Contemporary Southeast Asia: A Journal of International and Strategic Affairs, 33(2), 229-258.

National Economic and Social Development Board – The Eleventh National Economic and Social Development Plan (2012-2016)

Sakkayarojkul. O. An overview of spatial policy in Asian and European Countries – Thaïland (en ligne : page consultée le 11 novembre 2014)
http://www.mlit.go.jp/kokudokeikaku/international/spw/general/thailand/index_e.html

Time – Thailand, Sinking: Parts of Bangkok Could Be Underwater in 2030 (en ligne, page consultée le 11 novembre 2014)
http://content.time.com/time/world/article/0,8599,2084358,00.html

United Nations University. The urbanization of Bangkok: Its prominence, problems, and prospects (1993)
http://archive.unu.edu/unupress/unupbooks/uu11ee/uu11ee10.htm

World Bank – Turn Down the Heat: Climate Extremes, Regional Impacts, and the Case for Resilience (en ligne, page consultée le 12 novembre)
http://www.wds.worldbank.org/external/default/WDSContentServer/WDSP/IB/2013/06/14/000445729_20130614145941/Rendered/PDF/784240WP0Full00D0CONF0to0June19090L.pdf

Vidéographie

Les dessous des cartes – Thaïlande
https://www.youtube.com/watch?v=HhS7dyIamWc
Reportage ARTE – Les villes de l’extrême – Bangkok

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