Les débuts de l’ASEAN entre inactions et le conflit du Cambodge

par Gabrielle Dionne-Legendre

Les ministres des Affaires étrangères des cinq États fondateurs lors de la première réunion de l’ASEAN

Les ministres des Affaires étrangères des cinq États fondateurs lors de la première réunion de l’ASEAN

L’Association of South East Asian Nations (ou ASEAN) créée en 1967 ne contient que 5 États, soit l’Indonésie, Singapour, la Thaïlande, Malaisie et les Philippines. Cinq États qui sont par ailleurs anticommunistes.

L’idée de créer un organisme de coopération sud-est asiatique n’apparaît pas comme par magie. Elle fait suite à des conférences panasiatiques comme celles de New Delhi et de Bandung et répond à ce désir de créer une manière de faire qui serait « asiatique ».

C’est dans ce contexte particulier qu’en 1967, suite à une confrontation majeure entre l’Indonésie et le Myanmar (la Konfrontasi), et qui concerne le statut au nord de l’île de Bornéo, que certains pays de la région décident de créer un organisme qui aura pour but d’assurer la survie des différents États et la stabilité de la région. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, nous sommes en pleine Guerre froide et les États de la région craignent la montée du communisme entre autres au Laos, au Cambodge et au Vietnam. Ils craignent aussi qu’un conflit dans la région entraine l’engagement des deux puissances de l’époque dans le conflit.

La Déclaration de Bangkok, qui ne contient que 5 articles, consacre cette organisation. Durant sa première décennie, les tensions entre les différents membres contrecarrent toutes actions possibles. Toutefois, deux traités seront signés afin de développer cette organisation. Il y a tout d’abord le ZOPFAN (Zone of Peace Freedom and Neutrality), en 1971, et le TAC (Treaty of Amity and Cooperation) signé à la suite de la Conférence de Bali en 1976. Le premier traité reflète la volonté des nations membres de rester neutres dans la Guerre froide, tandis que le second définit l’ensemble de valeurs priorisées par l’organisation, soit la non-interférence, le respect de l’intégrité territoriale, l’égalité des membres, le renoncement à l’usage de la force ou de la menace, etc.

En 1978, le Vietnam envahit le Cambodge mettant fin au régime des Khmers rouges et forçant l’ASEAN à s’impliquer dans la Guerre froide. L’invasion du Cambodge était, et reste, l’événement qui marqua le plus l’organisation. Entre 1978 et 1991, la résolution du conflit était l’objectif principal, sinon le seul, de l’ASEAN.

L’invasion du Cambodge par le Vietnam concerne les États membres de l’ASEAN pour des raisons différentes. Par exemple, l’ASEAN perçoit cette occupation comme étant une violation des normes émises par la signature de la TAC ; la Thaïlande, elle, voit le Vietnam comme une menace qui pourrait mettre à mal son unité nationale et demande l’aide de la Chine; l’Indonésien et la Malaisie perçoivent l’implication chinoise dans le conflit comme un risque et croit que le Vietnam pourrait aider à contenir la présence chinoise; le Brunei argumente que l’invasion est une raison de plus afin de maintenir la présence américaine en Asie du Sud-Est.

Finalement, la priorité va être donnée à la menace que représente l’invasion du Cambodge pour la Thaïlande. En effet, les États membres craignent qu’un refus de suivre la Thaïlande entraine un désistement de celle-ci et un rapprochement vers la Chine. De surcroit, l’Indonésie à la suite de la Konfrontasi veut démontrer qu’elle pouvait coopérer dans un organisation régional. Elle va donc temporairement renoncer à ses propres intérêts dans le conflit. Certains auteurs argumentent même que l’Indonésie sous Suharto a joué un rôle considérable dans la création et le maintien de l’ASEAN en tant qu’organisation régionale. Durant sa présidence, Suharto va se plier en quatre pour faire de l’Indonésie un premier parmi ses pairs asiatiques. (ASEAN beyond 40) Alors que devant cet enjeu de taille les différents membres essaient de faire front uni, parfois, des sujets de discorde refont surface. Par exemple, l’Indonésie et la Malaisie craignent qu’en mettant trop de pression sur le Vietnam ceux-ci se retrouvent sous la coupe des Chinois ou qu’ils se tournent encore plus vers l’URSS.

L’invasion du Cambodge par le Vietnam est emblématique du conflit sino-soviétique de la Guerre froide. D’une part, la Chine est l’alliée du Cambodge et désire le retrait du Vietnam du Cambodge; à l’inverse, l’URSS est l’allié du Vietnam et supporte sa décision. Par conséquent, le conflit ne peut pas aboutir sans l’inclusion de toutes les grandes puissances. De plus, comme l’ASEAN est incapable d’offrir un support militaire à la Thaïlande, elle n’a d’autres choix que de demander l’aide des États-Unis. En faisant ceci, l’organisation va à l’encontre du principe de neutralité émis dans le traité ZOPFAN, la neutralité. Ainsi, alors qu’elle essayait de garder la Guerre froide à l’extérieur de la région, avec l’invasion du Cambodge, ils n’ont pas eu d’autres choix que d’impliquer les grandes puissances de l’époque dans le conflit.

Bref, l’invasion du Cambodge est le premier enjeu auquel fait face l’ASEAN et en 40 ans est l’événement le plus marquant de son histoire. Il est aussi le premier qui teste le système de valeurs et de normes avancé par l’ASEAN, soit les valeurs mises de l’avant par le TAC et le désir de neutralité tel qu’énoncer dans le ZOPFAN

En 1989, le Vietnam se retire du Cambodge et commence à normaliser ses relations avec les six membres de l’organisation (le Brunei s’est joint en 1984 en accédant à l’indépendance). En 1995, finalement, le Vietnam devient membre de l’ASEAN.

De droite à gauche : le Secrétaire des Affaires étrangères Philippins Raul Manglapus ; le roi du Cambodge Norodom Sihanouk ; le Secrétaire général des Nations Unies Javier Perez du Cuellar lors de la Conférence de Paris en 1991. Celle-ci met fin au conflit entre le Vietnam et le Cambodge.

De droite à gauche : le Secrétaire des Affaires étrangères Philippins Raul Manglapus ; le roi du Cambodge Norodom Sihanouk ; le Secrétaire général des Nations Unies Javier Perez du Cuellar lors de la Conférence de Paris en 1991. Celle-ci met fin au conflit entre le Vietnam et le Cambodge.

L’inclusion du Vietnam dans l’ASEAN permet de penser l’insertion de d’autres États dans l’organisation. Ainsi, le Laos, Cambodge et Birmanie deviennent membre entre 1997 et 1999. L’inclusion de ces États dans l’ASEAN va, elle aussi, causer certains problèmes. Tout d’abord, parce que ceux-ci ne sont pas au même niveau économique que les États fondateurs. De plus, leur inclusion s’inscrit dans le contexte de la crise économique de 1997, que nous aborderons la semaine prochaine

Références :

Rolls, Mark. 2012. « Centrality and Continuity : ASEAN and Regional Security since 1967. East Asia 29 : 127-139.

Narine, Shaun. 2006. « The English School and ASEAN », The Pacific Review, 19 (no.2) : 199-218.

Mukherjee, Kunal. 2013. « Prospects and Challenges of ASEAN ». Strategic Analysis 37 (no.6) :742-757.

Narine, Shaun. 2008. « Forty years of ASEAN: a historical review ». The Pacific Review 21 (no.4) : 411-429.

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