La Junte militaire en Thaïlande promet des solutions à l’insurrection séparatiste du Sud : Des solutions durables au conflit ?

Raphael Lachkar

Le 26 mai dernier, la Thaïlande connaissait son 12e coup d’État depuis l’abolition du régime monarchique absolutiste en 1932. Parallèlement, depuis plus de 50 ans, le gouvernement central et des groupes malais musulmans sécessionnistes se déchirent dans le sud du pays, dénombrant plus de 5000 pertes humaines collatérales (Ockey, 2014, p. 40). Ces deux contextes convergent ces temps-ci alors que le gouvernement destitué par l’armée est entré en négociation avec un groupe sécessionniste juste avant le coup d’État. La forme que prend le militantisme du Sud est cependant très particulière et le rapprochement du gouvernement avec l’un des groupes fait beaucoup de sceptiques. Il y a peu, l’armée a assuré reprendre les négociations et mettre un terme au conflit rapidement (Lefevre, 2014).
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À la différence du Mouvement de Lébération d’Aceh en Indonésie (Lachkar, 2014), ou du Front Moro Islamique de Libération aux Philippines (Lachkar, 2014) la résistance dans le sud de la Thaïlande ne présente aucune structure organisée et ainsi de représentant légitime pour négocier avec le gouvernement.
L’origine de la sédition peut être associée aux différentes intégrations, militaires et diplomatiques, du Pattani Darussalam et de 6 autres sultanats par le royaume du Siam (aujourd’hui Thaïlande) au début du 20e siècle (Liow, 2006, p. 24). Dans les années 1960, face aux réformes assimilatrices et nationalistes de l’éducation et aux problèmes d’intégration en général, l’insurrection se radicalisa dans les provinces de Narathiwat, Pattani, Yala et Satun (globalement le sud du territoire thaïlandais). Outre le manque de fédération, le débat est d’autant plus compliqué que les groupes expriment des velléités différentes. Globalement sécessionnistes, certains évoquent des raisons ethniques (groupe ethnique malais contre un nationalisme Thaï), d’autres des arguments religieux (musulmans dans un pays bouddhiste). La nuance est de taille et pèse beaucoup sur les manières de traiter le problème et donc sur les solutions à apporter. Si certains se mettent d’accord sur la forme du territoire à récupérer, ils divergent sur l’incorporation ou non de ce dernier à la Malaise. Si les provinces de Yala, Narathiwat et Pattani sont autant musulmanes que malaises, Satun, par exemple, est essentiellement bouddhiste.

Le degré d’éclatement de la résistance se mesure à la complexité de son organisation. Parmi les nombreux belligérants, comptons deux groupes majeurs à l’origine de quatre sous-groupes indépendants. Le Barisan Revolusi Nasional (BRN) en 1960 et le Pattani United Liberation Organisation (PULO) en 1968 polarisèrent la rébellion pendant quelques temps. Le premier, anticolonialiste et anticapitaliste, cherchait à appliquer un socialisme islamique dans un pan-sud-est-asiatisme d’ethnie malaise et d’orientation musulmane. La perte de crédibilité des doctrines communistes accompagnant la fin de la guerre froide provoqua son éclatement dans les années 1990. Naquirent trois sous-groupes : le BRN-Koordinasi (BRN-C), le BRN-Congress (BRN-K) et le BRN-Ulama. C’est le PULO qui monopolisa l’attention jusqu’aux années 2000. Prônant la formation d’un état islamiste dans le Sud, il usa à la fois d’endoctrinement dans les écoles et d’agressions ciblées vers le gouvernement central et ses représentants en province. Pendant les années 1990, nombre de ses cadres profitèrent des amnisties offertes par Bangkok et laissèrent place, en 1995, au New PULO militant et radical. Parmi les branches du BRN, le BRN-C semble le plus actif, il rejette les idées pan asiatiques et socialistes du BRN et cherche à imposer un Islam radical dans le Sud du territoire. (Chalk, 2008, pp. 5-10).

Le Général Prayut Chan-o-cha, au pouvoir depuis le 26 mai 2014

Le Général Prayut Chan-o-cha, au pouvoir depuis le 26 mai 2014

C’est donc à partir du début des années 2000, à travers le New PULO et le BRN-C essentiellement que la résistance s’intensifia. Les rudes mesures prises par le gouvernement de Thaksin à partir de 2001, l’envoi de troupes en Irak aux côtés des soldats américains et la présence de ces derniers sur le territoire embrasèrent le conflit. Thaksin remplaça notamment l’armée dans le Sud par sa propre police et déstabilisa les liens jusque-là établis avec Bangkok (Kuhonta, 2014). Durant les dix premières années du nouveau millénaire, 1472 attaques sur 832 jours furent recensées (en moyenne, plus de 11 attaques par mois pendant 10 ans) (White, Michael D. Porter, & Loraine Mazerolle, 2013, p. 302). Notons que les attaques sont non seulement dirigées vers le gouvernement central et ses représentants, mais aussi vers les autres groupes rivaux.

Le nœud du problème réside dans l’éclatement de la résistance et des objectifs des différents groupes. Les négociations qui précédèrent le coup d’État rapprochaient le gouvernement au BRN. Pour beaucoup, le groupe n’était pas qualifié pour parler au nom de la résistance en général. La réaction du BRN-C et du PULO confirmèrent ces craintes : les mois qui suivirent les tentatives de pourparlers s’accompagnèrent d’une escalade de violence dans le Sud, les deux groupes revendiquèrent l’essentiel des attentats et assurèrent que les violences continueraient (Hunt, 2014).
Le 3 septembre dernier, expliquant que des accords suivraient sous peu, l’armée a assuré avoir trouvé le « groupe derrière le problème et [qui serait] résolu à négocier avec elle » (Lefevre, 2014). Le peu d’informations et la confiance exprimées dans ce dernier message nous laissent spéculer quant à la véracité des allégations de la junte. Il reste qu’à la différence des politiques menés de Thaksin ou de celles de sa sœur (qui lui succéda au pouvoir quand il fut chassé), l’armée semble moins punitive. Les espoirs d’avancées diplomatiques resteront cependant mitigés temps que les groupes ne montreront pas un semblant d’unité et ne permettront pas l’organisation de pourparlers avec les autorités centrales (Kuhonta, 2014).

Ressources bibliographiques

Chalk, P. (2008). The Malay-Muslim Insuregncy in Southern Thailand. National Defense Research Institute. Santa monica: RAND.

Kuhonta, E. (2014). The recent political developments in Thailand and Myanmar. Montréal: APLAM.

Liow, J. C. (2006). Muslim resistance in Southern Thailand and Southern Philippines: Religion, Ideology and Politics. Policy Studies 24 .

Ockey, J. (2014). Thailand in 2013: The Politics of Reconciliation. The Asian Survey , 54 (1), 36-46.

White, G., Michael D. Porter, & Loraine Mazerolle. (2013). Terrorism Risk, Resilience and Volatility: A Comparison of Terrorism Patterns in Three Southeast Asian Countries. Journal of Quantitative Criminology , 29 (2), 295-320.

Liens externes

Hunt, L. (2014, janvier 5). Thai Politics Stifles Peace Talks in Troubled South. Consulté le novembre 14, 2014, sur The Diplomat: http://thediplomat.com/2014/01/thai-politics-stifles-peace-talks-in-troubled-south/

Lachkar, R. (2014, novembre 6). Islam politique et démocratie en Indonésie : deux cas d’école. Consulté le novembre 13, 2014, sur Blogue sur l’Asie du Sud Est: https://redtac.org/asiedusudest/2014/11/06/2767/

Lachkar R. (2014, novembre 6). Les Philippines négocient avec le MILF et s’exposent à l’ire des groupes rivaux. Consulté le novembre 13, 2014, sur Blogue sur l’Asie du Sud Est: https://redtac.org/asiedusudest/2014/11/22/les-philippines-negocient-avec-le-milf-et-sexposent-a-lire-des-groupes-rivaux/

Lefevre, A. S. (2014, septembre 3). Thailand picks team for talks with Muslim rebels. Consulté le novembre 13, 2014, sur Reuters: http://www.reuters.com/article/2014/09/03/us-thailand-south-talks-idUSKBN0GY0T420140903

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