La crise de 1997 : un défit pour l’ASEAN

par Gabrielle Dionne-Legendre

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En 1967, le besoin de créer une organisation afin d’assurer la stabilité de la région se fait ressentir. Pour répondre à ce besoin, l’ASEAN, ou Association des Nations du Sud-Est asiatiques, est créée. Malgré cela, l’organisation est peu active pendant les 30 premières années et centrée sur le conflit au Cambodge. Or, en 1997, l’Asie du Sud Est vit une crise économique sans précédent pour la région. Celle-ci entraînera des problèmes pour les États de la région, mais aussi pour l’organisation les regroupant, l’ASEAN.
En premier lieu, la crise économique a démontré les faiblesses de l’organisation. Tout d’abord, cela a démontré que la région n’était pas aussi unie que préalablement pensé. Certains croyaient en effet que la crise encouragerait une plus grande solidarité entre les différents membres. Or, elle entraîna le retour de vieux conflits à la surface, le meilleur exemple de cela est l’impact qu’aura la crise sur la relation entre l’Indonésie, d’une part, et la Malaisie, d’autre part, avec son voisin Singapour. Dans les deux cas, parce que Singapour est moins menacé par la crise, l’aide reçue par le gouvernement singapourien est perçue comme n’étant pas suffisante.
De surcroît, les membres touchés par la crise finiront par choisir de faire face à la crise, seuls. Il n’y aura pas d’« ASEAN way » économique pour mettre fin à la crise. Ainsi, la Thaïlande et l’Indonésie vont requérir l’assistance du Fonds Monétaire international afin d’aider à la restructuration de leur économie, tandis que la Malaisie requerra l’afflux de capitaux à court terme. (Narine 2002)
En second lieu, un des buts proéminents est d’assurer la sécurité de la région. La crise a eu un impact sur la stabilité régionale, tel qu’illustré plus haut. Or, la stabilité régionale ne vient pas seulement de l’absence de conflits entre les États, elle provient aussi d’une stabilité intraétatique.
Ainsi, la crise économique a cause des troubles à l’intérieur même des États. Elle est citée comme étant la cause directe de la chute du régime de Sukarno. La crise entraînera aussi une perte de confiance dans le gouvernement en place en Thaïlande, celui de Yongchauidh, le forçant à remettre sa démission. En Malaisie, la crise est aussi citée comme étant la cause de la chute du régime du Dr Mahathir. Le régime de Ramos aux Philippines va aussi être une victime de la crise. Tous ces changements de régime ont affecté la direction de l’ASEAN. Certains sont même allés jusqu’à dire que, depuis la crise de 1997, l’ASEAN était « ‘rudderless’, directionless and leaderless. » (Bin Ahmad 2012)
En troisième lieu, cela a aussi nui aux revendications économiques de la région. Tout d’abord, cela a ôté toutes les prétentions de l’ASEAN de devenir une organisation économique. En effet, certains espéraient et pensaient que l’ASEAN serait en mesure de régler la crise économique. Or, cela était impossible puisque l’organisation, à l’époque, n’avait pas les ressources nécessaires afin de faire face à une telle crise.
De surcroît, alors que la crise débute en Thaïlande et se propage ensuite aux Philippines et en Malaisie, tous les États du sud est asiatiques ne seront pas affectés au même niveau. Singapour et les États continentaux ressentent très peu la crise. De plus, les États de l’Asie du Sud Est ne sont pas les seuls affectés, le Japon l’est aussi. L’élaboration d’une solution ne se fera pas sans problème parce que l’organisation « needed to rely on dialogue in broader contexts to co-ordinate its actions with such important players in the crisis as South Korea and Japan.» (Wesley 1999)
La crise a aussi illustré la dépendance des pays de la région aux grandes puissances. En effet, la crise fut endiguée rapidement grâce à l’aide de puissances étrangères. Ainsi, la Chine a grandement aidé en ne dévaluant pas sa monnaie, et le Japon, qui a été aussi affecté par la crise, mais qui s’en est remis avant l’Asie du Sud Est a ensuite aidé ceux-ci à s’en remettre. De plus, l’aide du FMI fut requise afin d’endiguer la crise économique. Bref, la crise a été un enjeu de taille pour l’ASEAN et a démontré ses faiblesses.
L’ASEAN a tout de même résisté et continue d’être une organisation importante pour la région. Pourquoi ? Selon Solingern cette raison serait liée à la continuité du modus operandi de l’ASEAN, soit la non-intervention, et au fait que des efforts considérables auraient été mis de l’avant afin d’intégrer la coopération de l’ASEAN dans des cadres plus gros. Dans le prochain billet, nous étudierons comment ce même modus operandi cause des problèmes pour la légitimité de l’organisation, surtout en ce qui a trait à la non-intervention dans le cas de la Birmanie.

Source :
Amitav, Acharya. 1999. Realism, Institutionalism, and the Asian Economic Crisis. Contemporary Southeast Asia 21(no. 1) : 1-29.
Bin Ahmad, Zakaria. 2012. « ASEAN beyond 40 ». East Asia 29 : 157-166.
Narine, Shaun. 2002 : « ASEAN in the Aftermath : The consequences of the East Asian Economic Crisis. » Global Governance 8 : 179-194.
Ruland, Jurgen. 2000. « ASEAN and the Asian crisis : theoretical implications and practical consequences for Southeast Asian Regionalism. The Pacific Review 13 (no. 3) : 421-451.
Solingen, Etel. 2005. « ASEAN coopération : the legacy of the economic crisis ». International Relations of the Asia-Pacific 5 : 1-29
Wesley, Michael. 1999. « The Asian Crisis and the Adequacy of Regional Institutions. Contemporary Southeast Asia 21 (no.1) : 54-73.

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